Du temps pas si lointain où adolescent – pas si lointain ? un demi-siècle ! ah oui quand même,passant mes vacances à la campagne j’allais travailler à la ferme et dans les champs, c’était le temps où l’on avait besoin de main d’œuvre, où toute main d’œuvre était bonne à prendre, sans être accusé d’exploitation indigne ou de ‘travail dissimulé’, on apprenait ainsi que le travail de la terre est dur, dur pour le dos, à sarcler les échalotes, ramasser les courgettes, trier les betteraves, dur, long et ingrat comme l’éducation des enfants, avant qu’on ne cherche à tout standardiser, automatiser. Les produits et les aliments avaient du goût, un autre goût et un autre coût ! il suffit de regarder l’évolution du budget des ménages, la part de l’alimentation divisée pratiquement par deux en cinquante ans (de 29% à 17%), comme l’habillement, à l’inverse de la téléphonie et des loisirs.
Il y avait un refrain qui faisait mon bonheur, qu’on utilisait pour les petits veaux auprès de leur mère : ‘ils profitent’. Ils profitaient des meilleures conditions d’attention et de soin, de la nourriture la plus saine, avant d’être mangés. Va, mon petit, profite. Mange, nourris-toi, avant d’être mangé et de nourrir les autres. Cela s’appelle le service de la vie. Nourrir ceux qui ont faim, pas seulement de pain mais de ce qui nourrit l’âme, l’esprit, l’imaginaire, qui fait rêver.Manger, prendre des forces pour nourrir et en faire profiter les autres.
Par quelle dérive en sommes-nous venus dans l’Eglise à concevoir le service de la vie sous ses angles d’entrée et de sortie, de la vie naissante ou de la fin de la vie, qui fait que l’Eglise s’est ‘cornérisée’ au sens footballistique, qui désigne celui qui ne joue plus que dans les coins, on pourrait dire qui ne marque plus que sur coup de pied arrêté, incapables de déployer un vrai plan de jeu, une stratégie d’attaque et d’occupation du terrain … Alors, faut-il le rappeler, que c’est avec ses amis et au cours d’un repas que notre Seigneur a institué le sacrement suprême de l’unité et de la charité, la messe.
Le Christ, disait Jean-Paul II dans sa Lettre aux Familles, « n’a-t-il pas institué l’Eucharistie dans un contexte familial, au cours de la dernière Cène ? Quand vous vous rencontrez pour les repas et que vous êtes unis entre vous, le Christ est proche de vous » (Lettre aux Familles, n. 18, 1994). Quand nous sommes unis entre nous, comme nous voulons le vivre à Noël.
Depuis les premières lignes de la Bible, sur la nourriture que Dieu nous donne, les herbes et les fruits qui sont sur la surface de la terre (Gn 1, 29), la terre à cultiver, avant que ce travail se fasse « à la sueur de ton visage » -, jusqu’au « repas des noces de l’Agneau » à la fin du livre de l’Apocalypse (Ap 19, 9) toute l’Ecriture nous ramène à cette réalité incontournable que nous célèbrerons à Noël, après avoir adoré l’enfant-Jésus dans une mangeoire : il faut travailler et manger pour vivre. Souvenez-vous de l’ordre de saint Paul il y a trois dimanches : « si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 10). Il ajoutait à l’intention de ceux « qui mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire, cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné ».
Alors que mes amis, les uns après les autres, prennent leur retraite, je m’inquiète pour ceux qui n’ont rien préparé de leur vie intérieure, qui risquent de se retrouver face à un résidu d’image d’eux-mêmes, à l’exact contraire de Jean-Baptiste qui avait commencé par la solitude, seul au désert, avant de rencontrer les foules.
Le premier devoir de la famille chrétienne, vous-disais-je au 1er dimanche de l’Avent, est la formation d’une communauté de personnes, communauté de vie et d’amour. Et cela supposeun objectif commun, une convergence : marcher à la lumière du Seigneur, la famille étantmoins une origine qu’une espérance.
Le deuxième devoir de la famille chrétienne est « le service de la vie » car la famille est une communauté de vivants, faite pour la vie, autant extérieure, sérieuse ou joyeuse, laborieuse ou festive, que la vie intérieure de notre âme. Nourrir et protéger son âme autant que son corps.
Et si la formation d’une communauté de personnes exige un « effort constant » d’attention et d’amour, le service de la vie exige « un style de vie simple et sobre ». Cette expression de Jean-Paul II vient d’un passage de Familiaris consortio sur la mission d’éducation des parents(n. 37) : « Bien qu’affrontés aux difficultés, souvent plus grandes aujourd’hui, de leur tâche d’éducateurs, les parents doivent, avec confiance et courage, former leurs enfants au sens des valeurs essentielles de la vie humaine. Les enfants doivent grandir dans une juste liberté devant les biens matériels, en adoptant un style de vie simple et sobre, bien convaincus que ‘l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a’ » (citation de la constitution Gaudium et spes du Concile Vatican II sur l’Eglise dans le monde de ce temps, n. 35).
Le texte français dit ‘simple et austère’, mais le terme d’austérité a pris une telle connotation qu’il est préférable de parler de sobriété qui fait porter l’accent sur la modération plus que sur la gravité. On sera austère au Carême, à l’approche du printemps, pas avant Noël, et l’hiver.
Gagner en liberté devant les biens matériels par un style de vie simple et sobre, c’est ce qu’incarne Jean-Baptiste. Ses parents, Zacharie et Elisabeth étaient à sa naissance à l’âge de la retraite : lui servait dans le Temple quand ils furent exaucés dans leurs prières et qu’elle devint mère à l’âge d’être grand-mère. Ils ont transmis à Jean l’amour de Dieu et de la Création, ils lui ont appris le service de la vie. Jean a, le moment venu, désigné le Christ à ses disciples. Ils sont devenus ses apôtres : André, Simon-Pierre, Philippe, Nathanaël-Barthélémy (cf. Jn 1, 40).
Jean leur avait dit : Voici l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde.
Pour cette deuxième semaine de l’Avent, je vous propose, pour entrer dans la profondeur deNoël, de vous interroger sur la possibilité de choisir un style de vie simple et sobre, qui laisse plus de place à Dieu, aux autres, et à notre vie intérieure..
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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