Décidément, il sera dit que je consacrerai trois homélies en trois mois à la Trinité sainte. Nous l’avons fêtée il y a un mois, le 11 juin. Je pensais vous en reparler le mois prochain pour la Transfiguration, le 6 août qui tombe cette année un dimanche, la Transfiguration étant, avec le baptême de Jésus par Jean-Baptiste, la plus belle théophanie (manifestation) trinitaire. Et voilà que l’évangile de ce dimanche nous invite à revenir aux relations du Père, du Fils et de l’Esprit, le saint Esprit consolateur qui rend le poids de la vie plus léger.
Il est consolateur et je voudrais l’aborder sous cet angle du réconfort qui est l’acte d’amour le plus élémentaire et le plus concret, comme de donner un verre d’eau à celui qui a soif. Le pape François disait dans une homélie de semaine que « personne ne peut se réconforter soi-même, personne : l’expérience du réconfort est une expérience spirituelle, qui a toujours besoin de l’altérité pour être pleine ».
Son point de départ était les premières lignes d’une Lettre de saint Paul où le mot revient à de multiples reprises : « Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père plein de tendresse, le Dieu de qui vient tout réconfort. Dans toutes nos détresses, il nous réconforte ; ainsi, nous pouvons réconforter tous ceux qui sont dans la détresse, grâce au réconfort que nous recevons nous-mêmes de Dieu » (2 Co 1, 2-4).
Le Pape disait que celui qui cherche à se réconforter lui-même « finit par se regarder dans un miroir, il se regarde dans la glace. Il se console avec ces choses fermées qui ne le laissent pas grandir et l’air qu’il respire est l’air narcissique de l’autoréférence ». C’est la prière du Pharisien : « Je te remercie parce que je ne suis pas comme les autres » : « Il regardait son âme maquillée avec des idéologies et il remerciait le Seigneur ».
Le réconfort est un don. « C’est Dieu qui réconforte ». Et l’un comme l’autre, Dieu comme le réconfort, suppose qu’on en ait besoin. « C’est seulement comme cela que le Seigneur vient ». Ensuite, le réconfort doit passer « du don reçu au service rendu » : Dieu « nous donne la mission de réconforter les autres. D’avoir le cœur ouvert pour recevoir le don et rendre le service ». Nous ne pouvons donner que ce que nous avons reçu.
Ce n’est pas compliqué : c’est le mouvement de la vie, et même le signe d’une profusion de vie. C’est le propre de la Trinité, qui n’est pas ‘compliqué’, mais d’une richesse infinie. De même qu’il ne faut pas confondre ce qui est difficile avec ce qui est compliqué (mon homélie du 21 mai 2017), de même il ne faut pas voir de la complexité là où se trouve l’énergie de la vie.
Une des phrases de la Bible qui a le plus marqué les Pères de l’Eglise appartient au Livre du Siracide (qu’on appelait l’Ecclésiastique) : « toutes choses vont deux par deux » (Si 42, 25). Saint Augustin expliquait ainsi « la beauté de l’univers qui, par l’art de la Providence, tire une splendeur nouvelle de l’opposition des contraires » : « Dieu n’aurait pas créé un seul ange, que dis-je ? un seul homme dont il aurait prévu la corruption, s’il n’avait su en même temps comment il ferait tourner ce mal à l’avantage des justes et relèverait la beauté de l’univers par l’opposition des contraires, comme on embellit un poème par les antithèses. C’est ce qui est clairement exprimé dans ce passage de l’Ecclésiastique : « Le bien est contraire au mal, et la mort à la vie, ainsi le pécheur à l’homme pieux ; regarde toutes les œuvres du Très-Haut : elles vont ainsi deux à deux, et l’une contraire à l’autre » (Civ. Dei XI, 18).
Si toutes choses vont deux par deux, pourquoi la Trinité ? Pourquoi Dieu est-il Trinité et non pas duel, relation d’amour entre deux personnes divines ? Même si on aurait pu imaginer d’autres personnes que le Père et le Fils, ils ont l’avantage d’être identifiables, davantage que l’Esprit saint. Ce qui explique qu’on fasse de l’Esprit saint la relation d’amour entre le Père et le Fils, comme si l’Esprit n’était pas une personne à part entière, au même titre que le Père et le Fils, et comme si le Père et le Fils n’étaient pas des relations au même titre que l’Esprit.
Il en va de notre compréhension de ce qu’est une ‘personne’. Qu’est-ce qu’une personne ? C’est un être avec qui je suis en relation, avec qui j’étais ou avec qui je pourrais entrer en relation. Est-ce que cet être existe isolément, indépendamment de toutes relations ? Est-ce qu’une personne continuerait d’exister si on la coupait de toutes ses relations ? On est tenté de répondre : oui, au moins son âme, puisque c’est ce qui advient au moment de la mort.
En fait, non. Car notre âme n’est rien d’autre que notre relation à Dieu. C’est la définition de la damnation : l’âme, séparée de son corps au moment de la mort, est coupée de toutes ses relations physiques, affectives et sociales. Séparée de son corps, elle ne peut plus poursuivre ses relations antérieures avec les autres créatures : elle se trouve placée devant la vérité de sa relation à Dieu, et si elle en venait à refuser cette relation, elle irait au néant.
Toutes nos relations les uns avec les autres, pour autant qu’elles ne soient pas régies par le strict intérêt matériel, pour autant qu’elles aient un minimum de sens et d’amour, nous les tenons de Dieu qui est Amour. Voilà pourquoi nous disons de l’amour du prochain, du second commandement, qu’il est ‘inclus’ dans l’amour de Dieu. Il lui est semblable, dit Jésus, ce qui ne veut pas dire égal ou équivalent, mais à son image.
Ce détour permet de saisir la réalité trinitaire de l’amour humain qui fait que tout amour que nous vivons entre nous vient de Dieu.
Voilà pourquoi Dieu est Trinité et non pas Père et Fils. La question exacte est : que signifie de savoir que Dieu est Trinité, puisque nous ne le savons que parce qu’il nous l’a révélé. Eh bien, la vérité de l’amour entre deux personnes est l’existence d’un tiers qui en soit bénéficiaire. « Dans toutes nos détresses, Dieu nous réconforte ; ainsi, nous pouvons réconforter tous ceux qui sont dans la détresse, grâce au réconfort que nous recevons nous-mêmes de Dieu ».
C’est la seule question qui vaille, qu’il faut poser aux couples, aux amis, aux familles : qui est ou qui sont les bénéficiaires de l’amour que vous recevez de ceux qui vous aiment ? C’est la question que Dieu pose sans cesse à son Eglise : les pauvres sont-ils les bénéficiaires du culte que vous me rendez ?
Venez à moi, dit Jésus, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, c’est-à-dire d’épreuves dont vous ignorez la fécondité. Et moi, je vous procurerai le repos : je vous donnerai la vie.
Mes amis, posons cet acte de foi que cette Messe que nous célébrons, notre communion à la Parole et au Corps du Christ nous fait grandir dans l’amour : dans l’amour de Dieu, dans l’amour du prochain, et dans le respect de nous-mêmes. C’est le critère de la prière, – la vérité de la prière, c’est l’amour.
Qui sont les bénéficiaires de l’amour que nous recevons ?
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire