La bénédiction solennelle des messes des défunts comporte une formule qui m’a toujours un peu intrigué. Elle commence par ce par quoi nous devons tous toujours commencer, entendre la souffrance, demander une grâce de consolation et d’espérance : « Qu’il vous console dans votre peine, qu’il fasse grandir votre foi ».
Et puis le texte poursuit : « Que les vivants soient pardonnés de leurs fautes, que les défunts accèdent à ton Royaume ».
Je me serais plutôt attendu à une formule du type : « Que nos défunts soient pardonnés de leurs fautes et accèdent ainsi à ton Royaume ». C’est la raison pour laquelle le prêtre est aujourd’hui en violet, couleur de pénitence. Il peut même être en noir, j’ai une chasuble noire, un peu vieillie, que je mets rarement : c’est trop violent. Et cela ne correspond pas à notre démarche de conversion solidaire : des vivants et des morts
Nous souffrons mutuellement de nos fautes. Nous vivants, nous souffrons des fautes de nos défunts et réciproquement. Corollaire du lien d’amour qui nous unit, que la mort n’interrompt pas, suivant « la continuité fondamentale » que l’Eglise enseigne, « par la vertu de l’Esprit-Saint, entre la vie présente dans le Christ et la vie future : la charité est la loi du Royaume de Dieu et c’est la mesure de notre charité ici-bas qui sera celle de notre participation à la gloire du ciel ».
Voyez, dans l’évangile de saint Luc, la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Lc 16, 19-31). Dans un Rituel des années 50, on en avait tiré cette prière pour le cimetière : « Que les Anges vous accompagnent au Paradis. Qu’à votre arrivée les Martyrs vous accueillent et qu’ils vous introduisent dans la Cité sainte, la Jérusalem du ciel. Que le Chœur des Anges vous reçoivent et qu’avec Lazare, si pauvre autrefois, si heureux maintenant, vous jouissiez du repos éternel.Amen ».
Dans la parabole, le pauvre Lazare est à sa mort emporté par les anges dans le sein d’Abraham tandis que le mauvais riche, qui l’avait laissé souffrir à sa porte, est en proie à la torture et il supplie : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
– Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous”.
Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Pourquoi cinq frères ?
Pour que nous comprenions qu’ils étaient six et Lazare aurait dû être le septième, leur frère et notre frère. Nous avons la même clé dans l’évangile de la Samaritaine qui avait eu cinq maris avant son compagnon, faisant du Christ le septième, le véritable époux.
Ce n’est pas un hasard si, dans l’évangile de saint Jean, Lazare est le nom du frère que Jésus aimait, frère de Marie et Marthe, le frère malade que Jésus ramène à la vie.
Que fais-tu, qu’as-tu fait de ton frère ? Je ne sais pas, répondit Caïn, avec quelle impudence ! Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère ? (Gn 4, 9).
Dans les souffrances du Purgatoire, il y a et il y aura le fait de voir nos proches commettre les mêmes fautes que nous. Nous vivons une communauté de destin qui s’appelle la communion des saints. Nos défunts souffrent de nos fautes autant que nous pouvons souffrir des leurs.
Au mauvais riche rongé par l’angoisse qui suppliait Abraham de faire prévenir ses frères, la réponse d’Abraham est très claire : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !” L’autre d’insister : “Non, père Abraham, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
“S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, répondit Abraham, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.”
La meilleure façon d’aider ceux qu’on aime, c’est se convertir soi-même.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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