Nous entrons dans le temps ordinaire de l’Eglise et nous entendons dans l’évangile de saint Jean l’appel des premiers disciples : c’étaient des hommes ordinaires. Tout au plus peut-on dire, comme nous l’entendrons dimanche prochain dans l’évangile de saint Marc, qu’ils étaient ensemble quand Jésus les a appelés. Ici ils sont ensemble à chercher, chez saint Marc ensemble à travailler, et saint Luc qui situe l’appel lors de la pêche miraculeuse montre qu’ils sont prompts à s’entraider. Même saint Matthieu qu’on aurait pu imaginer à part, isolé, à cause de son métier de collecteur d’impôts, donne, lorsque Jésus l’appelle, une grande réception dans sa maison (Lc 5, 29), et c’est pourquoi Caravage le représente non pas seul mais entouré.
L’appel par le Seigneur n’est pas fonction de nos qualités. D’ailleurs, ce n’est pas Matthieu le trésorier au sein des Douze mais Judas. Des compétences des disciples nous ne savons presque rien car elles n’ont pas grande importance. Le grand avantage dans l’Eglise est qu’on n’y est pas appelé par Dieu en fonction de nos talents. Pas plus qu’on n’y exerce de responsabilités en fonction de nos compétences. Bien sûr que nous préfèrerions avoir affaire, dans l’Eglise, à des interlocuteurs compétents. Ce n’est pas forcément le cas. Ce n’est pas une raison pour renoncer à se former, travailler et progresser, à vérifier que les missions que nous déléguons sont correctement exercées.
Dieu ne nous appelle pas en raison de nos qualités mais parce que Dieu est Amour. Dieu le Père tout-puissant aime chacun de ses enfants.
Il n’y a rien de plus triste que de voir dans une famille des préférences criantes de certains parents pour certains de leurs enfants, plus beaux, plus doués, plus conformes à leurs goûts ou leurs idées, et les injustices subies par les autres, mal-aimés. J’ai rencontré une femme qui jusqu’à l’âge de 42 ans a entendu sa mère lui dire chaque année au jour de son anniversaire qu’elle ne l’avait pas désirée. Enfant, cette femme a subi des abus que la décence m’interdit d’évoquer. Je vais vous dire un miracle : à cinquante ans, cette femme croyait en Dieu, faisait le bien et son cœur débordait d’amour. Ne me parlez pas de résilience : c’est aussi intelligent que de parler d’heureuses coïncidences. La présence au moment de la venue de Jésus de ces deux disciples, dont André frère de Pierre, auprès de Jean-Baptiste n’était pas une coïncidence !
Jésus les connaissait et il les aimait comme il nous connaît et qu’il nous aime chacun de toute éternité : indépendamment de nos mérites. Dieu ne nous aime pas pour nos talents mais pour que nous soyons ses enfants. Quand les enfants savent qu’ils sont aimés de leurs parents, ils développent leurs talents. Parfois le déclic vient d’autres personnes, extérieures à la famille, parfois tardivement.
Le grand avantage dans l’Eglise est que les responsabilités qui nous sont confiées sont indépendantes de nos qualités. Lorsque qu’une personne à qui je propose d’être catéchiste me répond qu’elle ne saurait pas faire, je lui demande : Est-ce que vous aimez Jésus ? Cela suffit.
Quand on vient de la société civile et qu’on découvre l’Eglise de l’intérieur, on est fasciné par le niveau moyen d’incompétences, les contremplois, les nominations aberrantes, et on a du mal à s’y habituer ! alors que la seule chose qui nous est demandée est de nous mettre au service de Dieu, des autres et de la communauté.
Une très ancienne expression dit que le prêtre agit « in persona Christi Capitis », au nom du Christ Tête. Tête de l’Eglise qui est son Corps ! Le prêtre est un membre de ce Corps. Nous tous, dans l’Eglise, appelés par le Christ, sommes les membres de son Corps, quelle que soit notre fonction, nous sommes à son service, du Christ et de son Corps. Comme le dit saint Paul dans la 2ème lecture : « Vos corps sont les membres du Christ » (1 Co 6, 15). « Un sanctuaire de l’Esprit Saint ».
Demain commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, la dernière volonté du Christ : « qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi » (Jn 17, 23). Cette unité passe par l’unité intérieure, à Dieu, en soi-même, la plus difficile pour concilier nos désirs, nos capacités, les besoins de ceux qui nous entourent.
Nous avons chacun des talents, des charismes, des qualités : elles ne sont pas constitutives de notre identité, de l’âme que Dieu appelle à l’éternité. La seule chose que le Seigneur demande, et que la foi donne de faire, est de nous aimer les uns les autres comme Dieu nous a aimés. Qu’est-ce qu’une belle âme ? Une âme plein de qualités ? Non : une âme unie à Dieu, et aux autres, unie dans l’Esprit par le lien de la paix. « Ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix » (Eph 4, 3).
Je suis tombé sur une vidéo d’un vieux légionnaire interrogé sur ses campagnes qui refusait de répondre au nom de ses camarades morts au combat qui ne pouvaient plus, eux, les raconter. On lui parlait des personnes qu’il avait tuées. Non, ça aussi, disait-il, c’est de l’individualisme. Il expliquait : c’est l’équipe qui combat, c’est l’équipe qui tue, sinon on devient fou. Il faut retourner le propos pour le mettre à l’endroit : c’est l’Eglise qui aime, qui baptise et qui sauve, par le Christ, au nom du Christ. C’est le Christ qu’on crucifie chaque fois qu’on fait du mal au plus petit de ses frères, les enfants de son Père.
L’individualiste est un antéchrist.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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