Fête de la Sainte Famille - 29 décembre 2019

Mt 2, 13 … 23

 

Trois, c’est le nombre dans l’évangile de saint Matthieu des apparitions en songe de l’Ange du Seigneur à Joseph. Nous avons entendu la première dimanche dernier, quand il devait renoncer à ses projets personnels : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse ». Nous venons d’entendre les deux suivantes : la deuxième l’exile en Egypte après la naissance de Jésus et la visite des mages. Et la troisième les ramène en Israël deux ou trois ans plus tard, vu la date de la mort d’Hérode. Le retour fait l’objet d’un nouveau songe, sans qu’on sache s’il comporte une nouvelle apparition. Ils s’installent à Nazareth : Jésus sera appelé Nazaréen ou Nazoréen avec un jeu de mots en hébreu avec Naziréen qui veut dire consacré.

Trois ou quatre apparitions en songe en trois ans, cela reste raisonnable même si on se doute qu’elles ont marqué Joseph. A-t-il fait le lien avec le Joseph de l’Ancien Testament que ses frères appelaient l’homme-aux-songes ? En tout cas, il a obtempéré aux injonctions de l’Ange, prenant ces apparitions et ces songes au sérieux comme on savait le faire à l’époque quand on n’avait pas l’esprit envahi et encombré comme aujourd’hui de toutes sortes d’idées et images artificielles et fausses. Si l’écologie signifie le respect des équilibres naturels et du vivant, il nous faut re-trouver une écologie de vie intérieure, en nous gardant éloignés plusieurs heures par jour des écrans, et en nettoyant régulièrement notre esprit en nous remettant devant Dieu. Il n’y a pas plus écologique que la prière.

En cette fin d’année, nous gagnerions à débarrasser notre cerveau de tout ce qui l’encombre, un peu comme dans certaines villes à Naples par exemple le 31 décembre on jette par la fenêtre la vaisselle et les objets cassés, promesse d’un nouveau départ – sauf qu’il faudrait justement arrêter de jeter papiers et déchets n’importe où.
L’esprit contemporain est pollué, de tous les débris d’images ou d’idées qui flottent dans nos cerveaux. J’ai eu un professeur jésuite aveugle à cause du diabète : cette année-là il avait fait la préface d’une encyclique de Jean-Paul II. Un frère lui avait lu le texte. Et il avait dicté la préface, donnant le plan et une introduction détaillée. Cet homme avait dans sa tête un splendide intérieur, et c’est la première qualité de Joseph, qui fait de lui un homme juste, aux idées claires, équilibré intérieurement.

Est-ce qu’il serait possible à un geek, à un accro aux écrans d’avoir une apparition en songe de l’Ange du Seigneur ? Oui, mais il n’y croirait pas. Le prophète n’est pas celui qui a plus de visions qu’un autre : il y est plus sensible, il y fait plus attention, il y est mieux disposé. Joseph était un homme juste : il était bien disposé. S’il vous reste un cadeau de Noël à faire, offrez les Sermons catholiques de John Henry Newman (éditions du Cerf, 650 pages). Dans un sermon de 1856, qui reprend un sermon de 1834 où il était encore anglican, Newman interprète ainsi l’acclamation ‘Paix aux hommes de bonne volonté’ : « Par bonne volonté, il faut entendre bonne disposition » (p. 441). C’était la mission de Jean-Baptiste de « préparer au Seigneur un peuple bien disposé » (Lc 1, 17).
« Ce que Dieu crée, disait Newman, ce qu’il contemple, ce qu’il aime, ce qu’il récompense, c’est selon les paroles de saint Pierre, ‘la disposition cachée du cœur’ (1 P 3, 4) », le cœur bien disposé.

C’est non seulement la condition de la foi selon Newman, mais aussi de l’émotion : « Sur celui qui guettait ou espérait un tel bienfait (du monde invisible), ou en avait au moins une grande envie, l’effet de cette nouvelle sera merveilleux. Elle l’affectera profondément et lui procurera une vive émotion ». C’est pourquoi nous ne parlons plus tant de manque de cœur ni de foi que d’indifférence. Ce n’est pas que l’homme mal disposé ne croit plus : il est devenu indifférent. Indifférent au monde et à Dieu. Joseph était à cet égard un grand sensible, un cœur empli d’espérance. Le croyant est sur un chemin de foi : il est disposé à grandir dans la foi, en s’émerveillant de Dieu.

Trois, c’est le nombre des membres de la Sainte Famille, puisque, à la naissance de Jésus, le couple de Joseph et Marie est devenu une famille. A la naissance de l’enfant, le couple de l’homme et de la femme devient une famille, ensemble formé par le père, la mère et l’enfant ou les enfants. Chacun y tient une place très particulière, spécifique, unique comme Dieu est unique, comme Jésus Christ est le Fils unique, et comme chaque personne est unique et irremplaçable. Sinon la mort ne nous désolerait pas.
La mort est présente dans les songes de Joseph : c’est évident pour la folie d’Hérode comme pour le danger en Judée mais la menace pesait sur Marie si elle avait été répudiée par Joseph. Joseph est un homme juste, disposé à protéger la vie. Nous en avons fait le patron de la bonne mort, c’est-à-dire de la vie qui est menée depuis sa conception jusqu’à son terme, sa naissance au Ciel, en bonne écologie.
A tous ceux qui veulent savoir ce qu’écologie veut dire, montrez l’exemple de Joseph dans ces trois apparitions : il garde l’enfant et sa mère ; il ne voyage pas pour le plaisir, subissant pour Dieu la condition des migrants ; de retour au pays, il ne s’installe pas là où il aurait voulu mais là où c’est raisonnable, et bon pour sa famille.

Troisième réflexion, après la bonne disposition de Joseph, et son respect de l’environnement et de la vie, il y a ceci de remarquable dans la Sainte Famille que Joseph est le maillon faible. L’expression risque de heurter les dévots de saint Joseph, dont je fais partie puisque je suis l’aumônier à Paris de la Marche de saint Joseph, pèlerinage de pères de famille et de tous ceux qui veulent se recommander de saint Joseph : la marche aura lieu le samedi 21 mars, avec des chapitres dans les paroisses, je vous en reparlerai.
Dans la sainte Famille, Jésus est Dieu, Marie est l’Immaculée, pleine de grâces, la seule créature préservée du péché originel, et Joseph est le plus faible des trois, qui est pourtant chargé de protéger les deux autres ! La Sainte Famille est hiérarchisée de façon inverse à nos représentations humaines : le premier est l’enfant, Jésus, chef de notre foi ; après Dieu, il y a Marie, sa mère, co-médiatrice de grâces, la Femme. Et en dernier, l’homme, Joseph.
Sa sur-éminence de sainteté, proclamée par le pape Léon XIII, qui fait de lui, de saint Joseph le plus grand saint après la Vierge Marie, est donc toute relative. Il en va de même de la place de l’homme dans l’univers : elle est relative à Dieu.

On peut et on doit contempler dans la Sainte Famille la confiance de Dieu qui remet son Fils entre les mains de deux êtres humains, Marie et Joseph. On peut contempler l’humilité du Christ, le Fils de Dieu, qui se soumet à eux. On peut admirer la discrétion et la force de Marie, l’épouse de l’Esprit, qui se laisse conduire par Joseph. Tout cela est magnifique. Mais le plus édifiant n’est-il pas que ce soit le moins bon, le chef ? N’est-ce pas là la véritable écologie que de chercher à apprendre des petits, les servir et les aimer, plutôt que les dominer, les exploiter ou les mépriser ?
L’écologie ne concerne pas seulement le respect de ce qui est naturel, mais aussi de ce qui est surnaturel, la confiance que Dieu nous fait en nous confiant la terre, et nous demande de nous faire, les uns aux autres. Tant il est vrai que le respect des autres et de la vie est avant tout un saint état d’esprit, qui fait de la Sainte Famille un modèle d’écologie.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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