Il arrive au moment des obsèques que des familles émettent le souhait d’une messe gaie, que ce soit joyeux, et me proposent des chants à la louange de Dieu, comme le Psaume de la Création – mon Dieu tu es grand tu es beau. J’essaye de les dissuader car même lorsque la mort apparaît comme un soulagement après de longues souffrances, ou simplement naturelle à près ou plus de cent ans, elle n’en est pas moins un mystère de ténèbres devant lequel le Christ lui-même a ressenti frayeur et angoisse.
La mort est le point culminant du mystère du mal.
Et les funérailles ne sont pas tant le lieu de célébrer la beauté de la Création que le mystère de la Rédemption et c’est pourquoi il convient, chaque fois que cela est possible, de célébrer une messe, la mort et la Résurrection du Christ, principe de notre propre résurrection (Catéchisme n. 658). La mission des prêtres commence à l’accueil des familles et des proches, en se laissant conduire par l’Esprit Consolateur, pour donner l’Espérance et demander le Pardon.
L’homélie que j’ai faite au moment du Carême sur le mystère du mal (5ème dimanche, 3 avril dernier), est l’une des deux qui m’ont le plus éclairé cette année, sur les trois armes que Dieu nous donne : la Compassion, l’Espérance et le Pardon. Comme un CEP de vigne. Elles sont les réponses de l’Amour aux trois formes du Mal : la Compassion est la réponse de l’Amour au mal physique, la souffrance et la douleur. L’Espérance est la réponse de l’Amour au mal métaphysique, la maladie et la mort. Le Pardon est la réponse de l’Amour au mal moral, l’offense et le péché.
Elles ne sont pas faciles à tenir ensemble : la Compassion voudrait qu’on adhère quand les proches d’un défunt disent : ‘il ou elle ne souffre plus’. La vérité de l’Espérance et du Pardon exige plus de prudence : On n’en sait rien. On l’espère mais on n’en sait rien.
Les révélations faites sur des personnes qui avaient été considérées comme des Saints de leur vivant devraient nous rendre prudents. C’est le mystère de la personne que nous devons respecter. Il y a surtout le fait que nul ne peut se réjouir devant une mort, quelle qu’elle soit, et c’est ce qui rend le dialogue impossible en matière de bioéthique : nous ne pourrons jamais présenter la mort comme un droit. La mort est le point culminant et le résultat du péché.
Pour les obsèques d’un petit enfant nous sommes revêtus d’ornements blancs et non pas violets de pénitence, car nous demandons à cet enfant de prier pour nous, nous ne prions pas pour lui. Mais quelle souffrance pour les parents !
De tous les chants qu’il me semble préférable de mettre de côté, il y en a un que j’écarte parce que la première phrase est inappropriée qui répète : ‘Tressaillez de joie’ – mais que je regrette tant la suite est fondamentale : ‘car vos noms sont inscrits dans le cœur de Dieu’.
Cette parole du Christ s’adresse à ses disciples de retour de mission, tout heureux d’avoir vu les démons vaincus en son Nom. Ne vous réjouissez pas, leur dit-il, parce que les esprits vous sont soumis mais « parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux » (Lc 10, 20).
A tous ceux qui promettent à la mort d’un proche : ‘tu vivras toujours en moi, dans mon cœur, dans ma mémoire’, la foi catholique dit : Attention ! Non pas à vos promesses mais attention, elle ne vit pas seulement en vous : son âme existe indépendamment de vous, heureusement. Elle a été créée par Dieu pour vivre en lui et elle existe en soi, pour toujours, comme chacun de nous, comme toute personne créée corps et âme, corps, âme et esprit, l’esprit étant chargé d’unifier les deux, l’âme et le corps, pour la vie éternelle.
Voilà ce qui nous réunit en ce jour, la foi dans le pardon et la grâce de l’espérance.
La foi dans le pardon, la pénitence est au cœur de notre prière pour les défunts : nous implorons le pardon de leurs péchés, et des nôtres ! Nous demandons miséricorde et consolation dans la douleur de l’absence – Seigneur, elle me manque ! – et nous demandons une grâce d’espérance : donne-moi de la retrouver un jour auprès de toi.
En langage biblique, le nom signifie la personne : avoir son nom inscrit dans les cieux signifie être auprès de Dieu.
Pourquoi alors aller au cimetière ? Pour ne pas prier que pour ses proches. L’Eglise demande, en cas de crémation, que l’urne des cendres soit placée dans un cimetière, un colombarium, pour que chaque visiteur prie aussi pour les autres, pour tous les défunts et pour toutes les personnes endeuillées. De la même façon que nous nous réunissons à la messe le dimanche pour prier en continuité de notre prière quotidienne.
Pour que nos noms soient inscrits dans le cœur de Dieu, il faut qu’ils soient aussi inscrits, avec amour et reconnaissance, dans le cœur des hommes. Que le souvenir que nous laisserons soit de gratitude et de reconnaissance est nécessaire même s’il n’est pas suffisant : que nous soyons surtout avec Dieu, avec Jésus-Christ pour être avec ceux que nous aimons. Réunis ensemble dans le cœur de Dieu.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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