Parvenus à la fin du Carême, en entrant dans ces trois jours saints, il me faut honorer l’image mise devant l’autel de la justice et du jugement, la balance de la justice et le marteau du jugement.
L’image en a troublé certains, qui me l’ont dit : ‘Elle est dure, cette image !’, que j’ai parfois taquiné : ‘Vous n’avez pas la conscience tranquille ?’ – car c’est ainsi qu’on peut entendre la parole de Jésus : « Vous n’êtes pas tous purs », vous n’avez pas tous la conscience tranquille, et de fait le diable avait déjà mis dans le cœur de Judas l’intention de le livrer, de trahir son Seigneur.
Judas ne croyait plus en Jésus. Jésus le donne à comprendre à propos de l’Esprit de vérité : « quand il viendra, il établira la culpabilité du monde en matière de péché, de justice et de jugement. En matière de péché, puisqu’on ne croit pas en moi. En matière de justice, puisque je m’en vais auprès du Père, et que vous ne me verrez plus. En matière de jugement, puisque le prince de ce monde est déjà jugé » (Jn 16, 8-11).
Il faut avoir été pauvre et maltraité pour demander à Dieu : fais-moi justice !
Il faut avoir le cœur assez pur pour avoir faim et soif de justice. Il faut avoir fait des sacrifices pour espérer une récompense. Pas seulement avoir fait son travail, été de simples serviteurs ou des serviteurs inutiles. Il faut être allé au-delà de soi-même, ce que saint Jean formule ainsi : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout », transformant l’au-delà en plénitude.
Au Mercredi des Cendres, je vous avais proposé sur notre chemin de conversion ces deux œuvres de miséricorde : contempler et prendre soin de la Création, qui sont tout autant des œuvres de justice, et qui sont surtout au cœur des deux sacrements que le Christ a institués au cours de ce Dernier repas : l’Eucharistie et le Sacerdoce.
Vous ferez cela en mémoire de moi. Vous ferez quoi ?
Vous présenterez à Dieu les fruits de la terre, de la vigne, et du travail des hommes, c’est-à-dire de la Création que Dieu a remise entre nos mains, pour que ce pain et ce vin deviennent le Corps et le Sang du Christ autrement dit Dieu lui-même. Pour que nous soyons ainsi, par ce mystère de la foi, en communion avec Lui et avec toutes les créatures qu’il a créées à commencer par nos frères.
Grandeur de l’Eucharistie où la Création devient Dieu pour que l’homme devienne Dieu.
Cela suppose notre conversion, c’est-à-dire que nous retrouvions la capacité de contempler la Création et d’en prendre soin, et que nous soyons alors capables, comme le Christ nous en montre l’exemple, de nous abaisser et de nous mettre par notre travail au service de nos frères. Je dis bien : par notre travail.
Nous disons du lavement des pieds que c’était un travail d’esclave et c’est vrai, mais avant d’être ‘d’esclave’, réservé aux esclaves, il est d’abord un travail. Ce qu’est aussi la prêtrise, le sacerdoce, le service sacré rendu par les prêtres.
La prêtrise est un travail de service de Dieu et de nos frères, un travail de collaboration à la mission des évêques, successeurs des apôtres que le Christ a appelés auprès de lui pour être ses compagnons, pour aider tout être humain à sortir des eaux de la mort, l’aider à naître à sa propre humanité et vivre de la vie divine.
« Nul ne s’arroge à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu, comme Aaron » (He 5, 4), Aaron le frère de Moïse, et pas Myriam leur sœur, qui l’avait pourtant sauvé des eaux, et aussi présente qu’Aaron dans la sortie d’Egypte et aussi prompte que lui à critiquer ensuite le choix de Moïse : « Ils disaient : Le Seigneur parle-t-il uniquement par Moïse ? Ne parle-t-il pas aussi par nous ? » (Nb 12, 2).
Le Christ, nouveau Moïse, qui était « l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12, 3), et qui nous appelle à traverser à sa suite les eaux de la mort, par ce geste du lavement des pieds, appelle au service l’ensemble des baptisés : il fonde le sacerdoce baptismal des fidèles, et ce n’est pas un hasard si le modèle du serviteur fidèle est saint Joseph que nous fêtons le mercredi la veille du jeudi comme nous fêtons la Vierge Marie le samedi la veille du Dimanche de la Résurrection. A Joseph la garde des choses temporelles, à Marie des choses spirituelles.
Quand, au soir du Jeudi saint, le Christ institue l’Eucharistie en donnant son Corps et son Sang, prenez et mangez, prenez et buvez, pour se rendre présent avec nous et en nous jusqu’à ce qu’il vienne, il institue le sacerdoce des prêtres. Quand, au cours du même repas, il lave les pieds de ses disciples, le Christ institue le sacerdoce des fidèles, parmi lesquels il en choisit quelques-uns, pas les meilleurs, pour être ses prêtres, pour qu’ils soient au service de leurs frères, dans la même obéissance que Lui à son Père et Notre Père.
En allant maintenant me mettre aux pieds de douze d’entre vous, je vais porter comme prêtre ce message fondamental du Christ que nous sommes tous à égalité de dignité, de respect, tous appelés à servir et non à être servis. Je vais mettre en œuvre ce que nous avons entendu dimanche dans la Passion selon saint Luc : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). Et il ajoutait : « Vous, vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. Et moi, je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi » (Lc 22, 28-29).
Ce n’est effectivement pas l’ordre juste auquel nous sommes habitués et la réaction de Pierre : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » est la même que Jean-Baptiste quand Jésus était venu à lui pour être baptisé ; Jean voulait l’en empêcher et disait : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! ». Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice » (Mt 3, 14-15). Alors Jean le laisse faire.
Qu’il est difficile, mes amis, de laisser faire le Seigneur !
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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