La comparaison du peuple, et du peuple de Dieu ! avec un troupeau n’est pas agréable quand on ne sait pas ce qu’est un berger et l’amour qu’il porte à chacune de ses bêtes. Le registre nous est pourtant familier comme dans « travailler comme une bête ». Et pourquoi pas : « Prier comme une bête » ?
C’est de travail que je voudrais vous parler en ce dimanche du Bon Pasteur dont le rôle est de faire grandir et protéger (les deux missions régaliennes d’éducation et de défense) autant que mettre au travail. Dans la parabole, le portier est là pour éviter le contraire du travail qui n’est pas l’oisiveté mais le vol.
Le travail est constitutif de la dignité humaine, et il convient que nous puissions dire ce qui fait d’une activité un travail. Puisque nous prions pour les Vocations, est-ce que prêtre est un travail, un métier ?
Le premier critère qui vient à l’esprit pour parler du travail est l’argent. De ce point de vue, on ne travaillera pas au Paradis car il n’y aura plus besoin d’argent quand les relations seront régies par grâce. Le mal n’existera plus. Il n’y aura plus de voleur, de menteur, ni d’escroc. Voler, c’est ne pas payer ou faire payer trop cher, ou bénéficier des mêmes avantages que les autres sans y avoir droit. Ces voleurs profiteurs sont des fléaux qui incitent à faire pareil.
Cela nous amène au deuxième critère du travail, sa pénibilité, c’est l’étymologie du mot, de tripalium instrument de torture. C’est la lecture que nous faisons du livre de la Genèse et de la condamnation de l’homme à gagner son pain à la sueur de son front. Travailler c’est souffrir, alors que cette pénibilité est le résultat du péché, et n’est pas inhérente au travail : Dieu a créé le monde avec une grande joie, associant l’homme à son œuvre dans des conditions originelles de grâce et d’harmonie. Nous croyons que nous retrouverons ces conditions au Ciel, en mieux.
Nous les retrouverons grâce à de nouvelles relations entre nous, car la pénibilité du travail, lorsqu’il n’est pas épuisant physiquement, vient des personnes avec qui on travaille, qu’on doit supporter. Elle vient aussi de son caractère répétitif : qu’est-ce qui fait d’une activité un travail ? C’est son caractère répétitif. Ce que vous ne faites qu’une fois, ou pour un temps très bref, n’est pas un travail. C’est toute la différence entre le tourisme et l’immigration.
L’argent. L’effort. La répétition, avec la monotonie qu’elle entraîne. A ces trois premiers critères, on peut ajouter les deux raisons qui font que le travail est répétitif : il suppose une formation, un apprentissage, une tradition. C’est en forgeant qu’on devient forgeron disait un proverbe, pour signifier que la répétition des gestes est nécessaire à leur efficacité.
C’est aussi la condition de leur rentabilité, et le boulot du patron est de veiller sur cet équilibre économique, et faire en sorte que le fruit du travail soit supérieur à son coût, y compris pour le travailleur. Cela nous ramène à la relation du pasteur et des brebis, à l’obéissance. Travailler, c’est obéir.
Chacun de ces aspects comporte des motifs de satisfaction : pour l’argent, dans la liberté et le pouvoir qu’il donne. Même la peine comporte une gratification, dans le sentiment d’exister, la satisfaction du travail accompli, le plaisir que connaissent tous ceux qui font du sport et cherchent à se dépasser. La répétition a quelque chose de confortable, d’assez rassurant. L’apprentissage, l’acquisition de connaissances, la maîtrise d’un métier est une source de grandes satisfactions. Enfin, l’obéissance suscite la reconnaissance, et porte les conditions d’un bénéfice affectif.
Il faut prendre en compte ces motifs de satisfaction, cet aspect plaisir du travail, pour comprendre qu’il puisse devenir une addiction, comme tous les plaisirs.
On sent bien que cette présentation est incomplète, lui manquent sa dignité, sa valeur morale, et sa finalité, sa fonction sociale : on travaille pour les autres plus que pour soi. Qu’est-ce qui fait de l’éducation des enfants, pour prendre l’exemple des mères de famille, un travail ? En ce mois de mai, demandez à la Vierge Marie si elle travaillait. Est-ce le temps qu’on y passe ? Est-ce que c’est le temps qu’on y consacre qui fait d’une activité un travail ? A partir de quel moment, cuisiner devient un travail ? Tu devrais ouvrir un restaurant ! Une bonne mère sera toujours une bonne mère pour d’autres enfants que les siens mais elle n’aura pas forcément le désir de s’occuper d’autres enfants que les siens.
Ces deux dimensions morale et sociale portent à Sept le nombre de critères qui font d’une activité un travail : l’argent (pour vivre), la peine (pour endurer), la répétition, l’apprentissage, l’obéissance, la dignité morale, la contribution sociale. Je vous invite à voir comment vous vous y retrouvez. Elles ont amené l’Eglise à définir une doctrine de Morale sociale, qui donne les conditions d’exercice de la politique, et l’explication de son dévoiement : la perte du sens moral.
Le Christ est le Bon Pasteur qui rétablit l’homme dans sa dignité et son humanité : pas de travail sans respect de la dignité, pas de travail sans service de la collectivité, sans la participation à une œuvre qui nous dépasse. Telle est la grandeur du Bon Pasteur, de garantir l’équilibre des deux, dignité et utilité dans le respect du sacré.
C’est ce qui manque le plus aujourd’hui aux croyants : le sérieux dans le domaine religieux.
D’où l’intérêt de rapprocher travail et prière, à la seule exception de l’argent, de la question financière. La prière est une grâce, mais c’est quand on prie pour les autres qu’on s’aperçoit que la prière est aussi un travail. Quand on accepte d’entrer dans des modes collectifs, liturgiques, de prière qui ne sont pas spontanément les nôtres, quand on prie avec les autres et pas seulement pour les autres, qu’on accepte qu’elle soit un travail, de chaque jour et de tous les jours. Quand on accepte que les fruits soient longs à venir, et même de ne pas voir ces fruits, car celui qui sème n’est pas forcément celui qui récolte. « Seul importe celui qui donne la croissance : Dieu » (1 Co 3, 7).
La prière est une grâce et un travail, qui nous unit à Dieu, par la volonté de répondre à son appel, d’obéir à sa Parole, de se laisser conduire par son Esprit. Mieux, au-dessus de tout ce qui est professionnel, il y a le sacré.
Jésus lui a donné son nom : la vie en abondance.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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