Il y a des fêtes de la Vierge Marie tout au long de l’année, parfois plusieurs par mois mais en Avril une seule, Notre-Dame du Bon Conseil le 26 avril (qui commémore la translation d’une fresque par des anges en 1467). C’est sous ce titre que je lui ai demandé son aide, à Notre Mère du Bon Conseil, Marie Trône de la Sagesse, pour aborder avec vous, dans le cadre de notre réflexion en ce temps pascal sur les fins dernières, la question de l’enfer et la possibilité de la damnation pour toujours.
La difficulté d’une parole sur l’Enfer vient de ce que nous devons rassurer ceux qui sont terrifiés et prévenir ceux qui s’en moquent. Ceux-là sont en danger. Rassurer et prévenir, tout l’équilibre de l’éducation. L’amour rassure, l’amour prévient.
La terreur de l’enfer est légitime. Davantage que de récits effrayants, l’expérience que sainte Thérèse d’Avila en a faite en 1539 qu’elle raconte au chapitre 32 de sa Vie, déterminante pour l’Ordre qu’elle fonda, cette terreur naît de la confrontation de la Gloire de Dieu et de notre indignité : Malheur à moi ! je suis un homme aux lèvres impures s’écrie le prophète Isaïe (Is 6, 5). Ces lèvres impures désignent la violation de la Loi par la consommation de viandes interdites et l’impureté de nos paroles malveillantes, blasphématoires ou indignes.
Il sera « tout pardonné aux enfants des hommes dit Jésus, leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours » (Mc 3, 29). « Cela ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde ni dans le monde à venir » ajoute saint Matthieu (Mt 12, 32), établissant la possibilité de la damnation pour toujours.
Le plus grand théologien du XXème siècle, on disait l’homme le plus cultivé (mais que signifie être cultivé si on ne connaît pas Dieu ?), Hans Urs von Balthasar a publié en 1987, il n’y a pas si longtemps, un petit livre intitulé ‘Espérer pour tous’, contre les esprits étroits qui doutent de l’universalité du Salut : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés – et il y a un seul Sauveur Jésus-Christ » (1 Tim 2, 5). Rappelez-vous dimanche dernier : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12).
La parabole de la vigne et des sarments marque à cet égard un pas supplémentaire par rapport à celle du Bon Pasteur : nous ne sommes plus des brebis menacées du « loup qui s’en empare et les disperse », mais le danger est intérieur, des sarments que seule l’union au Christ sauve du « feu qui ne s’éteint pas » (cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique n. 1034).
Si vous saviez le nombre de fidèles, de prêtres, religieuses, consacrées, terrifiés par l’enfer, en réalité par la conscience de leur indignité… C’est préférable que de prendre les avertissements du Seigneur à la légère, de vivre comme si Dieu n’existait pas et de croire que rejeter son amour est sans conséquences.
Deux frères et une sœur, autour de la soixantaine, s’étaient occupés de leur père dans les deux dernières années de sa vie, quand il n’avait plus été autonome, alors que ce père avait été odieux et même violent avec eux dans leur enfance, vivant une vie de désordres, dilapidant ses biens avec des femmes vénales qu’il avait couchées sur son testament, qui n’avaient finalement été présentes ni à l’hôpital ni à ses obsèques. Les enfants avaient enduré tout cela, et ils avaient eu du mal le jour de l’enterrement à ne pas exprimer leur rancœur et la méchanceté de cet homme qui n’aura eu jusqu’à la fin aucune parole ni geste de regret ni d’affection, qui n’avait jamais aimé que lui.
C’est la raison pour laquelle, dans tous les cas, il vaut mieux éviter les témoignages pour laisser à Dieu le Jugement, et prier pour que la personne défunte soit capable de demander pardon.
L’un des frères avait réussi à surmonter ses sentiments : il avait trouvé une parole positive en parlant de l’enfant que son père avait été, de son âme d’enfant peut-être profondément enfouie mais créée pour Dieu, pour la rencontre de Dieu, pas pour se fondre ni disparaître dans un grand tout, et encore moins pour se perdre pour toujours.
Il était venu me voir après me dire ses scrupules : ‘c’est par devoir et non par amour que nous nous sommes occupés de lui ; il nous a tellement blessés toute notre vie’ …
Je lui ai cité la 2ème lecture de ce dimanche : « Dieu est plus grand que notre cœur ». Elle s’adresse à tous ceux qui ont conscience de leur indignité : « Notre cœur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre cœur ». La Miséricorde est le visage du Christ, et elle nous est donnée par notre union à Lui. Il n’y a pas d’autre Nom par lequel nous puissions être sauvés.
C’est pourtant simple : il faut s’unir au Christ pour être sauvés. S’unir au Christ par la prière, les sacrements, le baptême, la messe, la confession, s’unir à lui dans la charité, dans le respect et l’accueil. S’unir au Christ pour échapper à l’enfer.
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Autobiographie de sainte Thérèse d’Avila Chapitre 32 – (début sur la vision de l’enfer
Déjà, depuis longtemps, Notre Seigneur m’avait accordé la plupart des grâces dont j’ai parlé et d’autres encore fort insignes, lorsqu’un jour, étant en oraison, je me trouvai en un instant, sans savoir de quelle manière, transportée dans l’enfer.
Je compris que Dieu voulait me faire voir la place que les démons m’y avaient préparée, et que j’avais méritée par mes péchés. Cela dura très peu ; mais quand je vivrais encore de longues années, il me serait impossible d’en perdre le souvenir.
L’entrée de ce lieu de tourments me parut semblable à une de ces petites rues très longues et étroites, ou, pour mieux dire, à un four extrêmement bas, obscur, resserré. Le sol me semblait être une eau fangeuse, très sale, d’une odeur pestilentielle, et remplie de reptiles venimeux. A l’extrémité s’élevait une muraille, dans laquelle on avait creusé un réduit très étroit où je me vis enfermer. Tout ce qui, jusqu’à ce moment, avait frappé ma vue, et dont je n’ai tracé qu’une faible peinture, était délicieux en comparaison de ce que je sentis dans ce cachot, Nulle parole ne peut donner la moindre idée d’un tel tourment, il est incompréhensible. Je sentis dans mon âme un feu dont, faute de termes, je ne puis décrire la nature, et mon corps était en même temps en proie à d’intolérables douleurs. J’avais enduré de très cruelles souffrances dans ma vie, et, de l’aveu des médecins, les plus grandes que l’on puisse endurer ici-bas ; j’avais vu tous mes nerfs se contracter à l’époque où je perdis l’usage de mes membres ; en outre, j’avais été assaillie par divers maux dont quelques-uns, comme je l’ai dit, avaient le démon pour auteur. Tout cela, néanmoins, n’est rien en comparaison des douleurs que je sentis alors ; et ce qui y mettait le comble, c’était la vue qu’elles seraient sans interruption et sans fin.
Mais ces tortures du corps ne sont rien à leur tour auprès de l’agonie de l’âme. C’est une étreinte une angoisse, une douleur si sensible, c’est en même temps une si désespérée et si amère tristesse, que j’essaierais en vain de les dépeindre. Si je dis qu’on se sent continuellement arracher l’âme, c’est peu ; car dans ce cas, c’est une puissance étrangère qui semble ôter la vie, mais ici, c’est l’âme qui se déchire elle-même. Non, jamais je ne pourrai trouver d’expression pour donner une idée de ce feu intérieur et de ce désespoir, qui sont comme le comble de tant de douleurs et de tourments. Je ne voyais pas qui me les faisait endurer, mais je me sentais brûler et comme hacher en mille morceaux: je ne crains pas de le dire, le supplice des supplices, c’est ce feu intérieur et ce désespoir de l’âme.
Toute espérance de consolation est éteinte dans ce pestilentiel séjour ; on ne peut ni s’asseoir ni se coucher, car l’espace manque dans cette sorte de trou pratiqué dans la muraille ; et les parois elles-mêmes, effroi des yeux, vous pressent de leurs poids. Là, tout vous étouffe ; point de lumière ; ce ne sont que ténèbres épaisses ; et cependant, ô mystère ! sans qu’aucune clarté brille, on aperçoit tout ce qui peut être pénible à la vue.
Il ne plut pas à Notre Seigneur de me donner alors une plus grande connaissance de l’enfer. Il m’a montré depuis, dans une autre vision, des choses épouvantables, des châtiments encore plus horribles à la vue, infligés à certains vices ; mais comme je n’en souffrais point la peine, mon effroi fut moindre. Dans la première vision, au contraire, ce divin Maître voulut que j’éprouvasse véritablement ces tourments et cette peine dans mon esprit, comme si mon corps les eût soufferts.
J’ignore la manière dont cela se passa, mais je compris bien que c’était une grâce insigne, et que le Seigneur avait voulu me faire voir, de mes propres yeux, de quel supplice sa miséricorde m’avait délivrée. Car tout ce qu’on peut entendre dire, de l’enfer, ce que j’en avais lu ou appris dans mes propres méditations, quoique j’aie assez rarement approfondi ce sujet, la voie de la crainte ne convenant pas à mon âme, tout ce que les livres nous disent des déchirements et des supplices divers que les démons font subir aux damnés, tout cela n’est rien auprès de la peine, d’un tout autre genre, dont j’ai parlé ; il y a entre l’un et l’autre la même différence qu’entre un portrait inanimé et une personne vivante; et brûler en ce monde est très peu de chose, en comparaison de ce feu où l’on brûle dans l’autre.
Je demeurai épouvantée, et quoique six ans à peu près se soient écoulés depuis cette vision, je suis en cet instant saisie d’un tel effroi en l’écrivant, que mon sang se glace dans mes veines. Au milieu des épreuves et des douleurs, j’évoque ce souvenir, et dès lors tout ce qu’on peut endurer ici-bas ne me semble plus rien, je trouve même que nous nous plaignons sans sujet. Je le répète, cette vision est à mes yeux une des plus grandes grâces que Dieu m’ait faites ; elle a contribué admirablement à m’enlever la crainte des tribulations et des contradictions de cette vie ; elle m’a donné du courage pour les souffrir; enfin, elle a mis dans mon cœur la plus vive reconnaissance envers ce Dieu qui m’a délivrée, comme j’ai maintenant sujet de le croire, de maux si terribles et dont la durée doit être éternelle.
Depuis ce jour, encore une fois, tout me parait facile à supporter, en comparaison d’un seul instant à passer dans le supplice auquel je fus alors en proie. Je ne puis assez m’étonner de ce qu’ayant lu tant de fois des livres qui traitent des peines de l’enfer, j’étais si loin de m’en former une idée juste, et de les craindre comme je l’aurais dû. A quoi pensais-je alors, et comment pouvais-je goûter quelque repos dans un genre de vie qui m’entraînait à un si effroyable abîme ? O mon Dieu, soyez-en éternellement béni ! Vous avez montré que vous m’aimiez beaucoup plus que je ne m’aime moi-même. Combien de fois m’avez-vous délivrée de cette prison si redoutable, et combien de fois n’y suis-je point rentrée contre votre volonté !
Cette vision a fait naître en moi une indicible douleur à la vue de tant d’âmes qui se perdent. Elle m’a donné en outre les plus ardents désirs de travailler à leur salut : pour arracher une âme à de si horribles supplices, je le sens, je serais prête à immoler mille fois ma vie.
Je m’arrête souvent à cette pensée : nous sommes naturellement touchés de compassion quand nous voyons souffrir une personne qui nous est chère, et nous ne pouvons nous empêcher de ressentir vivement sa douleur quand elle est grande. Qui pourrait donc soutenir la vue d’une âme en proie pour une éternité à un tourment qui surpasse tous les tourments ? Quel cœur n’en serait déchiré ? Émus d’une commisération si grande pour des souffrances qui finiront avec ]a vie, que devons-nous sentir pour des douleurs sans terme ? Et pouvons-nous prendre un moment de repos, en voyant la perte éternelle de tant d’âmes que le démon entraîne chaque jour avec lui dans l’enfer ?
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Père Christian Lancrey-Javal, curé
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