L’adversaire de la veuve ressemblait à ce juge. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que, lorsque nous nous comportons mal, comme ce ‘juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes’, le Seigneur met sur notre chemin une personne ou une situation qui nous ressemble. Je l’ai expérimenté tant de fois que maintenant je souris : dès qu’il y a dans ma vie quelque chose qui ne va pas, comme par hasard, dans une sorte d’effet miroir, une situation ou une personne que je rencontre est dans un désordre comparable : ‘cet homme, ou cette femme, c’est toi’ me murmure la voix intérieure de ma conscience.
La Providence divine nous fournit les signes et les lumières nécessaires à notre conversion : le Seigneur nous montre ce que nous devons changer dans notre vie. Nous pouvons refuser de voir, d’entendre, faire comme ce juge qui, quand il finit par faire son travail, pense que c’est pour avoir la paix, avec cette curieuse expression ‘qu’elle ne vienne plus m’assommer, me casser la tête’, littéralement contusionner. En réalité, il consent à sa conversion.
Lorsque le Seigneur veut nous dire quelque chose, il y a les textes de la messe, il y a les paroles plus ou moins amicales de nos proches, les corrections fraternelles qui nous énervent d’autant plus que nous ne voulons pas les entendre, et il y a des signes et des personnes que Dieu met sur notre route. Souvenez-vous du prophète Balaam : Dieu était furieux qu’il se laisse corrompre, attirer par l’argent, et il envoie son Ange barrer le chemin : seule l’ânesse de Balaam le voyait et elle ne voulait pas avancer (Nb 22, 22). Quand ça veut pas, plutôt que de forcer, il faut décrypter.
Pour moi, le cas le plus spectaculaire a été la première personne que j’ai reçue en confession. Le prêtre se souvient de sa première confession. C’était dingue : il faisait les mêmes péchés que moi ! Seigneur, tu es trop fort ! Je suis touché au cœur par sa délicatesse quand il agit ainsi de façon ‘subtile’ – c’est un des traits de l’Esprit-Saint : « Il y a dans la Sagesse un esprit intelligent et saint, unique et multiple, subtil et rapide ; ami du bien, vif, irrésistible, bienfaisant, ami des hommes ; tout-puissant et observant tout, pénétrant tous les esprits, même les plus intelligents, même les plus subtils » (Sg 7, 22.23)
Ce juge inique s’était peut-être cru débarrassé de cette veuve en finissant par rendre justice. En réalité, sa conversion pouvait reprendre ou commencer : il avait ouvert la porte à l’Esprit-Saint en faisant l’expérience du bien.
Dans la parabole du bon Samaritain, les deux égoïstes qui ne se sont pas arrêtés l’ont regretté tôt ou tard, au plus tard quand, rencontrant le Christ, il leur a dit : j’étais blessé, abandonné, j’avais besoin de toi et tu ne t’es pas arrêté. Ici, c’est le contraire : ce juge y a lui aussi pensé par la suite, avec plaisir ou fierté, au bien qu’il avait fait, au moins cette fois-là. Le contraire du regret : un certain plaisir, une joie. Cela s’appelle faire la bonne expérience du bien, de l’action de l’Esprit-Saint, comme un petit goût de reviens-y, le goût subtil du Saint Esprit.
On nomme cette parabole ‘du juge inique et de la pauvre veuve’, par compassion pour elle et parce que la veuve dans la Bible est le modèle du pauvre, de la personne sans défense.
Sont pauvres ceux que personne ne soutient, ne secourt ou défend. « La première fois que j’ai présenté ma défense, dit saint Paul, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux » (2 Tim 4, 16). Il accomplissait ainsi « en sa chair ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24) car c’est ce que Jésus a vécu dans sa Passion : personne n’est venu à son secours. « Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance » chante le Serviteur souffrant au Vendredi saint : « il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. Qui donc s’est inquiété de son sort ? » (Is 53, 8).
Et la Lettre aux Hébreux explique que « pendant les jours de sa vie dans la chair, il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, – et il fut exaucé » (He 5, 7).
La persévérance de la prière.
Le Pape Jean XXIII en a donné une belle définition dans ce texte « Rien qu’aujourd’hui », quand il dit vouloir « se garder de deux calamités : la hâte et l’indécision ».
Cela suppose d’avoir fait, comme tous les saints, la bonne expérience du bien, de l’action de l’Esprit-Saint, et son petit goût de reviens-y, le goût subtil du Saint Esprit.
Rien qu’aujourd’hui
par le bon Pape saint Jean XXIII
- Rien qu’aujourd’hui, j’essaierai de vivre ma journée sans chercher à résoudre le problème de toute ma vie.
- Rien qu’aujourd’hui, je prendrai le plus grand soin de me comporter et d’agir de manière courtoise ; je ne critiquerai personne, je ne prétendrai corriger ou régenter qui que ce soit, excepté moi-même.
- Rien qu’aujourd’hui, je serai heureux sur la certitude d’avoir été créé pour le bonheur, non seulement dans l’autre monde mais également dans celui-ci.
- Rien qu’aujourd’hui, je consacrerai dix minutes à une bonne lecture en me rappelant que, comme la nourriture est nécessaire à la vie du corps, de même la bonne lecture est nécessaire à la vie de l’âme.
- Rien qu’aujourd’hui, je ferai une bonne action et n’en parlerai à personne.
- Rien qu’aujourd’hui, j’accomplirai au moins une chose que je n’ai pas envie de faire, et si on m’offense je ne le manifesterai pas.
- Rien qu’aujourd’hui, je me plierai aux circonstances, sans prétendre que celles-ci cèdent à tous mes désirs.
- Rien qu’aujourd’hui, j’établirai un programme détaillé de ma journée. Je ne m’en acquitterai peut-être pas entièrement, mais je le rédigerai. Et je me garderai de deux calamités : la hâte et l’indécision.
- Rien qu’aujourd’hui, je croirai fermement — même si les circonstances attestent le contraire — que la Providence de Dieu s’occupe de moi comme si rien d’autre n’existait au monde.
- Rien qu’aujourd’hui, je n’aurai aucune crainte. Et tout particulièrement je n’aurai pas peur d’apprécier ce qui est beau et de croire à la bonté.
Je suis en mesure de faire le bien pendant douze heures, ce qui ne saurait me décourager, comme si je me croyais obligé de le faire toute ma vie durant.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire