26ème Dimanche du Temps Ordinaire - 26 septembre 2021

Mc 9, 38-43.45.47-48

 

A quelques jours d’intervalle, j’ai célébré deux enterrements qui ont eu en commun une demande particulière de la part des familles, une demande qui avait trait dans les deux cas au vocabulaire religieux chrétien, à des termes que ces familles ne souhaitaient pas entendre.

La première famille faisait un blocage sur la formule ‘prends pitié’, qui les faisait culpabiliser. Qu’à cela ne tienne. Je leur ai expliqué qu’il fallait entendre ‘prends pitié’ au sens de ‘prends compassion’, comme un appel à la tendresse de Dieu. Et on l’a chanté en grec au début, kyrie eleison puis en latin à l’Agnus Dei, miserere nobis, et tout s’est bien passé.

Pour la deuxième famille c’était compliqué : elle ne voulait pas entendre parler du sacrifice du Christ. J’ai pris une des ‘prières eucharistiques pour circonstances particulières’ dans le supplément du Missel, sans avoir à – comment dire ? manger mon chapeau. Bien que l’expression suppose que l’autre a raison et que soi-même a tort. Or la messe est un sacrifice, j’en mettrais, en écho à l’évangile de ce dimanche, ma main ou mon pied à couper.

Ce sacrifice que Jésus préconise, car il s’agit d’un sacrifice : coupe ta main, coupe ton pied, arrache ton œil, signifie : sacrifie-le ! – ce sacrifice n’a rien à voir avec le sacrifice du Christ sur la Croix. Il en est aussi proche que l’effort que vous faites pour venir le dimanche à la messe.
Le même mot désigne des réalités différentes, voire opposées. Et c’est la rencontre des deux : la rencontre de l’amour de Dieu et de notre liberté qui en fait un sacrement, l’alliance du don de Dieu et de la réponse de l’homme. La messe est un sacrifice et un sacrement.

Pourquoi cette butée aujourd’hui sur l’idée et le terme de sacrifice ?

Il fait face à une triple, voire quadruple contestation morale, sociale, spirituelle et religieuse.

1ère contestation morale, que l’intégrité morale soit préférable à l’intégrité physique. « Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la ». Mieux vaut être pauvre et malade que corrompu et en pleine forme. Il vaut mieux être épuisé, courbatu, stressé, douloureux, que de ne pas travailler. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3, 19).

La 2ème contestation est sociale, sur la prééminence du bien commun, la primauté de la communauté sur l’individu, de l’égalité sur l’intérêt particulier. Tel est le sens de la 2ème lecture, de la Lettre de saint Jacques sur les richesses « dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs ».

La 3ème contestation est spirituelle de la supériorité de l’âme sur le corps. « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme » (Mt 10, 28) dit Jésus : « craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps ». Il s’agit évidemment de l’Adversaire, du Diable.

Et la 4ème contestation est religieuse, puisque la récompense est la vie éternelle, et il vaut mieux vaut entrer borgne dans le Royaume, privé de la jouissance des biens terrestres, que d’aller les yeux grand ouverts en enfer, « où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas ».

Je vous invite à reprendre chacun ces quatre points qui sont quatre piliers du Christianisme : le sens du Bien, la priorité à l’égalité et la justice, la supériorité de l’âme sur le corps, et le chemin de la vie éternelle. Le 1er est le plus obscurci, le 2ème le plus manipulé, le 3ème le cœur du combat spirituel, et le 4ème le sens de notre vie. Ils forment un tout et ne peuvent être dissociés les uns des autres.

Je reviens à l’enterrement que j’ai célébré. Le plus étonnant, pour avoir connu le défunt, était que cet homme était parfaitement d’accord sur le fond : c’était un homme droit, moralement intègre. Il était militant et s’était engagé toute sa vie pour les autres. Il avait une vie intérieure de prière et de réflexion, passait plus de temps à lire qu’à faire du sport, croyait davantage aux forces de l’Esprit qu’à la force ou l’attrait physique. Et s’il ne croyait pas au Diable, il croyait à la promesse de Dieu, de son Amour.

Vous pourrez aussi relire, à la lumière de ces quatre piliers, la 1ère lecture, le don de l’Esprit survenu à deux hommes qui avaient été appelés mais n’en avaient fait qu’à leur tête (Nb 11). « Moïse, mon maître, arrête-les ! » dit Josué. Moïse répondit : laisse agir le Saint Esprit !
Ah, si le peuple tout entier acceptait que le Seigneur fasse de lui ses prophètes ! Si chaque baptisé pouvait raviver en lui le don de Dieu (cf. 2 Tim 1, 6). Ah, si nous pouvions prendre conscience de la grandeur du sacrifice du Christ, mort pour nous délivrer du péché, et par notre conversion, y participer « pour son Corps qui est l’Eglise » dit saint Paul (Col 1, 24).

Chaque effort que nous faisons pour être fidèles au Christ est une participation à son Sacrifice sur la Croix. Nous offrons ces efforts, nos actes, gestes, paroles, pensées d’amour à la messe, au moment de l’offertoire : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise ». Comme la pauvre veuve mettait son obole dans le trésor du Temple, ces deux piécettes symboles de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain (Mc 12, 42), ainsi nous offrons nos efforts au Trésor d’Amour divin.

Intégrité morale, justice sociale, combat spirituel, pratique religieuse. Retenez ces quatre dimensions, morale, sociale, spirituelle et religieuse, du sacrifice : le choix du Bien, la préférence pour l’intérêt général, la primauté de l’âme sur le corps, le chemin de la vie éternelle.
Et le Sacrifice du Christ sera celui de toute l’Eglise.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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