A trois jours de Noël, il y a une réalité désagréable à entendre que nous devons affronter, qui n’est pas dicible la nuit de Noël, à savoir le choix délibéré de Dieu de naître dans la pauvreté et l’inconfort. Il n’est pas venu au sein d’une famille aisée ; il n’a pas non plus eu recours à l’hospitalité d’habitants de Bethléem pour héberger les parents à la naissance de l’enfant.
Dieu a choisi, pour nous et pour notre Salut, d’endurer le froid, l’inconfort, le désagrément.
Nous ne pouvons pas entrer dans le mystère de Noël sans penser à la détresse de l’immense partie de l’humanité qui vit dans de terribles conditions de misère ou de guerre, indignes etdégradantes.
Au regard desquelles beaucoup de nos complaintes ont quelque chose d’indécent.
Le paradoxe de la Lettre du Pape François sur le Cœur sacré de Jésus est de récuser une tradition doloriste du Christianisme pour nous exhorter aussitôt après à nous associer aux souffrances du Christ qui sont celles de toute l’humanité.
Le problème de nos pays d’Occident est la hantise de la souffrance, désormais considérée comme un plus grand mal que le péché : le mal physique, la douleur a supplanté dans l’esprit contemporain le mal moral, le péché.
L’indulgence pour l’euthanasie et le suicide assisté en est un signe évident, presque l’aboutissement : à entendre nos contemporains, il vaudrait mieux mourir que souffrir, alors qu’il n’est pas sûr que l’un arrête l’autre. L’expression ‘Au moins il ne souffre plus’ est d’une grande imprudence, qui devrait être corrigée en : ‘Au moins on ne le voit plus souffrir’.
Quel renversement quand on pense aux fables de Jean de la Fontaine (1668) : La Mort et le Bûcheron (« Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes »), La Mort et le Malheureux (« pourvu que je vive, c’est assez, je suis plus que content ; Ne viens jamais, ô Mort, on t’en dit tout autant »), ou La Mort et le Mourant (« Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret »).
Posez-vous la question : préférez-vous souffrir que mourir, ou mourir que souffrir ? Même si l’un n’empêche pas l’autre …
L’évangile de ce dimanche dit que, « en ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée ». La démarche est généreuse : elle se rend auprès de sa ‘vieille’ cousine, ce sont les paroles de l’Ange : « dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile » (Lc 1, 36). Ce surnom dit le mépris qu’elle subit, sa mise à l’écart : elle ne peut compter sur personne.
La démarche de Marie est généreuse, et courageuse : aucun voyage ne se fait alors en sécurité. Marie n’est ni peureuse ni paresseuse, elle ne perd pas de temps, priorité à sa parente, âgée, méprisée, providentiellement exaucée !
Marie vit dans un monde de pauvres et dans le respect des anciens. Il n’y a que le mauvais riche qui ignore d’où il vient.
Ce sont, sans compter les malades, les deux populations qui souffrent le plus à Noël : les pauvres et les anciens délaissés par leurs siens.
Les pauvres se sentent encore plus pauvres chez les riches, avec un sentiment d’injustice. L’évangile contient des paroles fortes sur les petits chiens qui se nourrissent des miettes qui tombent de la table, ou l’histoire du malheureux Lazare qui aurait bien voulu se nourrir de ces miettes mais c’étaient les chiens qui venaient lécher ses plaies.
L’examen de conscience à faire d’ici Noël pourrait toutefois porter davantage sur ce que nous supportons que sur ce que nous donnons. C’est une chose que de partager de nos biens ; c’en est une autre de savoir ce que nous sommes prêts à supporter, je ne vous parle pas de souffrances, mais de désagréments et de contrariétés. Le curseur nous appartient.
Voudriez-vous prendre un temps de prière devant la crèche pour en méditer la rudesse, la pauvreté, l’inconfort ? La question est : qu’est-ce que nous serons capables d’accepter comme agacements et irritations, notamment de la part de nos proches, pendant ces fêtes ?
Le sacrifice du Christ sur la Croix, le Cœur transpercé de Jésus est venu réparer, compenser toutes les « ingratitudes et méconnaissances », la somme vertigineuse « des froideurs et du rebut » que Dieu reçoit de la part des êtres humains. A sainte Marguerite-Marie (1675), le Christ a révélé que cette indifférence lui est « beaucoup plus sensible que tout ce que j’ai souffert en ma Passion » (Dilexit nos, cf. nn. 124 et 165).
« Oh ! » dit saint Jean de la Croix dans son Cantique spirituel (1584), « si l’on finissait par comprendre qu’il est impossible de parvenir à la profondeur de la sagesse et des richesses de Dieu sans pénétrer dans la profondeur de sa souffrance. L’âme qui désire la sagesse désire aussi entrer plus avant dans les profondeurs de la Croix qui est le chemin de la vie ; mais peu y entrent. Peu désirent entrer dans la profondeur des souffrances et des douleurs endurées par le Fils de Dieu : on dirait que beaucoup voudraient être déjà parvenus au terme sans prendre le chemin et le moyen qui y conduit ».
La joie de Noël dépendra en large part des contrariétés que nous serons capables de supporter, par amour du Christ ! L’amour supporte tout. L’amour espère tout. L’amour endure tout.
L’amour est parfois une course d’endurance.
Ni doloristes ni douillettistes, avançons avec confiance, en enfants du Père, poussés par l’Esprit-Saint, à la rencontre du Christ.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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