On ne sait pas grand-chose de la vie de Jésus jusqu’au début de sa vie publique. Son retour dans son ‘lieu d’origine’ (sa ‘patrie’), là où il a grandi, où il a travaillé, montre qu’il n’y a pas beaucoup d’amis. L’accueil n’est pas très chaleureux. Ce n’est pas le retour du fils prodigue. La raison est simple : il était à part. Il n’avait pas fait les bêtises des enfants de son âge, pas eu besoin de braver les interdits, ni d’éprouver ses limites. Il avait grandi en taille, en sagesse et en grâce, devant Dieu et devant les hommes (Lc 2, 52).
On retrouve ce décalage, toutes proportions gardées, dans la vie de tant de saints et de saintes qui ont manifesté cette sainteté dès l’enfance, sainte Geneviève, sainte Odile, sainte Rose de Lima. Ils et elles sont des milliers.
Ces saintes et ces saints précoces ne faisaient pas ça pour faire plaisir à leurs parents qui s’en inquiétaient plutôt, mais parce qu’ils étaient animés par l’Esprit-Saint, amoureux de Jésus, à l’écoute permanente de la volonté du Père.
Combien plus Jésus, qui est Dieu de toute éternité, et homme dès sa conception par l’Esprit-Saint dans le ventre de sa mère. Pleinement Dieu et pleinement homme.
Les gens de Nazareth n’ont pas de problème à le reconnaître physiquement : il n’a pas changé, mais ils sont, dit le texte, ‘scandalisés’, évidemment pas sur le plan moral, mais sur le plan des coutumes ou des conventions : il n’était pas d’usage qu’un charpentier devienne enseignant, encore moins fasse des miracles, et se présente comme un prophète. On ne sortait pas de sa condition sociale d’origine et on ne prenait pas de telles libertés à l’égard de sa famille, de ses frères et sœurs (au sens méditerranéen de cousins) : on se définissait dans son identité par sa famille de sang et de sol.
Apparaît ce jour-là en pleine lumière ce qu’on avait toujours reproché à Jésus : d’être à part.
Nous devons y être attentifs parce que c’est ce que le Christ nous demande : d’être nous-même, c’est-à-dire comme lui et pas comme eux, de ne pas faire comme tout le monde, de ne pas penser comme tout le monde, en un mot d’être vrai ! d’être libre ! d’être soi ! sachant que le prix à payer est élevé, qui peut aller par amour du Christ jusqu’au martyre.
Pour les proches et en particulier les parents c’est très difficile.
Je me souviens de la réaction d’une amie devant qui j’avais imaginé que sa fille de dix ans devienne plus tard religieuse. Que n’avais-je pas dit ! Sa fureur ! Au séminaire, ceux de mes camarades dont les parents étaient hostiles à leur vocation venaient de familles chrétiennes. J’en ai connu deux dont la maman a fait un zona quand leur fils est entré au séminaire.
Pour les parents, leur enfant est un être unique, c’est le propre de l’amour : tu as du prix à mes yeux, tu es unique et je t’aime. Mais ils s’inquiètent aussi de sa reconnaissance par les autres et de son intégration sociale.
Il faut faire la différence entre être mis à part de la part des hommes et de la part de Dieu.
De la part des hommes, c’est l’œuvre du Diable. Quand Pierre entend Jésus annoncer sa Passion, il le prend à part et se fait sévèrement corriger : Passe derrière moi Satan !
De la part de Dieu, c’est au contraire honorer, bénir et sanctifier. « Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère » dit saint Paul (Gal 1, 15), qui le reçoit comme un honneur, à Dieu tout honneur et toute gloire, c’est le mot que Jésus emploie quand il dit qu’un prophète n’est ‘sans honneur’ (méprisé) que dans son pays, sa parenté et sa maison.
Il y a trois raisons pour lesquelles Dieu peut nous mettre à part, et qui font de nous un peuple de prêtres, de prophètes et de rois.
La première raison est un objectif de sanctification, pour être préservé de la banalité du mal, du mal qui ne choque plus ceux qui s’y baignent, par habitude ou résignation. Dans l’Ancien Testament, la loi de sainteté est une loi de séparation. Ne faites pas comme les autres nations. Nous sommes un peuple de prêtres parce que nous sommes appelés par notre baptême à une vie sainte.
La deuxième raison est un objectif de révélation, disons d’évangélisation, qui est la mission des prophètes : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré. Je fais de toi un prophète pour les nations » (Jr 1, 5) – et qui a été portée à sa perfection par le Christ à qui s’appliquent les paroles des Chants du Serviteur souffrant : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur – je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 6).
La troisième raison est l’amour. Le critère et la vérité de la sainteté est la charité, et celui ou celle qui est mise à part par Dieu, cela peut être dans la douleur, le handicap, la maladie, l’accepte pour le Royaume, dont la loi est l’amour : Dieu nous met à part pour que nous soyons proches de ceux qui sont seuls, exclus, trahis, abandonnés. Et s’il le faut, pour que nous partagions leur malheur. Dieu nous met à part pour que nous ne laissions personne de côté.
Nous sommes, au nom du Christ, un peuple de prêtres, de prophètes et de rois. Nous avons reçu au jour de notre baptême cette triple mission, sacerdotale, de sainteté de vie, prophétique, d’annonce du Royaume, et royale, de service de nos frères.
Gardons à l’esprit cette parole réconfortante du Serviteur souffrant : « Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force » (Is 49, 5).
Et souvenons-nous cet été, comme toute l’année, que Jésus allait à l’écart pour prier.
C’est seulement en étant unis à lui que nous pouvons accepter et même souffrir d’être à part – pour ne laisser personne de côté.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire