Pourquoi je t’aime, l’Eglise, et pourquoi je t’aime, ma paroisse, alors que tu as tant de défauts, aussi bien toi l’Eglise, qui ne cesse de me décevoir dans les combats que nous avons à mener, qui fait beaucoup plus souffrir tes enfants que tu ne souffres toi-même de tes opposants, au moins en France, et toi ma paroisse, à qui il est juste de te faire une déclaration d’amour en ce week-end de fête paroissiale.
Pourquoi je t’aime, l’Eglise ?
D’abord, parce que nous l’avons vu tout au long des évangiles de ce mois de février, l’amour ne consiste pas (seulement) à ressentir quelque chose d’agréable, à être attendri ou excité. Aimer n’est pas frétiller. Et j’ai beau continuer à me lamenter que nos messes soient austères, froides et figées, j’ai fini par me rendre au fond à la raison : l’amour a besoin de calme et de tranquillité, pour pouvoir entendre autre chose que ce qui est prononcé, voir et découvrir plus que ce qui est représenté. L’amour a besoin de mystère. L’amour est en soi un mystère.
Je t’aime, l’Eglise, et je t’aime, ma paroisse, parce que ma joie est de te voir grandir et faire du bien. C’est toi, l’Eglise, qui m’as mis sur le bon chemin, qui m’as libéré de beaucoup d’illusions et de préjugés, qui me ramène à la raison en m’ayant ramené à la maison, la Maison du Père, la source de l’amour. Il faut du temps pour se sentir chez soi, et c’est le mystère de l’Eglise : le sentiment d’une présence transcendante et bienveillante. « Que ce lieu est redoutable ! s’est écrié Jacob en se réveillant : rien de moins que la maison de Dieu et la Porte du ciel ! » (Gn 28, 17).
Jacob avait fait un songe : une échelle était dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient. Vision étonnante car on aurait attendu des anges qu’ils descendent du ciel, et y remontent, et non qu’ils y montent et en redescendent.
Jésus en donne l’explication au début de l’évangile de saint Jean en disant à Nathanaël que nous verrons « le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (Jn 1, 51) : chaque fois que nous sommes en présence du Christ ressuscité, le Fils de l’homme, les anges de Dieu montent et descendent et attestent de sa présence. Nous le vivons à chaque messe, si nous y sommes attentifs, mais pas qu’à la messe : je pense à ces rencontres, où l’un ou l’une d’entre vous me parle de l’action de Dieu dans sa vie. Je peux faire une longue liste de ces rencontres où l’Eglise, et la Paroisse se révèle Porte du Ciel. Comme dit saint Jean à la fin de son évangile, « Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d’autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre » (Jn 20, 30).
Comment se fait le passage par cette Porte du Ciel ?
Exactement comme le Christ le dit dans l’évangile quand il parle des oiseaux du ciel et des lys des champs, en montrant ce qui leur est donné par la Providence de Dieu, sans que ces désirs soient exprimés puisqu’ils n’en ont pas la faculté.
A nous qui sommes des êtres de désir et de langage, qui ne cessons de vouloir et de l’exprimer, qu’est-ce que Dieu nous donne dans sa Providence ? Ce dont nous avons besoin, pas forcément ce dont nous avons envie.
La Porte du Ciel est comparable à ces ponts ou ces tunnels construits ou percés des deux côtés à la fois, dans l’espoir de leur parfaite coïncidence et rencontre … Ce sont des paraboles du désir humain, quand le rêve de l’un ignore la réalité de l’autre. C’est ce qui se passe du côté de l’homme qui n’écoute pas la Parole de Dieu : il s’est fabriqué son propre dieu. J’en vois souvent de ces personnes qui me parlent d’un dieu qui n’est pas Dieu, qui n’est pas le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui n’est pas le Dieu d’Amour qui s’est révélé en Jésus-Christ, qui est une idée de dieu, un conglomérat d’idées, qui est tout sauf vivant et aimant, qui est tout sauf Esprit Saint.
Nous nous méprenons sur Dieu chaque fois que nous oublions qu’il existe, Il est ce qu’Il est, Je suis qui je suis, de façon absolue, indépendamment de nous. Nous sommes comme ces enfants qui ne supportent pas que leurs parents aient une vie sans eux. Ou comme des conjoints qui ne permettraient pas à l’autre de parler, de penser, pire : qui voudraient parler et penser à sa place.
L’Eglise est le lieu par excellence de découverte et de respect de la liberté de l’autre.
Pourquoi ?
Parce que Dieu qui est le seul à savoir, de façon infaillible, ce qui est bon pour nous, ne nous l’impose pas, mais nous aide à le découvrir et l’accepter par nous-mêmes, avec l’aide de nos frères. Il nous demande d’agir de même : dans l’Eglise, nous nous refusons de penser savoir ce qui est bon pour l’autre. Dieu seul le sait et ne l’impose pas : il veut que chacun puisse le découvrir et y tendre librement.
Si elles sont nombreuses ces personnes qui me parlent d’un dieu qui n’est pas Dieu, elles sont encore plus nombreuses celles qui me révèlent un visage de Dieu que j’ignore, qui, par leur chemin de vie, me révèlent le mystère de la diversité des personnes et de l’unité de l’amour.
Voilà pourquoi je t’aime, l’Eglise, alors que ceux du dehors te voient comme un obstacle à la liberté, ont peur de tes dogmes, ne retiennent que tes erreurs, ignorent ta fraîcheur, te croient surannée.
Comme Eve a été tirée du côté de l’homme, comme une aide qui lui soit assortie, tu es née du côté du Christ, sur la Croix, du côté transpercé. « Dans son immense amour, quand il fut élevé sur la croix, il s’est offert lui-même pour nous ; et de son côté transpercé, laissant jaillir le sang et l’eau, il fit naître les sacrements de l’Eglise, pour que tous les hommes, attirés vers son cœur, viennent puiser la joie aux sources vives du salut » (Préface du Sacré-Cœur de Jésus).
Voilà pourquoi je t’aime, l’Eglise, dans ton éternelle jeunesse, avec la même nourriture et les mêmes vêtements qu’hier, la nourriture de la Parole de Dieu, du Corps et du Sang du Christ, et ces vêtements liturgiques, ornements insolites, naturellement décalés.
Merci Seigneur pour ce que tu nous donnes de voir au-delà des soucis matériels, de l’angoisse du lendemain, de ce que nous allons manger, de la façon dont nous serons habillés, pour nous attacher à l’instant présent, au visage du présent. Je t’aime Jésus dans ton corps qui est l’Eglise.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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