Un paroissien que j’aimais beaucoup m’a fait le don posthume d’un livre de commentaires de la Règle de saint Benoît intitulé ‘Les Bénédictins’ sous la direction de Daniel-Odon Hurel, 1350 pages pour 32 euros, excellent rapport quantité prix. J’en lis quelques pages tous les matins, en priant pour lui, les cadeaux que vous me faites ne sont jamais perdus ! et en me disant à chaque fois que sa lecture devrait être obligatoire pour les fondateurs ou responsables de communautés nouvelles.
Il y a un passage très édifiant sur les amitiés particulières qui sont contraires à l’unité et une véritable fraternité. C’est le chapitre 69 au titre déconcertant : « Que nul dans le monastère ne se permette d’en défendre un autre ».
Je ne suis pas sûr que les pratiques monastiques s’appliquent aux Chrétiens dans le monde. Au dimanche du Bon Pasteur, nous avons prié pour les vocations sacerdotales et religieuses qui sont si différentes dans leur relation au monde, on disait au Siècle pour le clergé séculier, tandis que la Règle monastique fait le clergé régulier, modèle de régularité au moins dans son rythme de vie.
Certains disent que le monde religieux exige plus d’obéissance, et de pauvreté, pour la vie en communauté ; je dirais plutôt un amour du silence.
Pendant la Semaine sainte, des amis de la société civile m’ont téléphoné : ils avaient vu dans une église les croix et les statues recouvertes d’un voile violet. Pourquoi ? J’ai répondu que c’était une antique tradition à l’approche des Jours saints. Ceux qui font ça sont des intégristes ? Traditionnalistes ? Toi tu fais ça ? Je leur ai dit que c’était surtout acrobatique vu qu’elles sont en hauteur. Dans mon esprit, est acrobatique de mêler des pratiques qui ont du sens dans un cadre religieux, et la présence et la parole de l’Eglise dans le monde.
Sur cet usage de voiler crucifix et statues des saints à partir du 5ème dimanche de Carême, une explication souvent reprise vient d’un illustre Bénédictin, Dom Guéranger, abbé de Solesmes et réformateur de l’Ordre en France, mort en 1875, dont on extrait ceci : « Il est juste que les serviteurs s’effacent quand la gloire du Maître s’est éclipsée. Cette austère coutume exprime l’humiliation du Rédempteur réduit à se cacher pour n’être pas lapidé par les Juifs, comme nous le lisons dans l’évangile du dimanche de la Passion ». Sérieux les gars ? Je m’adresse à mes confrères de paroisse : vous croyez que cette ‘austère coutume’ est une proclamation adaptée de l’Evangile à notre monde ?
Ce sont deux univers bien différents que la paroisse et le monastère, avec leurs cohérences, appelés quoi qu’il en soit à l’unité, à former une seule et même Eglise, une seule foi, un seul Seigneur ! Ce sont deux vocations différentes que sacerdotales et religieuses, même si on peut être prêtre et religieux, pourtant moins différentes que la prêtrise et le mariage qui sont deux sacrements également ‘au service de la communion’, c’est-à-dire de l’unité.
A chaque mariage que nous célébrons, nous interrogeons solennellement les fiancés avant leur échange des consentements : « Etes-vous disposés à assumer ensemble votre mission de chrétiens dans le monde pour l’annonce de l’Evangile ? ». Ils répondent : Oui, et je grimace intérieurement quand ils ont refusé de recevoir le sacrement de confirmation. Généralement l’Esprit Saint intervient alors pour me rappeler la parabole du débiteur impitoyable : ‘Mauvais serviteur, ne devais-tu pas à ton tour avoir pitié de ton compagnon comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’ (Mt 18, 33).
Je comprends le réflexe communautaire de certains de mes confrères, qui rêvent de plus de fraternité entre Catholiques pratiquants, qui soient davantage respectueux de la Loi de l’Eglise comme le Bénédictin l’est de la Règle, ou plus exactement du triptyque Règle, Communauté, Abbé.
Un joyau de la Règle de saint Benoît est l’échelle de l’humilité, une bonne lecture en ces jours après l’Ascension pour suivre le Christ dans son entrée dans la Gloire. Cette échelle de l’humilité comporte douze degrés dont le premier nous concerne tous : vivre en présence de Dieu.
Je ne vais pas les énumérer mais en reprendre quatre pour nourrir votre réflexion.
Le 4ème degré invite à la patience, à tenir bon dans l’adversité, en acceptant de se soumettre en silence aux ordres difficiles et aux contrariétés, voire aux situations d’injustice. La confiance en la Providence doit primer sur notre vision personnelle de ce qui serait bien ou mieux.
Le 6ème degré est le milieu de l’échelle par lequel on la tient à l’épaule, à l’horizontale, pour la déplacer, qui dit : « être content en toutes choses ». C’est à cela que l’on reconnaît les Saints.
Le 8ème degré privilégie le service des autres à l’originalité. La vie communautaire oblige à renoncer à la singularité : « le disciple du Christ ne fait rien qu’il n’y soit encouragé par la règle commune du monastère et les exemples des anciens ».
Le 10ème degré exhorte à la gravité, à s’abstenir d’être prompt au rire de toutes sortes de sottises et de légèretés, « car il est écrit que le sot ne peut rire sans élever la voix » (Si 21, 20). L’homme avisé sourit discrètement. Récemment un participant d’un joyeux baptême regrettait à la sortie que nos messes ne soient pas plus festives et enjouées. Vous connaissez l’argument. La réponse est qu’il nous faut accueillir ceux, si nombreux, qui n’ont pas le cœur à rire, qui ont besoin de calme, de consolation, de silence et d’intériorité.
Ce ne sont là que quatre degrés : il suffit de multiplier par trois pour avoir idée de la difficulté, difficulté de l’unité, le chemin du Ciel. S’il y avait, de la Règle de saint Benoît, un seul chapitre à lire, une chose à retenir, c’est le Prologue qui dit de la Règle qu’elle est une école et pas une loi, qui espère n’imposer rien de dur, rien de pénible, mais apprendre à avancer ensemble sur ce chemin du Ciel.
Pour monter, il faut s’abaisser.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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