Pourquoi être catholique ? Il est bon de poser la question alors que dans trois jours commence le carême pour réapprendre ‘comment’ être catholique : ensemble, oui ensemble ! car la majorité des catholiques de notre pays le sont chacun de leur côté – on nous dit majoritaires, nous sommes dispersés. Ensemble donc, sacramentellement par la messe et la confession (ce sera une bonne résolution de carême d’aller plus souvent à la messe, et se confesser), et concrètement en associant à la prière le partage et la maîtrise de soi (l’aumône et le jeûne).
Mais d’abord, en écho à l’évangile de ce dimanche, je vous propose de voir ‘pourquoi’ être catholique. Ces trois paraboles (des guides aveugles, de la paille et la poutre, des bons arbres qui donnent de bons fruits) sont trois raisons de croire à la sainte Trinité : pour être guidés de façon fiable par le Christ ; pour nous reconnaître enfants d’un même Père, à égalité les uns les autres ; pour que notre conversion porte du fruit, dans l’Esprit : amour joie paix, patience bonté bienveillance, humilité douceur et maîtrise de soi (Gal 5, 23).
A la réunion de préparation au mariage de février, la veille de la saint Valentin, nous avons parlé sexualité, bien que nous soyons normalement nous prêtres ‘non-pratiquants’. Vous vous souvenez peut-être de mes homélies de carême l’an dernier, pas une grande réussite, sur le caractère clivant du sujet, le choix incompréhensible pour le monde de l’Eglise de ne pas dissocier union et procréation et de prôner la chasteté. J’ai modifié depuis mon approche pour la centrer sur la liberté personnelle, le respect de la liberté intérieure de chacun. Pourquoi être catholique ? Pour respecter le lien personnel et secret de chaque personne avec son Seigneur.
Pourquoi Jésus interdisait-il aux démons de révéler qu’il était le Christ ? A cause du ‘secret messianique’ ? Parce que l’heure n’était pas venue ? De la même façon qu’il ordonne aux disciples témoins de sa Transfiguration de n’en parler à personne avant sa résurrection ? En réalité le mauvais des démons vient de ce qu’ils ne respectent pas notre liberté intérieure. Ils nous manipulent, nous font faire ce que nous ne voulons pas. En jouant sur notre sensibilité, notre imagination, ils nous font trouver séduisant ce qui n’est pas bon pour nous. S’appliquent aux démons ces trois paraboles : ce sont des guides aveugles, persuadés de leur supériorité, qui confondent le bien et le mal.
Lors de cette réunion animée par un couple dévoué, réfléchi et formé, j’ai posé à mes fiancés trois questions.
Comment faire quand le désir de l’un ne rencontre pas celui de l’autre ? Ils ont connu plus jeunes le phénomène de ‘friend zone’, de différence de désirs. Cela vous est arrivé de flasher sur quelqu’un, d’être subjugué, sans que ce soit réciproque ? Eh bien même si c’est réciproque et durable, au point de se marier, ce n’est pas pour autant identique. Accorder ses désirs est l’enjeu de pérennité du couple, et l’intimité son lieu le plus sensible, compte tenu des différences chrono-biologiques entre l’homme et la femme. Comment fait-on quand deux personnes n’avancent pas au même rythme ? En famille, on se cale sur le plus lent. Mais en couple ?
En famille, on vit au rythme des plus petits, et on ne comprend pas l’Eglise autrement : elle n’est pas en retard ; elle croit, à l’inverse du monde, que les forts sont au service des faibles. Mais en couple, où les deux sont en principe à égalité, comment fait-on ? Les deux font l’effort ? Oui, d’en parler, d’en discuter ! De se connaître et de se parler.
Deuxième question : quand les deux ont envie, est-ce que cela suffit ? Cela s’applique à ces paraboles : si j’ai envie de suivre un autre aveugle, qu’est-ce qui m’en empêche ? Il y en a tant qui le font. Si je peux rendre service à celui qui a une paille dans son œil, qu’importe que je sois mal placé pour le faire ? Il y en a tant qui le font. Et si mes produits sont mauvais, qu’importe s’il y a des consommateurs pour les acheter ? N’est-ce pas la loi du marché ? N’est-ce pas notre liberté ?
La liberté n’est pas une abstraction. En matière de sexualité, elle n’est pas séparable de la fidélité, des engagements déjà pris. Si deux personnes ont envie d’avoir une relation sexuelle, qu’est-ce qui empêche qu’elles se fassent plaisir ? Réponse : les autres. Les promesses données, les engagements pris. Notre liberté n’est pas seulement intérieure : elle a son versant social, extérieur.
Nous ne sommes pas très clairs sur la place à donner à la sexualité, non qu’il s’agisse de vie privée vu la façon dont elle déborde sur l’espace public, mais parce que deux écoles s’opposent : pour l’une les questions de morale conjugale sont plus importantes que celles de justice sociale puisque le 6ème commandement passe avant le 7ème et découle du 5ème sur le respect de la vie. L’autre école estime à l’inverse que l’enseignement de Jésus a davantage trait à la justice sociale qu’à l’intimité des personnes. De quelle école êtes-vous : priorité à la famille ou priorité aux pauvres ? A la fidélité conjugale ou à la justice sociale ?
Les deux sont liés. Les deux sont des questions d’écologie humaine, d’harmonie entre nous et avec le monde. Les deux, le sexe et l’argent ont ceci en commun qu’ils prennent la tête, qu’ils viennent souvent en premier alors que la morale est seconde, fruit de l’Esprit. Ils prennent la tête, en proportion du temps passé devant la télé ou à tchater, et peuvent devenir quasiment obsessionnels, comme ils peuvent sanctifier si on fait passer l’autre avant soi.
Ce qui est grave est ce qui corrompt notre unité. Une femme est venue me voir qui, après des années de mariage et des enfants, ne supporte plus que son mari la touche. Il l’a trompée ? Non, menti. Une banale histoire d’argent où il s’est montré lâche et bête. Elle a perdu confiance et estime pour lui jusqu’au dégoût physique, et ne s’étonneront que ceux qui ignorent qu’âme et corps sont liés. L’être humain est une unité, âme, corps et esprit, spirituelle autant que corporelle.
A mes fiancés, j’ai demandé combien de temps à votre avis est-il possible de rester avec une personne en qui vous n’avez plus confiance, pour qui vous n’avez plus d’estime, que vous n’admirez plus ? Il n’est pas sûr que ce soit de la fidélité, pas plus que n’est de la maturité de partir à la première contrariété. Devoir rester avec quelqu’un qu’on n’estime plus, qu’on n’admire pas, qui ne vous respecte pas, arrive plus vite qu’on ne le croit. Alors oui, on peut ‘rester’, jusqu’à ce que quelqu’un d’autre passe pour nous cueillir comme un fruit mûr.
A ces trois questions – comment faire quand le désir de l’un ne rencontre pas celui de l’autre ? quand les deux ont envie, est-ce que cela suffit ? et combien de temps rester alors qu’on est ‘fâché’ ? – je peux répondre comme prêtre, consacré, ‘marié’ à Jésus et à l’Eglise. D’abord je ne vais pas prier quand j’en ai envie mais parce qu’il est là. Ensuite je sais que je ne lui suis fidèle qu’en respectant les autres. Enfin mon adoration ne fait que grandir : plus je le connais, plus je l’aime et plus j’ai envie de me donner à lui et à l’Eglise.
Un paroissien m’a passé ‘Selon saint Marc’ de l’Italien Sandro Veronesi (Grasset), un livre étonnant : il lit l’évangile de saint Marc comme un film d’action sur Jésus car Marc s’adresse à des Romains et privilégie tout ce qui est de l’ordre de l’action. Ce n’est pas le cas de Luc qui s’adresse à tout lecteur de tous les temps, voyez le passage de ce dimanche, de façon moins percutante. Néanmoins est aussi vrai de Luc ce que Veronesi dit de Marc que son évangile est un « hymne à l’inspiration subite et à l’improvisation ». Jésus suit en permanence son inspiration, et c’est logique puisqu’il est la totalité du Saint-Esprit. ‘Ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, l’Esprit vous le dira’. Comme Platini qui, lorsqu’on lui demandait comment il faisait pour que le gardien ne sache pas où il allait tirer, répondait : en ne le sachant pas moi-même. Encore faut-il savoir ce que cela suppose de travail et d’entraînement : on ne peut suivre son inspiration que si l’on s’y est longuement préparé.
Reprenez donc ces trois questions et voyez comment vous y êtes préparés : sur les désirs, quelle patience, sur les choix, quelle cohérence, sur les difficultés, quelle espérance ?
Reprenez-les à la lumière des trois paraboles (des guides aveugles, de la paille et la poutre, du bon arbre et du bon fruit), guidés par le Christ, enfants d’un même Père, renouvelés par l’Esprit. Et bon carême (c’est dans trois jours) !
Pourquoi être catholique ? Pour que nos désirs soient vraiment inspirés. .
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire