Dans la crèche, il n’y avait pas l’électricité. Ni eau ni électricité : pas d’eau courante en tout cas, et cette réalité est visible tout au long des évangiles avec la Samaritaine qui va au puits chercher de l’eau comme dans l’exemple du travail quotidien que donne Jésus : « Chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache-t-il pas de la mangeoire son bœuf ou son âne pour le mener boire ? » (Lc 13, 15). Ou encore avec les cuves pleines d’eau des noces de Cana, ou au dernier repas le lavement des pieds : on savait à l’époque la valeur de l’eau. Elle a été versée sur notre tête au jour de notre baptême, et j’en mettrai une goutte dans le calice, en signe de notre désir d’être uni à Dieu qui en cette nuit de Noël a pris notre humanité.
Il n’y avait pas d’eau courante : on la transportait avec soi et avec soin dans de grandes outres de peau. Il n’y avait pas non plus d’électricité et on était habitué à se repérer la nuit dans l’obscurité. C’est une différence forte entre la salle commune où il n’y avait pas eu de place pour Joseph et Marie, et l’étable où ils s’étaient retrouvés, que suggère la mangeoire : la salle commune était largement éclairée, par contraste avec les animaux et la paille.
C’est un aspect essentiel de la nuit de Noël : la différence de mouvements et de bruits entre la salle commune et la crèche. La salle commune est éclairée et bruyante : on s’interpelle entre habitués et gens de passage qui ne sont pas complètement des étrangers mais qu’on ne connaît pas. On s’apostrophe, on se côtoie, on se supporte, par nécessité, parce que c’est très provisoire.
Tandis que Joseph et Marie sont ensemble depuis des mois et, avec la venue de l’enfant, leurs destins sont désormais liés. Joseph qui s’en inquiétait a eu une apparition qui l’a déterminé : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».
A Marie, l’ange Gabriel a rappelé la lignée de Joseph, homme de la maison de David : « tu vas enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père », son père adoptif.
Ce lien de Joseph et Marie, ancré dans l’histoire, est puissant : nous le rappelons à chaque messe quand nous les associons tous les deux en espérant avoir part à la vie éternelle avec la Vierge Marie, la bienheureuse Mère de Dieu, saint Joseph son époux, les apôtres et tous les saints qui ont vécu dans l’amitié de Dieu.
La salle commune, peuplée d’un côté, Jésus Marie Joseph dans l’intimité, de l’autre. La fête de Noël, la plus fêtée de l’année, est une fête de l’intimité. C’est pourquoi on se retrouve à Noël en famille ou avec des amis très proches, tandis qu’au réveillon du 31 on sort, dans des endroits publics.
Que signifie cette intimité ?
Que Dieu est venu pour chacun de nous. Il y a tellement d’exclus dans l’espace public ! L’espace public est un espace injuste, aux critères fluctuants, qui ne tient guère compte des personnes, de leur dignité, où le héros du jour disparaît le lendemain, où la valeur est tôt ou tard marchande, de tout ce qui peut se monnayer. Il suffit de voir dans nos villes les espaces de jeux qui sont laissés aux enfants. J’ai promis cette année aux paroissiens de leur parler un jour de l’urbanisme du Paradis : certains me le rappellent régulièrement … je peux déjà vous dire qu’il y aura des terrains de jeux pour les enfants. Pour le reste, patience.
L’espace public est tellement peuplé d’injustices et de souffrances que Dieu est venu en ce monde pour nous montrer comment le réparer. Il est venu en ce monde nous montrer le respect de tout être, la fraternité. Dieu est venu nous montrer en son Fils comment réparer sa Création : à partir d’une intimité retrouvée et préservée. Telle est la grâce de Noël.
Voyez ce qui se passe ensuite (si je puis dire) à la naissance de l’Eglise, à la Pentecôte : les Apôtres, sans Jésus ressuscité, retourné auprès du Père, vivent une intimité de prière avec Marie, et ils vivent un Noël de l’Esprit, qui les délivre de toute peur et les envoie porter la joie au monde, annoncer les merveilles de Dieu.
La pièce où se trouvaient les Apôtres à la Pentecôte ressemblait davantage à la crèche qu’à la salle commune, par le calme et la paix qui y régnaient : nous en avons une synthèse ce soir, avec la crèche comme à Noël, et l’assemblée que nous formons comme à la Pentecôte des disciples qui attendent la venue de l’Esprit. Est-ce que vous allez le recevoir ou plutôt comment saurez-vous en sortant de cette messe que vous aurez reçu à nouveau ou de façon nouvelle l’Esprit-Saint ?
Ne croyez pas que vous en soyez loin ou indignes ! C’est arrivé aux bergers qui « passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux : l’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière ».
Mes amis, vous êtes venus dans cette église ce soir pour que la gloire du Seigneur vous enveloppe de sa lumière, pour que la tendresse de Dieu puisse réchauffer et conforter vos cœurs, pour que descende sur vous la force et la lumière de l’Esprit.
Il faudra pour cela beaucoup de délicatesse les uns avec les autres : dans cette messe et dans le dîner et la fête qui suivra. Il faudra mesurer ses gestes et ses paroles, comme Joseph et Marie dans la crèche. Porter les uns sur les autres un regard aussi émerveillé et bienveillant que ses parents sur Jésus.
La crèche dans laquelle Jésus vient ce soir, c’est votre cœur, et le cœur de ceux qui vous accompagnent et vous entourent : nous sommes tous ce soir des crèches vivantes, où Dieu sourit, où Jésus repose, où l’Esprit brille comme une lumière dans la nuit.
Quand Jésus est né, l’ange est apparu aux bergers, et la gloire du Seigneur les a enveloppés de sa lumière : c’est la lumière que les Apôtres verront au jour de la Transfiguration, celle qui a illuminé le monde au jour de la Résurrection. C’est à vous que cette lumière est confiée, au plus intime de votre cœur, car c’est ce dont l’amour a besoin : de calme, de paix et d’intimité.
Esprit saint, fais de nos cœurs et de nos vies des crèches vivantes, où l’amour puisse renaître, et la joie rayonner.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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