23ème dimanche du temps ordinaire - 8 septembre 2024

Mc 7, 1-8.14-15.21-23

 

Qu’est-ce qui est le plus important dans l’évangile : est-ce que ce sont les foules qui suivent Jésus et qui se rassemblent autour de lui, même si ça ne dure pas comme nous l’avons vu cet été avec le discours du Pain de Vie (dans l’évangile de saint Jean) où les gens s’en vont à la fin, ou est-ce que ce sont les personnes dont il change la vie comme ce sourd-muet qu’il guérit et dont l’évangile ne donne pas le nom puisque Jésus avait ordonné de n’en rien dire à personne ?

Les phénomènes de foules sont fascinants. Sur le plan religieux, ils peuvent favoriser la foi par le sentiment de puissance qu’ils donnent : la philosophe Simone Weil disait du collectif qu’il est « la seule chose ici-bas qui puisse être prise pour fin », qu’il « possède une espèce de transcendance à l’égard de la personne humaine. Le collectif est l’objet de toute idolâtrie, c’est lui qui nous enchaîne à la terre » (La pesanteur et la grâce, p. 182-183, Plon).

Car ils peuvent aussi empêcher la foi par leur caractère incontrôlable, leur folie, en tout cas une forme de surdité : on entend la foule mais qu’est-ce que la foule entend ? On ne sait pas. On peut s’adresser à elle, la haranguer, lui faire passer des messages, lui prêter des désirs, des attentes, mais la relation est illusoire, éphémère : la foule n’a pas de mémoire, pas de constance, pas de fidélité, aussi prompte à s’unir, s’enthousiasmer, acclamer, qu’à se disperser, conspuer et huer – houhouhou ! ou se révolter.

La foule n’est pas un être en soi. Elle n’est pas un enfant (capricieux), ni un ‘gros animal’ (c’est Platon qui en parle ainsi dans La République : « ce gros animal qui est la bête sociale »). La foule est un événement, de circonstance, un rassemblement passager dans un lieu et un temps donné. Ne nous laissons pas tromper par la vision du Livre de l’Apocalypse : « J’ai vu une foule immense que nul ne pouvait dénombrer » (Ap 7, 9) : elle nous est donnée pour tourner nos regards vers Dieu, et l’Agneau qui se tient au milieu du Trône.

Dans l’évangile, quelle est la taille de ces foules ? De combien de personnes parle-t-on ?

La suite de l’évangile de ce dimanche est la seconde multiplication des pains relatée par saint Marc : « il y avait de nouveau une grande foule, ils étaient environ quatre mille » (Mc 8, 9). Cinq mille à la première multiplication des pains (Mc 6, 44). Deux fois le nombre de places dans l’église Saint-Sulpice la plus grande église de Paris, bien plus grande que Notre-Dame.
Au jour de la Pentecôte, quand « ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés, ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux » (Ac 2, 41). C’était à Jérusalem tandis que la multiplication des pains avait lieu dans un endroit désert.
Il faut rapporter ces chiffres à ceux de l’Empire romain, savoir que le Colisée à Rome pouvait accueillir plus de 50.000 personnes et que Rome comptait au tournant de l’ère chrétienne, sous le règne de l’empereur Auguste, un million d’habitants. Les grandes capitales européennes n’ont atteint ce seuil qu’en 1800 pour Londres, 1850 pour Paris. Il faut se rendre compte de la surpopulation, des problèmes de nourriture et de subsistance, dans des conditions matérielles et sanitaires effroyables.

Pour nous, il est bon d’être ici.

2025 sera une Année Sainte. Comme tous les 25 ans depuis que le Pape Paul II par une Bulle de 1470 a établi que ces Jubilés se dérouleraient tous les 25 ans et non plus tous les 100 ans comme l’avait prévu le Pape Boniface VIII après le 1er Jubilé convoqué en 1300 pour renouer avec cette très ancienne tradition biblique de la réconciliation et du renouvellement. Depuis cinq cents ans, le succès de ces jubilés a été considérable avec des afflux massifs de pèlerins : en 1575 plus de 300.000 personnes étaient venues à Rome de toute l’Europe pour obtenir la rémission de leurs péchés, plus d’un demi-million en 1825.

Est-ce l’objectif de l’Eglise d’attirer les foules, de faire du chiffre ?

Nous avons besoin de rassemblements et nous avons besoin d’intimité. D’événements et de rencontres. Et c’est ce qui se passe à la messe, car le Christ permet et offre cela.

Jésus extirpe cet homme de la foule qui le lui a amené, il le prend à l’écart pour poser des gestes qu’on n’aimerait pas que les autres voient qu’il fasse sur nous : il lui met les doigts dans les oreilles et lui touche la langue avec sa salive. Peu importe que la salive fût considérée comme un remède, qu’elle soit utilisée dans l’évangile de saint Jean pour la guérison de l’aveugle-né quand Jésus crache par terre pour faire de la boue avec sa salive qu’il applique sur les yeux de l’aveugle (Jn 9, 6). Ce qui doit retenir notre attention est le ‘soupir’ de Jésus, le gémissement qu’il pousse, les yeux levés au ciel, en disant : Effata, « Ouvre-toi ».
Ce gémissement est le signe de l’Esprit-Saint : « La création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons » (Rm 8, 22). Et saint Paul explique pourquoi « nous gémissons : nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps ».
Par ce gémissement, Jésus sauve cet homme : il prend sur lui sa souffrance et à travers cet homme, c’est à la foule qu’il s’adresse en leur demandant à tous de garder cela pour eux, dans leur cœur, de n’en parler à personne.

La mission de l’Eglise n’est pas de rassembler les foules mais d’entendre leurs souffrances et de leur rendre l’espérance. Ecouter la souffrance, redonner l’espérance.
Au Buisson ardent le Seigneur dit à Moïse : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple, son esclavage, j’ai entendu ses cris. Je connais ses souffrances » (Ex 3, 7). Et il l’envoie guider son peuple vers la liberté. Moïse s’est arrêté à la porte de la terre promise ; le Christ est la Porte du Royaume.

En prenant sur lui nos souffrances, le Christ s’est fait péché pour nous dit saint Paul, pour guérir notre cœur. Pas seulement nos oreilles, notre écoute : notre cœur ! Nous redonner l’espérance : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Je suis doux et humble de cœur, vous trouverez le repos pour votre âme » (Mt 11, 30).

Nous avons besoin de rassemblements et besoin d’intimité, d’événements et de rencontres. Puissions-nous comme cet homme délivré par le Christ entendre sa Parole et lui dire notre amour.

Le Christ nous rassemble pour nous délivrer.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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