Le Pape François a raconté que lorsqu’il était archevêque de Buenos-Aires, il a reçu la visite de deux hommes qui lui apportaient une mallette pleine de billets. C’est mieux que le Loto ! Il les a mis dehors : il a refusé cet argent qu’il savait être celui de la corruption. Je me suis demandé non pas ce que j’aurais fait, le contexte est trop différent, mais ce que je ferais si l’un d’entre vous m’apportait une mallette pleine de billets. J’ai réfléchi, j’ai discerné, j’ai consulté. Je prends !
Je préviendrais le bienfaiteur que je ne serais redevable de rien d’autre que d’une grande prière d’action de grâce et d’un emploi rapide et judicieux : je distribuerais l’argent à des personnes qui en ont besoin, sans rien pour ma paroisse, encore moins pour mes amis ou moi. Et si le donateur revient quelque temps plus tard me demander un service, y compris religieux, et même licite, d’aller par exemple à l’autre bout de la France bénir qui ou quoi que ce soit, je répondrais en fonction de mes disponibilités.
Je vérifierais que nous sommes d’accord sur la gratuité du don, et une fois l’argent distribué, j’informerais mon évêque. L’exercice de la responsabilité consiste à savoir quand il faut consulter son supérieur avant et quand il faut l’informer après. Certains prétendent qu’il faut éviter de le consulter avant s’il est probable qu’il refuse, en réalité le critère est donné dans l’Ancien Testament : « Les affaires difficiles, ils les présentaient à Moïse, et les affaires de moindre importance, ils les jugeaient eux-mêmes » (Ex 18, 26).
Vous vous souvenez du centurion de l’évangile dont le serviteur est très malade : il envoie des notables supplier Jésus : « C’est lui qui nous a construit la synagogue » (Lc 7, 5). C’est un grand donateur. Et Jésus y va. Il y va parce qu’un enfant est malade – c’est le même mot en grec pour esclave et pour enfant. Il y va parce qu’il sait que le centurion va s’humilier devant tout le monde : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis une parole et mon serviteur sera guéri ». Et Jésus fut en admiration devant lui, qui était un occupant romain.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un cœur brisé et broyé.
Un cœur transpercé par l’amour, qui continue d’aimer malgré la déception, l’infidélité, la trahison, qui ne reprend pas ce qu’il a donné au motif qu’il s’estime trompé. Je me souviens qu’au cours d’une de mes premières retraites, j’avais buté sur une phrase du Psaume 50, le Miserere, qui dit : « Ne me reprends pas ton Esprit Saint ». Le bon père qui m’accompagnait cette semaine-là m’avait vertement repris, pointant une tactique typique du Diable : les dons de Dieu sont irréversibles. Quand Dieu donne, il ne reprend pas. Même si nous sommes infidèles, Dieu reste fidèle.
J’ai célébré les obsèques d’un homme qui avait fait une très belle carrière professionnelle, et la retraite pour lui avait été terrible. Il avait été un très bon père, avec la plus grande des qualités : il avait été un père rassurant. Les enfants étaient partis. Il lui restait deux passions, les voyages et les amis, qui s’étaient arrêtées au premier confinement. Il répétait sans cesse : je ne suis plus bon à rien. Il est mort d’inutilité. C’est peut-être pire que de chagrin. Il avait pourtant le remède en lui : l’Esprit-Saint !
Il l’avait même sous les yeux : son épouse qui allait tous les jours à la messe, lui trois fois par an, Noël, Pâques, le 15 août, comme les Juifs du temps de Jésus allaient trois fois par an au Temple de Jérusalem, à Pâques, à la Pentecôte (qui commémorait le don de la Loi), et à la fête des Tentes qui était en filigrane dimanche dernier à la Transfiguration. « Trois fois par an, tous les hommes paraîtront devant la face du Seigneur ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi : ils ne paraîtront pas les mains vides devant la face du Seigneur, mais chacun fera, de sa main, un don à la mesure de la bénédiction que le Seigneur ton Dieu aura donnée » (Dt 16, 16).
Un don ou un rachat ? Et pour racheter quoi : ses fautes ou sa vie ?
Pour sortir du déni, de la colère ou de la dépression ? et entrer dans le marchandage, suivant le modèle établi par la psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross dans les années 70 ? Elle avait fait sensation avec ces cinq attitudes devant la mort : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et la résignation. Sauf qu’il en manque deux : la curiosité et l’espérance. Les deux signes de l’Esprit-Saint : la curiosité qui pousse les enfants à entrer dans les églises, curiosité de Moïse au Buisson ardent, de Zachée sur son arbre perché, et l’espérance qui fait qu’on y reste ou qu’on y revient.
Grâce à l’Esprit-Saint, le marchandage religieux a baissé, sur ordre de Dieu lui-même : « Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir. Cessez d’apporter de vaines offrandes. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal » (Is 1, 11 … 16).
L’évangéliste saint Jean place l’expulsion symbolique du marchandage des vendeurs du Temple en scène inaugurale, tandis que dans les autres évangiles elle a lieu avant la Passion, après que Jésus eut prévenu ses disciples qui s’extasiaient devant la beauté du Temple : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit » (Lc 21, 6). L’annonce suit l’obole de la pauvre veuve dont le Christ dit qu’elle donne tout ce qu’elle avait pour vivre (Lc 21, 4) : c’est la juste interprétation de la phrase du Psaume 50 : « Ne me reprends pas ton esprit saint. Que l’esprit généreux me soutienne. Rends-moi la joie d’être sauvé ! ».
Le chant retentit au début de nos dimanches de Carême : « Rends-nous la joie de ton salut, que ton Jour se lève ! ». Voilà ce que le Christ est venu purifier dans le Temple comme dans nos vies : il est venu nous rendre la joie d’être sauvés.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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