Dans l’évangile de saint Marc, cette profession de foi de Pierre est souvent considérée comme le tournant de l’évangile, le moment de bascule puisque, à partir de là, Jésus commence à enseigner à ses disciples qu’il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il meure et qu’il ressuscite. En réalité, cette profession de foi est un événement majeur parce qu’il en déclenche un autre, autrement plus grand : la Transfiguration de Jésus. Nous sommes ici « aux environs de Césarée-de-Philippe », au pied de la montagne où six jours après Jésus est transfiguré : ses disciples contemplent sa gloire. Voilà le sommet de l’évangile ! Et nous avons fêté hier 14 septembre, la Croix glorieuse, quarante jours après la fête de la Transfiguration, le 6 août. D’une montagne à l’autre, de la Transfiguration au Golgotha, la Gloire et la Croix.
Il y a 5 monts ou montagnes principales dans les évangiles : la première est le promontoire sur lequel le diable emmène Jésus pour le tenter avec la vision des royaumes du monde et de leur faste (Mt 4, 8). La 2ème est celle des Béatitudes, du ‘Sermon sur la montagne’ (Mt 5, 1). La 3ème celle de la Transfiguration (Mc 9, 2). La 4ème est le Mont des Oliviers, où s’achève la montée de Jésus à Jérusalem. Face au Temple, Jésus est interrogé par Pierre, Jacques, Jean et André : « Dis-nous quel sera le signe que tout cela va se terminer » (Mc 13, 3). Enfin au Golgotha s’accomplit sa promesse : quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (Jn 12, 32).
Ces cinq monts ou montagnes (ne parle-t-on pas à Paris de la ‘montagne sainte Geneviève’ ?) représentent cinq ascensions de la vie chrétienne : le combat contre les tentations, avec le renoncement à la gloire humaine. La loi de l’amour du Sermon sur la montagne, avec la règle d’or de faire aux autres ce qu’on voudrait qu’ils fassent pour nous. Au centre la contemplation du Christ transfiguré, en majesté. Le Mont des Oliviers symbolise la remise de notre confiance entre les mains du Père. Enfin, le Golgotha est le passage obligé par la mort pour entrer dans la Vie.
Le Catéchisme, dans sa quatrième partie sur la prière, contient cette expression étonnante, sur laquelle je reviendrai un autre jour, du « drame de la prière » (CEC 2570. 2598. 2606). Pour la comprendre, il faut dire, c’est mon propos aujourd’hui, que la prière est une montagne. Le lieu de la rencontre de Dieu.
Je ne veux pas seulement dire qu’on s’en fait une montagne. La prière est une montagne, dont le premier effet est de tourner nos regards vers le haut, vers le Ciel, en cherchant un chemin. La prière est l’élévation de l’âme vers Dieu (mon homélie du 25 août dernier).
Ceux qui aiment la montagne, qui en sont familiers, savent qu’elle est une école d’humilité. Elle a ceci de commun avec la haute mer qu’on ne saurait s’y aventurer seul, sans s’y être préparé, quelle que soit l’attirance et la fascination qu’elle puisse exercer, école d’humilité, de patience, de persévérance. C’est beau. C’est grand. C’est sacré.
On pourrait inventorier les montagnes dans la Bible.
De l’Ancien Testament, j’en retiens trois, évidemment celle du don de la Loi à Moïse. Dans le Livre de l’Exode comme dans le Deutéronome le mot montagne apparaît plus de quarante fois, deux fois plus que dans le Livre des Nombres ou dans la Genèse, et zéro dans le Lévitique.
La deuxième montagne à avoir en mémoire est celle où Dieu appelle Abraham avec son fils Isaac (Gn 22, 1), pour l’éprouver. Abraham donne à cette montagne le nom de « Dieu voit » ou « Dieu pourvoit » (Gn 22, 14).
Enfin, la 3ème fonction de la montagne dans l’Ancien Testament est d’être un lieu de refuge, pour ceux, de Lot à David, en passant par les émissaires de Josué, qui fuient leurs ennemis.
La montagne est un espace sacré, qui nous rapproche du Très-Haut, un lieu de révélation, d’épreuve et de protection.
On comprend dès lors la question posée à Jésus par la Samaritaine de savoir sur quelle montagne il faut adorer (Jn 4, 21). Elle n’est pas très différente de la question si fréquente de savoir où il faut prier, à quel endroit c’est le mieux. La réponse de Jésus transcende toute dispute sur les lieux et les façons de prier : « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer ».
C’est ce que disent les Psaumes de la grandeur de Dieu qui est au-delà de tout ce que l’on peut imaginer : « Oui, le grand Dieu, c’est le Seigneur, le grand roi au-dessus de tous les dieux : il tient en main les profondeurs de la terre, et les sommets des montagnes sont à lui » (Ps 94).
Voilà pourquoi la prière est une montagne, lieu de révélation et de protection, d’épreuve et pas de tranquillité, où l’amour de Dieu, souvenez-vous du prophète Elie, se manifeste dans la force du silence qui comble le cœur de celui qui le cherche.
Nous avons fêté cet été Notre-Dame du Mont Carmel, en surplomb de la mer, de l’autre côté on descend vers Nazareth. Elle est la seule dévotion particulière que l’Eglise a gardée lors de la réforme liturgique après le Concile. La prière de cette messe nous fait demander « sa protection pour parvenir à la montagne qui est le Christ ».
Que la Vierge-Marie, Notre-Dame du Mont Carmel, Notre-Dame des Douleurs et Mère de l’Espérance, nous guide dans la prière : elle est l’épouse du Saint-Esprit, modèle de force et de douceur, de persévérance et d’humilité.
Rappelez-vous qu’à l’annonce de l’Ange, « Marie se leva, se mit en route et s’en alla en hâte au pays des montagnes, dans une ville de Judée » (Lc 1, 39), pour témoigner à sa cousine sa charité.
La prière est une montagne. Cette montagne est le Christ. La montagne de la charité, sans cesse à gravir, sans jamais abandonner.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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