Pourquoi faut-il manger la chair du Fils de l’homme pour « avoir la vie en nous », pour avoir part grâce à Lui à la Vie éternelle ?
En raison de cette loi fondamentale de notre humanité : il faut passer par le corps pour toucher l’esprit.
L’un et l’autre sont sacrés.
Puisque nous venons de fêter l’Assomption, l’entrée « corps et âme » de la Vierge Marie dansla gloire du ciel, demandons-nous pourquoi nous ne disons pas qu’elle y est entrée « corps, âme et esprit » suivant la définition de la personne humaine la plus conforme à la formulation par Jésus du grand commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute de ton âme et de tout ton esprit » (Mt 22, 36), où le cœur représente le corps surtout pourle commandement de l’amour.
C’est une formulation nouvelle que Jésus donne du grand commandement car le texte de l’Ancien Testament ne dit pas ‘de tout ton esprit’ ; il dit ‘de toute ta force’ : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6, 5).
‘De toute ta force’. Cette mention de la force est reprise par Jésus dans l’évangile de saint Marc quand il répond au scribe qui l’interrogeait : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » (Mc 12, 30).
Le scribe est un peu dérouté et il s’en sort avec une notion plus familière pour luid’intelligence : « Fort bien, Maître, tu as raison de dire que Dieu est l’Unique et qu’il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices ». Il insiste sur la force, et il a raison car cette force est la force de l’esprit.
C’est d’ailleurs pourquoi dans le texte de saint Matthieu l’esprit peut remplacer le mot force : pour Dieu, la seule force qui vaille est la force de l’Esprit.
C’est autre chose que le ‘mental’ dont on a tant parlé durant ces Jeux Olympiques, même si elle suppose un même travail de maîtrise de son corps, une discipline pour être disciple du Christ. Concrètement, pour prier, il faut s’entraîner tous les jours, apprendre à être attentif et concentré : à l’écoute.
La force n’est pas l’élan vital de l’être humain ; elle est la clé de toute activité humaine, individuelle ou sociale, elle est l’effet et le bienfait de la prière comme du repos et des repas : nous nous retrouvons aussi bien ensemble à table qu’à la messe pour reprendre des forces.
Nous l’entendions dimanche dernier dans la 1ère lecture quand l’Ange du Seigneur forçait le prophète Elie à manger pour reprendre des forces car il est long, disait-il, le chemin qui te reste vers la montagne de Dieu (1 R 19, 4-8).
Nous venons à la messe reprendre des forces aux deux tables de la Parole et de l’Eucharistie car il faut passer par le corps pour fortifier l’esprit. Tout ce qui touche notre corps, et notre cœur au sens biblique de centre de notre corps, impacte notre esprit. Le cardinal Journet disait du plus grand savant qu’il peut perdre toute capacité de réflexion si sa femme ou son enfant vient à tomber malade ou à mourir.
Notre corps a été conçu dès l’insufflation de notre âme, et a grandi plus vite que notre esprit, mûrissant et vieillissant avec lui. Avouons que nous passons plus de temps à nous occuper denotre corps que de notre esprit.
Voilà pourquoi Dieu se donne à manger : pour que passant par notre corps, ouvrant notre cœur par sa Parole, entrant en nous par l’Hostie, l’Esprit de Dieu élève à lui notre esprit. Qu’il nous élève tout entier, corps, âme et esprit, en vue de notre union au Christ qui s’accomplira à laRésurrection.
Le premier, historiquement, à être entré dans la Gloire à la suite du Christ est le bon larron (« aujourd’hui avec moi, tu seras dans le Paradis ») : c’est par grâce que nous sommes sauvés. Cela ne tient pas à nos mérites.
Quand la Vierge Marie est entrée au Ciel « corps, âme et esprit » – car elle n’y est pas entrée « corps et âme » mais bien « corps, âme et esprit », et si nous ne mentionnons pas son esprit c’est parce qu’il s’identifie pour nous au Saint–Esprit –, elle a rencontré le bon larron. Et elle l’a embrassé, si vous me permettez l’expression, comme du bon pain.
Dites-le à ceux qui se sentent indignes du fait de leurs péchés, qu’il suffit d’un seul et plein mouvement du cœur : ‘Souviens-toi de moi Seigneur’.
Corps, âme et esprit, ainsi avons-nous été créés par Dieu, et c’est ainsi que nous sommes appelés à l’adorer, en esprit et en vérité, pour que, à la messe, nous ne faisions pas acte deprésence physique, mais que nous y soyons vraiment « de tout notre cœur, de toute de notreâme, de tout notre esprit et de toute notre force », la force de l’esprit.
Telle est la conclusion que Jésus donnera dimanche prochain de son enseignement, quand il dira à ses disciples : « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien », comprenons : sans l’esprit. « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie ».
Je suis le Pain vivant, le Pain de la Vie, dit Jésus, avec cette formule solennelle réservée à Dieu, Je suis qui je suis, Je suis celui qui est (Cf. Ex 3, 14). C’est la 1ère des 7 formules (Ego eimi) que l’on a dans l’évangile de saint Jean :
« Je suis le Pain de vie » (Jn 6). « Je suis la Lumière du monde » (Jn 8). « Je suis la Porte » (Jn10). « Je suis le bon Pasteur » (Jn 10). « Je suis la Résurrection et la Vie » (Jn 11). « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14). « Je suis la Vigne » (Jn 15), venu par son Corps et son Sang fortifier et purifier notre esprit.
Pourquoi Dieu se donne-t-il à manger ? Il vient en notre corps purifier notre esprit.
Comme dit le Psaume 50, le Miserere : « Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit ».
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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