« Finalement, même si cela semble évident, souvenons-nous que la sainteté est faite d’une ouverture habituelle à la transcendance » conclut le pape François dans sa Lettre sur la sainteté (Gaudete et exsultate, n. 147), une « ouverture habituelle à la transcendance qui s’exprime dans la prière et dans l’adoration » : c’est la 5ème caractéristique de la sainteté aujourd’hui, après « l’endurance, la patience et la douceur », « l’humour et la joie », « l’audace et la ferveur », et « en communauté » car la prière chrétienne est une prière communautaire avec les autres ou pour les autres.
Or, la prière communautaire par excellence qu’est la messe est devenue le mode minoritaire de prière des baptisés, qui n’y vont plus qu’épisodiquement, en tout cas plus de façon habituelle. L’habitude de prière est la condition de la sainteté : « Je ne crois pas, dit le Pape, dans la sainteté sans prière, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de longs moments ou de sentiments intenses ».
Comment faire pour prier à la messe ?
Comment faire pour prier dans une assemblée ? Les autres nous gênent. En amour, dans l’amitié, dans la prière, le désir est d’être seul avec son ou sa bien-aimée. Désir d’intimité. Le saint, dit le pape, est « quelqu’un qui ne supporte pas d’être asphyxié dans l’immanence close de ce monde, et il soupire vers Dieu », et les autres nous gênent.
Une deuxième difficulté de la messe tient aux lectures de la Bible et du Missel. Il y a les autres qui nous gênent ; il y a le rituel qui ne nous emballe pas.
Un troisième obstacle est le prêtre. Au moins, pendant des siècles, le célébrant nous tournait le dos, et parlait en latin. Dans l’Ancien Testament, on lit que Myriam et Aaron, le frère et la sœur de Moïse, se mirent à le critiquer : « Le Seigneur parle-t-il uniquement par Moïse ? Ne parle-t-il pas aussi par nous ? » (Nb 12, 2). Pourquoi passer par un intermédiaire, en plus celui-là ?
Quatrième obstacle à la prière à la messe : la communion. Le bruit, le désordre et l’embarras : est-ce que j’y ai droit ? J’y vais quand même ? Sinon je n’y vais plus, à la messe ? Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus demande à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » et l’évangéliste précise qu’il « disait cela pour le mettre à l’épreuve ». Tous les sacrements ont quelque chose d’éprouvant, et la messe au premier chef, puisqu’ils sont faits pour nous purifier.
Nous prions parce que nous avons besoin de respirer, de souffler.
Nous prions parce que nous avons besoin d’être purifiés, sanctifiés, délivrés.
Nous prions parce que nous avons besoin d’être nourris, fortifiés, rassasiés. « Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants » (Ps 89, 14).
La particularité de la multiplication des pains dans l’évangile de saint Jean, par différence aux autres évangiles, est que Jésus prend l’initiative. Il lève les yeux et voit la foule (chez les autres évangélistes, il lève les yeux pour rendre grâce), et il s’inquiète auprès de Philippe : comment les nourrir (où pourrions-nous acheter du pain) ? Chez Matthieu, Marc et Luc, ce sont les disciples qui s’approchent de Jésus pour qu’il renvoie la foule. Ils veulent autant rester seuls avec lui que se débarrasser d’une mission impossible : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain ».
Jésus prend l’initiative parce que Dieu a toujours l’initiative.
Nous imaginons parfois que nous nous tournons vers Dieu de notre propre chef. Que nous en aurions nous-mêmes l’idée. Et nous opposons alors la messe qui serait une prière gérée par l’Eglise, avec toutes les contraintes et obligations qui vont avec, à notre prière personnelle que nous croyons plus libre : où je veux, quand je veux, comme je veux. Or, dans un cas comme dans l’autre, nous répondons à l’appel de Dieu. Si Dieu est Dieu, Dieu est premier et nous répondons à son appel. On ne convoque pas Dieu. Voilà pourquoi le Pape peut parler de constance à propos de la prière : ‘en prière constante’, c’est la constance de Dieu, qui veut vaincre par la douceur l’infidélité de l’homme.
Jésus dit : « Faites asseoir les gens ». Pourquoi nous asseyons-nous au début de nos célébrations, quelle que soit l’heure de la journée ? Pour manger : manger la Parole. Pour mieux écouter, et la laisser résonner en nous. L’homme ne vit pas que de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. On n’est pas forcé de tout manger ! Comme dans tout festin, à la messe des noces de l’Agneau, il y a trop : trop de textes, trop de paroles, qu’elles soient du Missel ou les paroles du Jour. L’objectif n’est pas de tout absorber, retenir, assimiler. Comme pour la manne au désert (que nous entendrons dimanche prochain), chacun recueillait selon ce qu’il pouvait manger, et ensuite ça fondait (Ex 16, 21). La feuille de messe avec les textes vous donnent les morceaux en surplus, pour la semaine.
Autre particularité du récit de saint Jean, Jésus lui-même « distribue les pains aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient ». Chez Matthieu, Marc et Luc, il les donne aux disciples pour que les disciples les distribuent à la foule. Dans un cas comme dans l’autre, nous ne recevons pas les dons de Dieu pour les garder pour nous, pour les enfouir en nous-mêmes comme le mauvais serviteur de la parabole des Talents. Posez-vous la question de ce que vous faites de ce que vous recevez dans la prière ? A qui en parlez-vous ? A qui parlerez-vous de Dieu cette semaine ?
Le récit de saint Jean se termine sur la tentation des foules rassasiées de s’approprier Jésus. Nous sommes tous tentés de faire de lui notre roi à nous, alors qu’il est le Roi de l’univers, à partager, offrir, annoncer à ceux qui nous entourent. Les autres nous gênent ? Non, les autres nous aident par leur présence dans notre prière !
« Certains, dit le Pape, par préjugés spiritualistes, croient que la prière devrait être une pure contemplation de Dieu, sans distractions, comme si les noms et les visages des frères étaient une perturbation à éviter. Au contraire, la réalité c’est que la prière sera plus agréable à Dieu et plus sanctifiante si, à travers elle, par l’intercession, nous essayons de vivre le double commandement de l’amour que Jésus nous a donné » (n. 154). « On peut dire de celui qui se dévoue généreusement à intercéder : ‘Celui-ci est l’ami de ses frères, qui prie beaucoup pour le peuple’ (2 M 15, 14) ». Intercéder, une belle façon de partager.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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