Un de mes plus vieux amis m’a appelé bouleversé cet été ne sachant plus quoi faire, croire ni penser, totalement perdu devant l’état de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis des années : elle ne le reconnaît plus depuis longtemps quand il va la voir – mais ce jour-là il l’a trouvée dormant la tête dans l’assiette de son repas, c’était trop. ‘Quel sens ça a, mais quel sens ça a ?’ L’image m’a hanté que je ne peux m’empêcher d’associer à la scène de l’évangile où on apporte au roi Hérode la tête de Jean-Baptiste sur un plateau.
Qui peut supporter cela ?
Je lui ai dit deux choses, comme prêtre et comme ami : j’ai connu sa mère, sa famille, j’ai célébré les obsèques de son père, et je sais ce qui rend la situation encore plus difficile, les conflits entre frères et sœurs, les contentieux avec la mère, les deux sont mêlés – c’est déjà terrible la maladie, mais pire encore quand les relations de famille sont conflictuelles.
Je n’oublie pas ce que m’avait dit un couple avec qui je faisais la préparation au baptême dans ma première paroisse : s’étant disputés un soir, ils s’étaient endormis fâchés, et au milieu de la nuit il a un infarctus. Il s’en est sorti de justesse mais jamais plus, même en rêve, ils ne se séparent sans s’être réconciliés.
A cet ami je lui ai dit deux choses.
D’abord pour nous qui croyons en l’âme, à la vie intérieure, il y a le mystère et le secret de notre relation à Dieu qui ne se limite pas à ce qu’on peut en voir. Qu’est-ce qu’un mystère ? Un secret d’amour. Que se passe-t-il pour une personne coupée du monde ? Pourquoi serait-elle coupée de Dieu ? Au contraire, je croirais volontiers, ce que je crois du grand âge, que cette séparation du monde est une préparation au grand Passage et à la rencontre du Christ. Un temps de purification.
Ce purgatoire est porté, sans que nous puissions le mesurer, par le soin et l’attention que nous apportons à cette personne, quel que soit son état. Cette charité en acte est efficace pour elle et pour nous : pour elle, c’est une remise en place devant Dieu et pour nous aussi, c’est ce qui fait de nous des êtres humains, vraiment humains.
Vous avez vu ces affiches de la Mairie de Paris affirmant que l’interruption de la vie serait ‘un droit fondamental’. Quelle violence ! C’est d’être accueilli qui est un droit fondamental. On parle des migrants qui se noient en Méditerranée : mais les enfants qu’on empêche de naître sont, rien qu’en France, cent fois, 100 fois ! plus nombreux. Cent fois plus ! Mère Teresa a prophétisé le lien entre respect de la vie et construction de la paix.
Chacune de ces personnes est le Christ. Dans le sein de sa mère. Dans la fragilité de son exil. Dans la chambre de son Ehpad.
Nous sommes Chrétiens si nous reconnaissons le Christ en tout être humain, depuis sa conception jusqu’à son entrée qui peut être pénible et douloureuse dans la Maison du Père.
L’attention et le respect que nous portons aux plus vulnérables, à tous ceux qui sont sans défense, sans parole, incapables de s’exprimer, fait la différence entre les enfants de Dieu et les fils de ce monde.
Combien plus quand ces personnes perdues et parfois méconnaissables du fait de la maladie et du grand âge sont celles qui nous ont donné la vie, qui ont fait ce que nous sommes. Et si elles ont pu faillir dans leur mission, l’heure n’est pas au jugement, encore moins à la vengeance.
Cet ami dont je vous parle n’avait pas eu la mère aimante qu’il aurait voulu. Raison de plus pour lui donner ce qu’il n’avait pas reçu. Mais sa raison était mise à trop rude épreuve : combien de temps ça va durer ?! ça n’a pas de sens !
Ce jour-là, dans le livre que je lisais, sur un tout autre sujet, je trouve ceci, je cite de mémoire : ‘Aujourd’hui on ne cherche plus le bien, on cherche le sens’. C’est vrai à ceci près que le seul sens qui soit est le sens du bien.
La Bible a cette belle formule à propos des insensés qui vivent sans Dieu, qui sont sans foi ni loi : « Ils ont perdu le sens du bien ».
C’est le début du Psaume 35 :
« C’est le péché qui parle au cœur de l’impie ; ses yeux ne voient pas que Dieu est terrible.
Il se voit d’un œil trop flatteur pour trouver et haïr sa faute ; il n’a que ruse et fraude à la bouche, il a perdu le sens du bien ».
Ce serait catastrophique si nous ne savions ce que dit la parabole que nous venons d’entendre à savoir que ce sens du bien se retrouve aussi vite qu’il se perd !
C’est plein d’espérance ! Il avait en effet perdu le sens du bien ce fils qui ne voulait pas rendre service à son père. Heureux est-il qui se reprend (c’est plus joli que ‘repenti’). Quant au second, il croyait à tort que ce sens du bien est une fois pour toutes acquis, et que le bien se fait sans effort.
Les publicains et les prostituées que Jésus prend alors en exemple avaient (à cette époque) cet avantage sur les grands prêtres et les anciens qu’ils ne se prenaient pas pour des saints : ils savaient que ce qu’ils faisaient n’était pas bien.
Mes amis, il y a deux façons de retrouver le sens du bien : dans l’épreuve et dans le service.
Dans l’épreuve, quand on se rend compte qu’on s’est bercé d’illusions, qu’on a bâti sur du sable, et que, cherchant quelque chose de solide et de vrai à quoi se raccrocher, survient quelqu’un. Envoyé de Dieu. Car la deuxième façon de retrouver le sens du bien est de se mettre au service de ceux qui ont besoin d’aide et de soin.
On ne perd jamais son temps quand on rend service. On peut perdre son temps à ne s’occuper que de soi, de son confort ou son plaisir. On ne perd jamais son temps à s’occuper des pauvres, des malades, des souffrants, des anciens.
C’est le Christ qui nous l’a appris. Donne-nous, Seigneur, de retrouver le sens du bien.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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