Il est très difficile de croire en Dieu quand on ne sait pas d’une part ce qu’est la mort, et qu’on ne sait pas d’autre part qu’on a une âme, qui est immortelle. Tant de personnes disent avoir perdu la foi, cessé de croire en Dieu à la mort d’un proche : elles se sont senties abandonnées, trompées, trahies. Elles ont prié, supplié Dieu, et Dieu n’a rien fait, la personne aimée leur a été enlevée. J’ignore ce qu’on leur avait dit de Dieu. Je me demande ce qu’elles savaient et de l’âme et de la mort.
Les trois hommes des textes de ce dimanche, le prophète Isaïe dans la première lecture, saint Paul dans ce texte sur la Résurrection si fondamental pour notre foi qu’est le chapitre 15 de la 1ère Lettre aux Corinthiens, et le futur premier des apôtres Simon-Pierre dans l’évangile, savaient les deux. D’abord, que la personne humaine n’est pas un animal. On se traitait de noms d’animaux, chien, vipère, cochon, pour se garder de toute confusion. Quant à la mort, ils l’avaient vue à l’œuvre depuis tout-petits, présente et visible : on ne la cachait pas ; on ne pouvait pas la cacher. Parfois j’interroge de jeunes adultes : tu as déjà vu un mort, en vrai, pas en images, vu de près et même touché un mort ?
La majorité de nos contemporains croient en Dieu en tant que force supérieure, et moi aussi ! mais qui est pour eux une force antérieure, d’impulsion, du passé : ils sont prêts à croire en un Dieu créateur dont le rôle s’arrête là, sans lien avec eux, ni avec leur vie ni avec leur âme pour autant qu’ils donnent du sens à ce mot. Ils ne voient pas en quoi cette force est une source d’Espérance puisque nous mourrons tous. Le plus tard possible.
Pierre et ses compagnons avaient vu des personnes se noyer dans le lac, leurs corps sans vie sur le rivage. Ils avaient subi des tempêtes, l’évangile en relate, et ils se savaient dans leur barque, vulnérables. Quand ils entendaient à la synagogue le récit de la mort des Egyptiens dans la Mer Rouge, ou du Déluge, résonnait en eux cette réalité des eaux de la mort. Aussi, lorsque Jésus dit à Pierre que désormais ce ne seront pas des poissons qu’il remontera mais « des hommes que tu prendras », Pierre et ses compagnons comprennent d’instinct que Celui qui dit cela est le Sauveur qu’ils attendaient, Celui qui vient nous retirer des eaux de la mort. « Laissant tout, ils le suivirent ».
L’Ancien Testament est si discret sur la mort que les traditions ne s’accordaient pas entre elles. Les Pharisiens croyaient à la résurrection ; les Sadducéens s’intéressaient au Salut du Peuple élu. On peut néanmoins reconstituer ce que croyaient Isaïe, Paul et Simon-Pierre : ils croyaient au jugement de leurs actes. Ils cherchaient par conséquent à mener une vie droite, la plus conforme aux commandements de Dieu et à leur conscience, sachant que la mort, l’heure de rendre des comptes pouvait survenir à tout moment. Alors qu’ils étaient très sensibles à la justice, ils ne considéraient pas la mort comme une injustice. Ni comme un scandale. Elle faisait partie de leur vie.
Ils avaient également une relation plus saine que nous aux institutions – cette situation prévaut encore dans la plupart des pays du monde : ils en acceptaient la nécessité et les limites. Ils en savaient la nécessité pour la vie sociale, que ces institutions soient religieuses, administratives, éducatives ou sanitaires (même si l’école et l’hôpital sont, dans leur accès à tous, des inventions chrétiennes). Et ils en acceptaient les limites puisque ces institutions sont tenues par des hommes.
Ils ne comptaient pas sur elles pour les sauver, d’une pêche désastreuse, d’une récolte catastrophique, une perte de ressources, une maladie grave ou un comportement aberrant. Ils savaient au contraire que ces institutions seraient sans pitié en cas d’infraction de leur part aux usages et aux lois.
Ces hommes d’expérience et de bon sens ne mettaient pas leur confiance dans ces institutions que pourtant ils respectaient, pas plus qu’ils ne la mettaient dans leurs moyens d’existence, leurs biens matériels ou leurs outils de travail, encore moins dans des moyens de communication – ils seraient effarés de voir à quel point nous dépendons de l’informatique et d’internet. Ils nous diraient : vous êtes fous !
Parce qu’on savait qu’on avait une âme et ce qu’est la mort, la sagesse était de rester proche de sa famille, de la supporter, de s’entourer d’amis fidèles, de privilégier la stabilité des relations, qui étaient autant de protections, de soutien dans les épreuves, de réconfort et de consolation.
En Jésus, Pierre, Paul, les disciples découvrent une puissance de vie d’une autre nature, si prodigieuse qu’elle ne pouvait venir que de Dieu, si attentionnée qu’ils ne pouvaient que lui faire confiance, ouvrir leur cœur à sa lumière. « Sois sans crainte » dit Jésus. L’appel est enthousiasmant, exaltant dit Marie. C’est pourquoi « laissant tout, ils le suivirent ». Il en va de même pour chacun de nous : même si nous ne laissons pas tout, tout de suite, le bonheur se trouve avec Jésus, auprès de lui.
La mort n’est plus la même quand on a rencontré le Christ. Notre âme n’est plus la même. Elle est vivante ! Et se remplit de joie ! Un Psaume (15) le dit magnifiquement : J’ai dit au Seigneur : Tu es mon Dieu ! Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices !
La mort n’est plus la même quand notre âme connaît Jésus Christ.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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