Est-ce qu’un bienfait est toujours récompensé ? Et à l’inverse, les méchants seront-ils un jour punis, comme l’exige la justice ? Commençons par les bienfaits et leur récompense, puisque c’est le sujet de la 1ère lecture que l’Eglise a choisie pour éclairer l’évangile. Ça raconte l’histoire d’une sainte femme qui l’été, pendant les vacances, accueillait chez elle au bord de la mer un prêtre vieillissant pour qu’il puisse se reposer … Excusez-moi, je m’égare. Il s’agit du prophète Elisée à qui une femme de Sunam avait fait construire une chambre.
Sunam se situe en Basse-Galilée, dans la plaine de Yisréel, la zone agricole la plus riche du pays, dominée par le Mont du Tabor. D’où la richesse de cette femme qui a dans la Bible deux compatriotes célèbres.
La première est une jeune vierge qui apparaît à la fin du règne de David : « Le roi David était vieux, avancé en âge ; on le couvrait de vêtements, et cela ne le réchauffait pas. Ses serviteurs lui dirent : « Que l’on cherche pour mon seigneur le roi une jeune fille, une vierge. Elle se couchera tout contre toi, et cela tiendra chaud à mon seigneur le roi ». On chercha une belle jeune fille dans tout le territoire d’Israël. On trouva Abishag la Sunamite, et on la fit venir chez le roi. La jeune fille était vraiment très belle ; elle prit soin du roi et fut à son service, mais le roi ne la connut pas (il ne s’unit pas à elle) » (1 R 1, 1-4).
L’autre Sunamite ou Sulamite célèbre est celle du Cantique des cantiques : « Reviens, reviens, ô Sulamite ! Reviens, reviens : que nous t’admirions ! – Qu’admirez-vous de la Sulamite tandis qu’elle danse au milieu des deux chœurs ? Comme ils sont beaux, tes pieds, dans tes sandales, fille de prince ! Les courbes de tes hanches dessinent des colliers, œuvre de mains artistes. Ton nombril : une coupe ronde où le vin ne tarit pas. Ton ventre : un monceau de blé dans un enclos de lis. Tes deux seins, ton cou, tes yeux … » : vous lirez la suite, magnifique (Cf. Ct 7, 1-7).
On est donc en bonne compagnie, bien que l’écriture soit très masculine : on n’en est pas encore à la libération amenée par le Christ, où « il n’y a plus ni juif ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Gal 3, 28).
En récompense de son hospitalité, la femme de Sunam reçoit du prophète le plus beau cadeau du monde et de la vie : un enfant, alors qu’elle n’en avait pas. « Hélas, elle n’a pas de fils, et son mari est âgé ». Elle rejoint la lignée des figures féminines et en l’occurrence maternelles de bénédiction, depuis Sarah la femme d’Abraham à Elisabeth la mère de Jean-Baptiste, en passant par la mère de Samson, ou encore Anne, la mère du prophète Samuel.
Sauf que l’histoire ne s’arrête pas là. « La femme conçut et elle enfanta un fils à la saison que lui avait dite Elisée. L’enfant grandit. Un jour il alla trouver son père et lui dit : « Oh ! ma tête ! ma tête ! ». Le père ordonna à un serviteur de le porter à sa mère. Celui-ci le conduisit à sa mère ; il resta sur ses genoux jusqu’à midi et il mourut ».
Suit un des grands récits de résurrection de l’Ancien Testament.
La femme va chercher Elisée au mont Carmel. Arrivée auprès de l’homme de Dieu, « elle saisit ses pieds. Le serviteur s’approche pour la repousser mais Elisée dit : « Laisse-la, car son âme est dans l’amertume ; le Seigneur me l’a caché, il ne m’a rien annoncé. » Elle dit : « Avais-je demandé un fils à Monseigneur ? Ne t’avais-je pas dit de ne pas me leurrer ? » ».
Le texte est alors la réplique exacte du miracle accompli précédemment par le prophète Elie, le prédécesseur d’Elisée, avec le fils de la veuve de Sarepta (1 R 17, 17-24). « Le Seigneur exauça l’appel d’Elie, l’âme de l’enfant revint en lui et il reprit vie. Elie le prit, le descendit de la chambre haute dans la maison et le remit à sa mère : « Voici, ton fils est vivant. » La femme répondit : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu et que la parole du Seigneur dans ta bouche est vérité ! » ».
Et comme si ça ne suffisait pas pour que nous soyons sensibles à ce doublon de résurrection, de la part des deux prophètes Elie et Elisée, on a dans le Nouveau Testament un autre doublon parfaitement comparable, de la part des deux colonnes de l’Eglise, Pierre et Paul.
Pierre ressuscite une femme du nom de Tabitha, riche des bonnes œuvres et des aumônes qu’elle faisait, mais qui tomba malade et mourut. On la déposa dans la chambre haute. Et Pierre la ramena à la vie (Ac 9, 36-42).
Ce que Elisée avait fait à la suite d’Elie, Paul le fait à la suite de Pierre, pour un adolescent du nom d’Eutyque, qui était assis sur le bord d’une fenêtre et s’était endormi à force d’entendre parler Paul. Il tombe du troisième étage. On le relève mort. Paul descend, le prend dans ses bras : « Ne vous agitez pas : son âme est en lui ». Paul remonte, rompt le pain et mange ; longtemps encore il parla, jusqu’au point du jour. C’est alors qu’il partit. Quant au jeune garçon, on le ramena vivant, et ce ne fut pas une petite consolation (Ac 20, 9-12).
Tous ces récits ont des traits communs évidents, à commencer par l’invitation à monter dans la chambre haute, symbole de la prière. Il y a l’accueil de la Parole de Dieu, et puis trois fois sur quatre c’est un jeune enfant qui est rendu à la vie et à ses parents : on est bien l’ordre de la restitution, ce qui est le propre de la vie éternelle qui n’est pas une récompense, ni de nos bonnes actions ni de nos mérites.
Je n’ai pas le temps ici de reprendre l’emploi du mot récompense dans l’évangile, notamment dans ce texte du Mercredi des cendres où Jésus parle de ceux qui se donnent en spectacle quand ils font l’aumône, quand ils font leurs prières, quand ils font des efforts et qu’ils jeûnent pour obtenir la gloire qui vient des hommes : Amen, je vous le déclare, ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, dit Jésus, quand tu fais l’aumône, quand tu pries, quand tu jeûnes, que cela ne soit pas connu des hommes, seulement de ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais en secret : il te le rendra ou te le revaudra.
Il te rendra quoi ? C’est à nous de rendre au Seigneur tout le bien qu’il nous fait. Récompense est un mot piégé qui fait partie de la justice des hommes, pas de la justice de Dieu. C’est en raison de la dureté de notre cœur que Jésus emploie ce mot. En vérité, en amour, la gratitude s’appelle la gratuité : vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.
Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, dit le Seigneur. Comment nous a-t-il aimés ? Jusqu’au bout ! sans calcul ni attente de récompense, de façon totale, gratuite et inconditionnelle parce que Dieu est Amour. Il n’y a pas d’autre récompense au fait de croire en Dieu que de découvrir la joie de l’amour, le bonheur d’aimer et d’être aimés tels que nous sommes. Le Christ est le chemin du bonheur : c’est lui la récompense de la vie éternelle.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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