Moi, Pape, la première mesure que je prendrais concernerait le remariage des divorcés.
Aujourd’hui, il n’est pas possible dans l’Eglise catholique : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. Pourtant, ce que Dieu a uni, ce sont ses enfants par le baptême, et il y a tant de catholiques divorcés remariés civilement qui se sentent exclus de l’Eglise. Pour certains, le malheur et l’échec de leur premier mariage a changé leur cœur. Ils ont acquis, mais pas tous ! une maturité qui leur faisait défaut. Quand un minimum de maturité manque aux fiancés, nous ne disposons que rarement d’éléments objectifs opposables à leur mariage. Nous sommes dans la même situation que les parents les plus aimants : nous essayons d’alerter ces enfants. L’amour n’est pas aveugle : il est sourd.
La seule possibilité pour le catholique divorcé qui voudrait se remarier ou qui s’est remarié, de rester ou de revenir dans la communion des sacrements est de se rendre à l’Officialité, le tribunal ecclésiastique qui dépend de l’Evêque, pour faire invalider le mariage qui a échoué. Invalidation est un terme moins violent que reconnaissance de nullité. Il ne s’agit pas d’annuler mais de reconnaître la non-validité sacramentelle. La procédure a été simplifiée par le Pape François. Elle reste très pénible et agressive quand il y a des enfants : ils le vivent comme une négation de leur naissance. Ne la négligeons pas pour autant : il y a de nombreux cas, de mariages de courte durée, où elle est une bonne solution.
Mais les autres ? Pourquoi ne pas envisager une possibilité de remariage, de bénédiction d’une nouvelle union, de certains divorcés ? Ce serait dramatique pour la sacramentalité du mariage ? Pourquoi nos frères orthodoxes le permettent-ils ? Ils seraient moins chrétiens que nous ? L’Église orthodoxe permet, dans certains cas, qu’un second mariage puisse être béni, qui n’est plus sacramentel. Il nécessite un accord spécifique de l’Evêque. Il comporte des prières pénitentielles de regret : « Purifie tes serviteurs de leurs iniquités ; car n’ayant pas la force de supporter dans la solitude le fardeau de la vie, ils viennent pour s’unir en secondes noces ».
Pourquoi ne ferions-nous pas autant ? Que craignons-nous ? C’est la question de l’évangile de ce dimanche : Que craignons-nous ? Est-ce que nous craignons d’être submergés par un nombre astronomique de demandes si la chose était possible ?
Nous avons une grande propension à nous focaliser sur des principes en oubliant non pas les personnes, c’est nous faire un mauvais procès, mais plusieurs éléments de réalité.
D’abord la force des sacrements s’impose par elle-même. Elle vient de l’amour de Dieu. Elle ne dépend pas de la vertu des hommes. Est-ce que vous croyez que l’indissolubilité du mariage, l’impossibilité de se remarier religieusement, empêche les divorces ?
Ensuite, le fil qui relie les sacrements entre eux s’appelle la miséricorde : le pardon est la seule façon de combattre le mal, et ne l’a jamais favorisé. Ne croyez-vous pas que les couples qui se marient espèrent sincèrement rester unis toute leur vie ?
Enfin, s’agissant du grand rêve de bonheur qu’est le mariage, de vivre en couple et en famille, longtemps et heureux, avec des enfants, nous devons, plus que sur tout autre sujet, nous mettre à l’écoute du peuple chrétien, d’une demande instante d’accueil et de miséricorde. Nous ne pouvons pas faire comme les Pharisiens qui disaient de « la foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits » (Jn 7, 49), entendez : des pécheurs !
Le principal reproche que Jésus adressait aux Pharisiens était de mettre les gens dans des situations impossibles. « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt » (Mt 23, 4).
Pour les prêtres, la décision qui se rapproche le plus du mariage est l’entrée au séminaire, qui ouvre sept ans de maturation pour savoir ce que nous faisons, peser le caractère définitif et irréversible de notre engagement. Dans la vie religieuse, la mesure est également très bien faite avec un temps de noviciat, avant des vœux temporaires, renouvelables, et avant que la personne consacrée prononce des vœux définitifs, solennels ou perpétuels. Et lorsque, par malheur, des prêtres quittent le sacerdoce, ou des religieux la vie consacrée, nous les aidons à poursuivre leur vie.
Des couples amoureux, qui ne sont plus des gamins, qui ont été chahutés par la vie, qui ne peuvent plus se marier au sens catholique parce qu’au moins l’un des deux l’a déjà été, demandent à être bénis, à bénéficier de l’aide de Dieu et du soutien de l’Eglise dans la situation qui est la leur, marquée, comme pour chacun de nous, par le péché. Est-ce réellement impossible, et incompatible avec l’amour de Dieu ?
Il y a un an, à la suite de l’exhortation du Pape François sur la Joie de l’amour, j’évoquais l’accès à la communion des divorcés remariés. Le titre de mon homélie (du 19 juin 2016) était explicite : « L’Eglise ne peut pas être plus sévère que Jésus ».
« Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, dit Jésus, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux ». La question est de savoir si « se déclarer pour Jésus » s’interprète de façon exclusive, dans une stricte application des règlements de l’Eglise.
Ce sont des demandes souvent très différentes que la bénédiction d’un second mariage d’une part, et l’accès à la communion de divorcés remariés d’autre part, et c’est bien la difficulté – et la richesse de l’Eglise ! que la diversité des situations. Il me semble que dans les deux cas pourraient s’appliquer les quatre critères que je proposais : un temps long depuis le divorce et la nouvelle union. Un temps plein de lien à l’Eglise. Des relations apaisées avec les familles, permettant un accord manifeste de l’entourage. Une reconnaissance du passé et de ses péchés, en pleine confiance en Dieu, de sa tendresse et de sa fidélité.
Cessons d’opposer justice et miséricorde. La tension se situe en réalité entre exigence et miséricorde, et se résout de façon simple : exigence pour soi, miséricorde pour les autres. Voilà ce que le Christ nous montre et nous demande. Voilà ce que le Christ signifie quand il enjoint de ne pas craindre « ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ». L’âme du mariage n’est pas dans ce que les hommes en font. L’âme du mariage est l’âme de l’Eglise : l’Esprit Saint lui-même. Il nous conduit vers Dieu, il nous pousse à la Charité, il vient toujours à notre secours.
La force de l’amour, comme du sacré, parle d’elle-même.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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