Au moment de sa Passion, Jésus demande à ses disciples, juste après l’annonce à Pierre de son triple reniement, et on peut imaginer à quel point ils sont alors bouleversés et déstabilisés : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous donc manqué de quelque chose ? ». Ils répondent : « Non, de rien » (Lc 22, 36). Que ce soit en mission en avant de lui, ou à sa suite : avec le Christ, ils n’ont manqué de rien.
Comme dit le Psaume : « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien » (Ps 22). Rien ne saurait me manquer. Dieu est plénitude. La joie de croire, le bonheur de la vie éternelle vient de cette plénitude, qui est celle de l’amour. Dans un monde instable, c’est très rassurant.
« Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit ». Cette prière a été retrouvée dans le bréviaire de sainte Thérèse d’Avila le jour de sa mort, le 15 octobre 1582.
Tout passe, Dieu ne change pas. L’amour ne disparaîtra jamais. Dieu est Amour. L’amour prend patience, l’amour rend service. Aux noces de Cana, Marie demande ce ‘service’ à Jésus. Le vin étant venu à manquer, elle lui dit : « Ils n’ont plus de vin ».
De tous les sacrements, le sacrement de mariage est un des plus difficiles à définir, d’un mot : il n’est pas le sacrement de l’alliance, c’est le baptême. Il n’est pas le sacrement de l’unité, c’est l’eucharistie. Il n’est pas le sacrement du sacrifice ( !), c’est le sacerdoce.
Il est le sacrement de la différence de l’homme et de la femme. La préparation au mariage vise à vérifier que les fiancés ont conscience que, quelles que soient leurs affinités, l’amour qui les unit, tout ce qu’ils peuvent avoir en commun, les goûts, les valeurs, les envies qu’ils partagent, ils sont fondamentalement différents.
L’évangéliste l’indique avec une grande délicatesse dans ce récit des Noces de Cana en mettant ce constat dans la bouche du maître du repas quand il dit au marié qui représente le Christ : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant ». Tu n’es pas comme tout le monde. Tu n’es pas comme moi. Tout l’amour est là : je t’aime parce que tu n’es pas comme moi. Ce n’est pas moi que j’aime en toi : j’aime ta différence.
Le Christ a élevé cette différence au rang de sacrement, il l’a doté d’une grâce spécifique pour qu’elle ne devienne pas un motif d’exaspération au fil du temps : ‘tu ne changeras donc jamais !’ signifiant ‘tu ne seras donc jamais tel que je voudrais que tu sois’. Eh bien non. Tu seras toujours un mystère divin.
C’est là notre espérance.
Le baptême est le sacrement de l’alliance parce qu’il est le sacrement de la foi. L’eucharistie est le sacrement de l’unité parce qu’elle est le sacrement de la charité. Le mariage est le sacrement de la différence parce qu’il est le sacrement de l’espérance.
Aux fiancés qui viennent nous voir, nous commençons par dire : Bravo ! Par les féliciter : « Bravo pour votre projet de mariage ! Merveille de l’amour, Joie pour l’Eglise, Espérance pour le monde ».
Oui, le mariage porte une espérance qui dépasse ceux qui se marient, qui nous renvoie à la confiance que nous avons en Dieu et dans la vie. « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien ».
Personne ne peut vivre longtemps, heureux, dans l’incertitude et l’insécurité.
Le pape Benoît XVI parlait souvent de la force transformante de l’amour ; le point de départ est la force rassurante de l’amour. Le Christ est cette force rassurante. Et transformante.
A Cana de Galilée, lorsque Jésus manifesta sa divinité, « ses disciples crurent en lui », lorsqu’ils ont vu que, dans un monde qui passe, quand bien même le fruit de la terre, de la vigne et du travail des hommes viendrait à manquer, Dieu veut et vient nous sauver. Dieu peut changer l’eau en vin, Lui seul ne change pas.
Une autre Thérèse, également religieuse, vierge consacrée, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a écrit un poème sur l’immensité de cette espérance :
« Moi si j’avais commis tous les crimes possibles –
Je garderais toujours la même confiance,
Car je sais bien que cette multitude d’offenses
n’est qu’une goutte d’eau dans un brasier ardent.
Oui, j’ai besoin d’un cœur, tout brûlant de tendresse,
Qui reste mon appui, et sans aucun retour,
Qui aime tout en moi, et même ma faiblesse
Et ne me quitte pas, ni la nuit ni le jour ».
Grandeur du mariage ! « Merveille de l’amour, Joie pour l’Eglise, Espérance pour le monde ».
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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