Qu’est-ce qu’un bon chrétien ? J’aimerais savoir ce que l’expression signifie dans la bouche de ceux qui l’emploient en négatif soit pour se reprocher de ne pas l’être suffisamment : ‘je ne suis pas un bon chrétien / une bonne chrétienne parce que je critique beaucoup, je dis du mal des autres’, soit pour nous le reprocher à nous, de ne pas correspondre à l’idée qu’ils se font de la charité : ‘Tu n’es pas un bon chrétien’ me dit souvent ma cousine, qui lit mes homélies sur internet et qui s’étonne que j’appelle un chat un chat, un escroc ou un crétin par son nom. Comme si être un bon chrétien impliquait de ne voir que le bon côté des choses, la vie en rose, ne rien dire qui dérange.
Qu’est-ce qu’un bon chrétien ? Le Pape François utilise l’expression dans sa Lettre sur la Sainteté à propos des Béatitudes : « Si quelqu’un d’entre nous se pose cette question, “comment fait-on pour parvenir à être un bon chrétien ?”, la réponse est simple : il faut mettre en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le sermon des béatitudes » (n. 63).
Ce sermon prend place chez saint Luc après une série de controverses avec les Pharisiens où Jésus ‘ne s’est pas fait que des amis’. Remplis de rage, ils se concertaient sur ce qu’ils pourraient bien lui faire (Lc 6, 11). Après une nuit de prière, Il s’entoure des Douze et poursuit son œuvre de guérison et de délivrance auprès des foules. Il continue de faire le bien, guérit les malades, chasse les démons, et il avertit ses disciples que ce chemin est exigeant et même crucifiant. Je rencontre beaucoup de personnes qui ne comprennent pas ce qui leur arrive, les conflits et les divisions qui ont surgi au sein de leur famille, alors qu’elles n’ont rien fait qui explique ce soulèvement de haine. N’était la compassion que j’ai pour leurs souffrances, la désolation devant ce gâchis, je sourirais de leur naïveté à l’égard du Diable, l’antique ennemi, de l’origine.
Ne croyez pas qu’en ne disant rien ou en ne faisant rien contre le mal, vous serez épargnés. Ne croyez pas que l’abstention assure la tranquillité. C’est le message que le tuteur de la reine Esther fait passer à sa protégée : « ne va pas t’imaginer que parce que tu es au chaud, tranquille, dans le palais du roi, tu pourras être sauvée. Ce sera tout le contraire. Si tu t’obstines à te taire quand les choses en sont là, – la justice viendra ‘d’un autre lieu’ (la Bible de Jérusalem note que l’auteur s’abstient de prononcer le nom de Dieu), et toi et la maison de ton père vous périrez » (Esther 4, 14). Et le texte ajoute : « Qui sait ? Peut-être est-ce en prévision d’une circonstance comme celle-ci que tu en es arrivée là ? ».
Le bon chrétien n’est pas celui qui ne dit rien. Dans la dernière des controverses qui suscite la rage des Pharisiens, on épiait Jésus pour voir s’il allait guérir le jour du sabbat un homme qui avait la main desséchée afin de l’accuser. Jésus demande s’il est « permis, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer ? ». Mais eux se taisaient (Mc 3, 4). Ils voient bien l’enjeu et ne disent rien. Ce n’est pas à moi de parler : voilà ce que se sont dit tous ceux qui étaient là, qui attendaient qu’un autre réponde. C’est au chef de s’y coller, aux plus anciens, non, pas à moi. Jésus promena sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leur cœur : un homme a la main desséchée ; Jésus est en mesure de le guérir ; Jésus demande si la Loi s’applique sans restriction. Ils savent que non et ne disent rien.
C’est le péché originel : Adam avait reçu le commandement de Dieu ; sa femme est tentée ; Adam garde le silence : à aucun moment il n’intervient, à aucun moment la femme ne l’interroge pour vérifier. L’histoire ne cesse de se répéter : l’offrande de Caïn n’est pas agréée ; il ne demande pas pourquoi : il est trop irrité, persuadé que Dieu ne l’aime pas. Comme chaque fois que nous ‘interprétons’ à notre façon : ‘Dieu ne m’aime pas’.
Dans la parabole du banquet des noces, « le roi entra pour examiner les convives, et aperçut un homme qui ne portait pas la tenue de noces. Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces ? L’autre resta muet. Alors le roi dit aux valets : Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres : là seront les pleurs et les grincements de dents ». A-t-il été condamné pour n’avoir pas eu la bonne tenue ou pour n’avoir pas répondu ?
Mais si je ne sais pas quoi dire, pas quoi faire, pas quoi penser ? Alors dites-le ! Quand Jésus demande à Pierre : Est-ce que tu m’aimes ? Pierre répondit : Tu sais tout, Seigneur, tu sais que je suis pécheur. Dieu nous parle de bien des manières, par sa Parole comme tout au long de nos jours dans les situations les plus concrètes de notre existence : il attend notre réponse. En revanche, dit Jésus dans l’évangile de ce dimanche, à ceux qui vous veulent du mal, ne répondez pas – sur le même ton. Définition des ennemis : ceux qui vous veulent du mal. Vous n’en avez pas ? Quelle naïveté.
Une grand-mère est venue me voir brouillée avec ses belles-filles parce qu’elle avait révélé à ses petits-enfants que leur oncle s’était suicidé. Ses brus estimaient qu’ils étaient trop petits pour savoir. ‘Ils m’ont posé la question’, se défendait la grand-mère. C’était l’occasion que le Diable attendait. Ce n’était pas à la grand-mère de le dire ; c’était une erreur de penser qu’il y a un âge pour le dire, sous peine de créer une ‘crypte’, un mensonge qui entraîne d’autres mensonges. Pourquoi est-ce que je prends cet exemple ? Parce l’Eglise est dans la situation d’une grand-mère, pleine d’expérience et de sagesse, manquant de tonus et d’innovation, en porte-à-faux à l’égard de générations qui ne sont pas ses enfants, sans père, ni avenir, ni Loi. Sa mission principale est la tendresse de Dieu.
Que fait-on quand un membre de la famille se suicide ? On fait dire une messe pour lui tous les mois la première année, puis tous les ans, aussi longtemps que dure la douleur des vivants, et les regrets du défunt. Il en va de toute transgression grave des commandements de Dieu, infidélité scandaleuse ou corruption honteuse. Priez pour ceux qui font le mal. Priez et ne jugez pas. Priez et ne condamnez pas. Sans rancune, car l’amour ne garde pas rancune.
Est-il possible de ne pas avoir d’ennemis ? Comme la petite brebis qui goûte l’herbe tendre par une belle journée ensoleillée : trop bien, dit-elle, je n’ai pas d’ennemis. Attendez que le troupeau reprenne la route et que ses voisines la bousculent, la fatigue de la fin du jour, et les chiens du berger (ce que, Nota, les prêtres ne sont pas).
Est-ce que nous avons, nous Chrétiens, plus d’ennemis que d’autres ? Oui si l’on compte les persécutions de l’intérieur, les chrétiens qui défigurent l’Eglise, que nous n’avons pas à juger mais que nous ne pouvons pas laisser faire sans rien dire.
Nous devons distinguer en régime chrétien trois types de parole, qui correspondent à la consécration de notre baptême, notre union au Christ prêtre, prophète et roi. La parole du prêtre (du sacerdoce commun des fidèles) est une parole de louange et d’action de grâce. Il faut commencer par là. La parole du prophète est une parole vigoureuse, décapante, d’appel à la conversion. Il faut continuer par là, autant pour soi. La parole du roi est une parole de justice que dit le psaume : Seigneur donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Il faut finir par là parce que nous finirons comme ça : la parole de justice est la mesure qui servira pour soi. Il faut surtout garder unies les trois, la prière, le gant de crin et la juste mesure, prêtre, prophète et roi.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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