Nous ne nous sommes pas encore réveillés du cauchemar des attentats terroristes qui ont ensanglanté notre pays, et pour cause : il continue. Nous sommes dans une situation de tremblement de terre, errant comme les habitants qui ont dû quitter leur maison en pleine nuit et redoutent le prochain séisme, la secousse à venir, la prochaine réplique. ‘Réplique’ est le terme qui convient pour décrire les nouveaux crimes qui semblent être faits par imitation, comme si des déséquilibrés voulaient profiter de leur impact et leur médiatisation.
Il n’y a pas que la France qui soit touchée, d’autres pays voisins comme l’Angleterre ou l’Espagne, qui sont comme nous des pays riches, de tradition d’accueil des étrangers : il y a un lien entre terrorisme et immigration, non pas tant d’accueil des nouveaux migrants qu’un lien entre terrorisme et immigration ancienne, car, comme cela a été abondamment souligné, la majorité de ces attentats ont été commis par des natifs du pays ou avec leur complicité : ils ont été perpétrés en France par des enfants de la République. Le cardinal André Vingt-trois avait demandé qu’on s’interroge sur ce qui apparaît au minimum comme un échec de notre système éducatif, un échec de la démocratie.
La parabole des vignerons homicides est un des textes les plus violents de l’évangile, en annonce de la Passion. Elle décrit quelque chose de comparable : une explosion de violence dans un climat de paix et de travail, une violence faite à des civils, les serviteurs et le fils d’un riche propriétaire, l’enfermement progressif de ces vignerons, leur radicalisation jusqu’à la mort. Ils ont un objectif très clair de conquête, d’appropriation d’un bien qui leur était confié, donné en jouissance moyennant rémunération. Ils étaient locataires, comme nous le sommes, de tous nos biens.
Pour nous chrétiens, les victimes des attentats ne sont pas assimilables aux premiers serviteurs envoyés par le maître : ils sont tous son Fils bien-aimé. Chaque personne tuée ou mutilée dans un attentat est le Christ lui-même. Et ici, à Notre-Dame de Compassion, nous pensons en contemplant la Vierge des Douleurs à elles et à leurs familles.
Nous ne sommes pas « abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance. Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis dans la mort : Dieu, à cause de Jésus, les emmènera avec son Fils. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur. Retenez ce que je viens de dire et réconfortez-vous les uns les autres ».
Surtout, nous ne sommes pas dupes de ce qui se passe. Voilà que des valeurs de respect, d’égalité, de tolérance, que l’on croyait républicaines, se révèlent pour ce qu’elles sont : des valeurs chrétiennes. Et qu’on découvre ainsi qu’on peut naître et grandir dans un pays de tradition chrétienne sans en partager les valeurs. Et ce, d’autant plus facilement qu’en reniant ses racines et son histoire, la République française s’est reniée elle-même.
Lorsque de plus en plus de jeunes proclament qu’ils n’aiment pas la France, qu’ils y sont nés et y ont grandi mais qu’ils ne se sentent pas français, il faut entendre ce qu’ils disent en vérité : ils n’aiment pas la France chrétienne, comme ces vignerons de la parabole ne se reconnaissent pas comme les vignerons de ce maître.
Il faut aujourd’hui que l’Eglise et la République unissent leurs forces au service de la paix, ce qui nécessite que la République cesse de considérer la religion comme une sous-culture, pour reprendre l’analyse que fait le Pape François de la tentation laïciste française, et il faut, pour ce qui nous concerne, que l’Eglise renouvelle son regard sur la démocratie, et se démocratise elle-même.
Un des catholiques les plus virulents de la fin du XIXème siècle, Léon Bloy comparait la démocratie à l’élection du père de famille par ses enfants. Il y a dans l’Eglise une réticence historique à l’égard de la démocratie qu’il faut convertir, parce qu’on ne peut pas professer l’égalité de dignité de l’homme et de la femme, l’attention aux petits et aux pauvres, sans l’appliquer pour soi-même.
Le Vicaire général (l’adjoint de l’évêque) d’un grand diocèse français, que j’interrogeais à la rentrée sur sa visite des paroisses, me disait qu’il y allait en se voulant ‘modeste’. Comme j’avais à l’esprit une phrase de Camus que j’avais lue la veille dans son essai au titre explicite ‘La Démocratie, exercice de la modestie’, je lui dis du tac au tac : ‘Tu y vas comme un démocrate’, et lui de se récrier vivement : ‘Ah non ! pas démocrate !’. Comme si c’était un gros mot dans l’Eglise.
C’est pourtant ce que les gens aiment chez le Pape François, qui n’est pas tant un pape populaire que fondamentalement démocrate, au sens que lui donne Camus : « Le démocrate est modeste. Il avoue une certaine part d’ignorance, il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné. Et, à partir de cet aveu, il reconnaît qu’il a besoin de consulter les autres, de compléter ce qu’il sait par ce qu’ils savent » (‘La Démocratie, exercice de la modestie’, in Essais, Pléiade, p. 1582).
Nous avons la chance d’avoir un Pape qui, dans la continuité de ses prédécesseurs, et dans l’esprit du Concile Vatican II, cherche à lutter contre la tentation monarchique de la hiérarchie catholique, contraire à la collégialité que le Christ a voulue pour ses Apôtres.
Le Christ est le Roi de l’Univers. Il n’est pas démocrate parce qu’il n’y a chez lui aucune part, nul soupçon d’ignorance : Il est Dieu. Mais nous ses disciples, nous hommes et femmes, avons cette part d’ignorance, quelle que soit notre fonction dans l’Eglise ! qui exige que nous reconnaissions que nous avons besoin de consulter les autres, de compléter ce que nous savons par ce qu’ils savent. Aimons-nous les uns les autres se dit aussi : apprenons les uns des autres. Celui qui s’en affranchit sombre dans l’idéologie.
Où est le point de bascule ?
Dans l’accueil des serviteurs. Je crois au témoignage des serviteurs. Je crois à cette Parole du Christ qui fonde l’égalité entre nous : « Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé » (Mt 10, 40). C’était l’évangile lundi dernier des saints anges gardiens : « celui qui accueille un enfant, un petit, un pauvre, en mon nom, dit Jésus, il m’accueille, moi ».
Au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour ? Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’accueil des serviteurs c’est-à-dire des messagers que Dieu ne cesse de nous envoyer. Comment faire pour que l’Eglise se démocratise ? Il suffit de considérer et d’accueillir toute personne vulnérable comme envoyée par Dieu et son messager.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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