Il ne faut pas trop parler du Diable parce que cela lui fait trop plaisir : ça le flatte. Il est trop content qu’on parle de lui, du moment qu’on parle de lui, peu importe ce qu’on en dit. Il faut l’évoquer avec prudence, et surtout ne pas discuter avec lui ! Le Pape François l’a rappelé dans sa catéchèse du 27 décembre : « Avec le diable, chers frères et sœurs, on ne dialogue pas. Jamais ! On ne doit jamais discuter. Jésus n’a pas dialogué avec le diable : il l’a chassé. Quand il a été tenté dans le désert, il a répondu avec les paroles de la Sainte Ecriture, avec la Parole de Dieu. Ne dialoguez jamais avec lui car il est plus malin que nous tous et il nous le fera payer. Quand vient une tentation, ne dialoguez jamais ». Ne cherchez pas à négocier.
Il en va de même avec les gens foncièrement malhonnêtes, de totale mauvaise foi.
Les anciens appelaient cette défense : la garde du cœur.
Le Pape inaugurait une nouvelle série d’enseignements sur le bien et le mal, sur les vices et les vertus. La catéchèse suivante, du 3 janvier, portait sur le combat spirituel, où le Papeexpliquait pourquoi Jésus avait été poussé par l’Esprit au désert : « Les tentations qu’il traverse et surmonte sont la première instruction qu’il donne à notre vie de disciples. La vie est faite de défis, d’épreuves, de carrefours, de visions opposées, de séductions cachées, de voix contradictoires. Nous devons préserver notre clarté intérieure pour choisir le chemin qui nous mène véritablement au bonheur, puis nous efforcer de ne pas nous arrêter en route ».
Le Pape a passé ensuite en revue ces dangers qui nécessitent la garde du cœur, qui constituent le combat spirituel, et il a commencé le 10 janvier par la gourmandise, parce que la nourriture est le premier lieu de satisfaction, d’éducation, d’appréhension, de tentation … et de charité !J’avais faim et vous m’avez donné à manger. C’est ce qui nous sépare des bêtes sauvages parmi lesquelles Jésus était au désert, « et les anges le servaient ».
Le jeûne est l’une des trois armes que Jésus nous a données avec l’aumône et la prière.Pourtant nous n’aimons pas beaucoup le jeûne. Alors que, quand on a faim, on supplie et on prie.
Juste avant les vacances, j’ai demandé aux enfants du Catéchisme : qui de vous est gourmand ? Ils ont tous levé le doigt ! Ouille, ouille, ouille, je me suis dit qu’il allait falloir que je marche sur des œufs.
Gourmand ne veut pas dire aimer les bonnes choses mais être sur une pente glissante, avec le risque de finir par les préférer aux personnes, et au bout du compte à Dieu.
La religion chrétienne est la seule qui n’ait pas d’interdits alimentaires. Il faut se rendre compte de la rupture qu’a constituée la décision de Jésus de « déclarer purs tous les aliments » (Mc 7, 19). Il était affligé de voir la facilité avec laquelle tant de croyants mettent leur fierté dans des interdits, et se perdent dans du secondaire. Blaise Pascal dira plus tard : « Il vaut mieux ne pas jeûner et en être humilié, que jeûner et en être complaisant ».
Le seul interdit alimentaire pour le Chrétien, c’est l’excès ! L’orgueil et la démesure (Mc 7, 22), l’inconduite (de la goinfrerie ou de la gloutonnerie).
L’Eglise prescrit deux jours de jeûne, le Mercredi des Cendres et le Vendredi saint, et demande de faire ‘maigre’ tous les vendredis. Le jeûne n’est pas forcément une privationtotale mais suffisante pour éprouver la faim, par obéissance, par solidarité avec les affamés, et par fidélité, en souvenir de la libération de l’esclavage : « Souviens-toi du long chemin que tu as fait pendant quarante ans au désert : le Seigneur voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur.
Allais-tu lui rester fidèle, garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait sentir la faim, pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » (Dt 8, 3).
C’est toujours à ces moments-là que survient la tentation, et le Tentateur.
Le Diable n’est pas une créature imaginaire mais la créature qui vient envahir notre imaginaire. Qu’est-ce que tu pourrais manger de bon ? C’est le premier coup de sonnette, le mail dont il ne faut pas ouvrir la pièce jointe !
La gourmandise n’est pas un péché ‘de bouche’ (comme le sont les paroles malveillantes)mais d’esprit, plus que de ventre, la priorité donnée à la faim sur l’amour, au ventre sur le cœur. Les enfants du Catéchisme comprennent très bien ce choix à faire : le ventre ou le cœur ?
Une de mes amies m’a dit : ‘Lorsque je suis seule chez moi et que l’envie de manger m’envahit, je téléphone et le partage me nourrit’.
Dans une méditation sur le mystère de Noël, saint François de Sales disait : « Voyez-vous l’Enfant Jésus dans la crèche ? Il reçoit tous les ravages du temps, le froid et tout ce que le Père permet qu’il lui arrive. Il ne refuse pas les petites consolations que sa mère lui donne, et il n’est pas écrit qu’il tende jamais les mains pour avoir le sein de sa Mère, mais il laisse tout à ses soins et à sa prévoyance ; ainsi nous ne devons rien désirer ni refuser, supportant tout ce que Dieu nous envoie, le froid et les ravages du temps ».
Et saint François de Sales n’a cessé d’insister sur cette ‘sainte indifférence’ comme disait saint Ignace au siècle précédent, sur cette liberté à acquérir à l’égard de nos désirs. Lors d’une deses dernières rencontres avec ses Visitandines, il estimait leur avoir « tout résumé dans ces deux mots : ne rien refuser et ne rien désirer » (d’inutile).
Ne rien demander, ne rien refuser.
Je ris toujours en pensant à la façon dont cette formule a été détournée pour se moquer des pieux hypocrites qui préfèrent, eux, « ne rien se demander et ne rien se refuser ». C’est une très bonne définition de la gourmandise : ne pas se demander si c’est bénéfique, profitable dit saint Paul (« tout est permis mais tout n’est pas profitable » 1 Co 10, 23), et ne pas se refuser ce qui est si tentant.
Voilà le chemin du Carême : de qui sommes-nous à l’écoute ?
Des enseignements du Christ, des appels de nos frères, ou des tentations les plus ‘alimentaires’ ?
« Leur dieu, c’est leur ventre » dit saint Paul (Ph 3, 19) de ceux qui « ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, notre cité se trouve dans les cieux, d’où nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus Christ ».
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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