A la Transfiguration que nous avons fêtée le 6 Août, Pierre avait été tenté de figer ce moment lumineux, d’arrêter le temps : ‘dressons trois tentes’. « Il ne savait ce qu’il disait » (Lc 9, 33). Il y a des moments heureux dont nous voudrions qu’ils ne s’arrêtent jamais et il y a des épreuves auxquelles au contraire nous voudrions échapper, à commencer par le grand passage. Pierre voudrait que Jésus échappe à la mort. La réponse est cinglante : ‘Satan !’ parce que c’est le premier mensonge, le mensonge de l’origine, que le serpent avait dit à la femme : « Pas du tout, vous ne mourrez pas ! » (Gn 3, 4).
‘Vous êtres trop jeune ou Tu es trop jeune pour mourir’. Voilà l’exemple type des ‘pensées des hommes qui ne sont pas celles de Dieu’. Il n’y a pas d’âge pour mourir. On peut mourir à tout moment, et la Création elle-même disparaîtra : le cosmos sera transformé (Gaudium et spes, n. 39). Elle a eu un début : elle aura une fin, comme toutes les créatures, sauf l’être humain créé à l’image de Dieu, pour une existence impérissable, nous sommes appelés à la vie divine.
Nous avions ce vendredi 1er septembre, 1er vendredi du mois consacré au Cœur sacré de Jésus, la ‘Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création’, qui aura été un des sujets de conversation de l’été, entre canicules, sécheresses et incendies, dans le Sud, car ici, dans l’église, nous avons eu des inondations à cause des pluies, voyez les cloques au plafond !
S’est ouvert vendredi le ‘Temps pour la Création’ du 1er septembre jusqu’au 4 octobre, fête de saint François d’Assise. Pourquoi le 1er septembre ? L’initiative en revient aux Eglises orthodoxes : le Patriarche de Constantinople avait choisi en 1989 cette date du 1er septembre qui est pour eux le début de l’année liturgique.
J’ai mis à la suite de cette homélie le message du Pape François pour cette ‘Journée de prière pour la sauvegarde de la Création’ où il appelle à une triple transformation de nos cœurs, de nos modes de vies, et des politiques publiques.
Il rappelle le lien entre Création et Rédemption, citant Benoît XVI : « Le Rédempteur est le Créateur et si nous n’annonçons pas Dieu dans cette grandeur totale qui est la sienne – de Créateur et de Rédempteur – nous dévalorisons également la Rédemption ».
Nous le vivons chaque Dimanche en adorant Dieu le Père tout-puissant créateur du Ciel et de la Terre, en offrant le pain et le vin, fruits de la terre, de la vigne, et du travail des hommes, pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang du Christ. Pour qu’en croyant au Christ et en recevant son Corps, nous ayons la vie en son Nom, la vie divine, éternelle. Pour que nous mourions en lui, en mourant au péché, à nos limites et à nos faiblesses.
Oui nous mourrons corporellement : le Christ n’est pas venu nous empêcher de mourir mais pour nous sauver de la « seconde mort » (Ap 20, 6. 21, 8), la seule évitable, de notre âme, la première inévitable étant celle de notre corps.
« Passe derrière moi », dit Jésus à Pierre. Il est fort ce thème du passage, de ce qui est passager, provisoire et changeant, qui est la nature du cosmos comme de notre société.
Saint Paul dit qu’ « elle passe la figure de ce monde » (1 Co 7, 31), nous exhortant à en user comme si nous n’en usions pas, à en profiter comme si nous n’en profitions pas, à ne pas nous attacher à ce qui est passager, car le monde n’est pas fait pour durer éternellement.
Nous avons à trouver un équilibre entre l’exploitation insensée et diabolique des ressources de la planète, et sa sacralisation qui serait erronée. J’ai lu cet été, sur le sujet de la Création, cette phrase du frère Jean-Miguel Garrigues qui m’a fait sursauter : « le chrétien n’est pas là pour éterniser le monde ».
Il explique qu’ « il n’y a pas à s’effrayer si ce monde ancien s’use, il est fait pour cela. Cela ne veut pas dire que nous le parcourons comme un pur décor de théâtre dans lequel nos libertés évolueraient sans s’y engager. Le monde n’est pas une toile de fond, il est le terreau ou la chrysalide d’une liberté devant s’achever en communion d’amour ». C’est au 1erchapitre de son livre ‘Dieu sans idée du mal’ (1990), la phrase est de saint Thomas d’Aquin : « Dieu n’a pas idée du mal », déjà ébauchée dans l’Ancien Testament chez le prophète Habacuc : « Tes yeux sont trop purs pour voir le mal »(Habacuc 1, 13).
Il présente ainsi l’usage que nous devons en faire : « L’homme doit faire passer ce monde non en vanité mais en charité. Toute l’aventure de la création est celle d’une nature qui devient histoire, l’histoire de la liberté humaine se nourrissant en quelque sorte du monde inorganique ou animal. L’homme, comme l’arbre, doit à la fois s’enraciner dans la terre et monter vers le ciel ». Le père, architecte génial, d’une de mes amies disait qu’il faut dessiner un arbre chaque jour. Apprendre d’eux à aller vers le ciel et la lumière en puisant à l’essentiel.
Tel est le passage ‘vers le Père’ : « Le chrétien est celui qui passe et qui n’a pas peur de passer car il a reçu l’art de passer dans la charité », et voilà pourquoi Pierre doit passer « derrière moi » dit Jésus qui est la Charité, l’amour en personne.
« Une des plus belles choses que le Père apprend aux chrétiens c’est à passer dans le temps : à être jeunes, puis adultes, puis à mourir, et à savoir le faire dans l’amour, dans la joie, avec le rayonnement de celui qui a renoncé à la nostalgie du mythe d’une création immobile ».
Telle est, dit le Pape François dans son message, « la “conversion écologique” que saint Jean-Paul II nous a exhortés à entreprendre : le renouvellement de notre relation avec la création, de sorte que nous ne la considérions plus comme un objet à exploiter, mais que nous la chérissions comme un don sacré du Créateur » – pour participer à sa Gloire.
Lorsque, à la fin du monde, le Fils de l’homme viendra avec ses anges, il rendra à chacun selon sa conduite, suivant que nous aurons passé notre vie en vanité ou en charité.
La vanité s’imagine que cela peut durer ; la charité s’efforce de s’adapter.
Voilà un bon programme pour cette rentrée, et pour notre vie : se préparer aux changements, pour s’y adapter. Pour qu’au milieu des changements de ce monde, nos cœurs s’établissent fermement dans le Christ, Lui qui est le Même, aujourd’hui et toujours, pour l’éternité.
Voulons-nous que notre vie passe en vanité ou en charité ?
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Message du Pape François pour la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création – Lire
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