C’était peut-être la première fois que cette femme venait puiser de l’eau vers midi, à la plus mauvaise heure, au plus chaud du jour. On dit qu’elle voulait échapper à la compagnie des autres femmes du village, à leurs quolibets ou leurs insultes, elle, la femme aux cinq maris. Possible. Possible aussi que ce soit la première fois qu’elle vienne à cette heure-là, sur un coup de tête, ou plutôt un coup de gueule, une énième dispute avec son homme, elle claque la porte : ‘tiens, je vais aller chercher de l’eau, ça va me faire des vacances !’. Elle arrive de fort mauvaise humeur : il suffit de voir comment elle rembarre Jésus. L’évangéliste peut bien préciser que ‘les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains’, les réponses de cette femme à Jésus sont tout sauf aimables. Elle est revêche parce qu’elle n’est pas heureuse. C’est le point commun de toutes les personnes qui vont se confesser, non pas de ne pas être aimables ! au contraire, il y a généralement plus de délicatesse qu’ailleurs – le point commun des personnes qui vont se confesser est de ne pas être heureuses. Bien sûr cela peut être d’un acte seulement, d’un gros mensonge ou d’une grosse colère. Mais on ne peut pas être heureux avec un poids sur la conscience.
Pourquoi dire que cette femme vient se confesser ? Parce qu’en sortant de chez elle, à la plus mauvaise heure, elle voulait en réalité sortir de l’impasse où elle était.
L’image que nous utilisons le plus souvent pour la confession est la personne qui se relève, ou que l’on aide à se relever : c’est le paralytique à qui Jésus remet ses péchés, qui prend son grabat et marche ; le mendiant aveugle assis au bord du chemin ou à la porte du Temple, qui recouvre son autonomie ; le malade ou le mourant qui gît, fiévreux ou inanimé, qui reprend des forces et du service.
Cette image est juste, parce que le péché est une chute, et pour l’esprit abattu, la personne découragée, rien de tel que de recevoir un peu de tendresse et de l’amour de Dieu. Il faut reprendre des forces pour reprendre la route. Le prophète Elie qui fuyait la reine Jézabel après avoir fait massacrer tous ses faux prêtres alla s’asseoir sous un buisson, préférant mourir : « Assez maintenant, Seigneur ! Prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères ». Un ange lui apporte à manger, de quoi refaire ses forces pour aller à la montagne de Dieu (cf. 1 R 19, 3-8). Ça, c’est le pardon pour ceux qui connaissent le chemin, qui vont à la messe, qui prient, qui ont une vie sacramentelle : la confession est en ce cas intimement liée à l’Eucharistie.
Mais pour ceux qui, comme cette femme, ne connaissent pas le chemin, la montagne, le lieu où il faut adorer ? Et quand bien même ils le connaîtraient en théorie, ce chemin, il est en fait inaccessible quand on ne sait pas par où commencer. ‘Va voir un prêtre !’ – ‘Je n’oserais jamais’. Dieu est bon et il était ce jour-là seul au bord du puits, pour baptiser cette femme dans l’eau et dans l’esprit.
La confession est liée à la messe quand il s’agit de reprendre des forces : elle renouvelle la grâce du baptême. Et pourtant, elle n’est pas réservée aux baptisés. Vous croyez qu’en confession, nous ne recevons, je n’ose même pas dire : nous n’acceptons que des baptisés ? Et, qui plus est, qui seraient conscients de ce don du baptême, de leur lien personnel, filial et sublime avec Dieu ? Ceux qui penseraient cela transformeraient l’Eglise en secte ou en loge d’initiés.
Nous recevons tout le monde en confession, car non seulement il n’y a aucun péché qui ne puisse être pardonné, mais, mieux encore, il n’y a personne qui ne puisse être pardonné.
Il n’y a personne qui ne puisse être pardonné, personne qui ne soit capable de demander pardon, de recevoir le pardon, et de le donner à son tour. Le rôle de la confession est d’apprendre à aimer et donc à demander pardon et à pardonner : nous recevons le pardon de la part de Celui qui seul peut pardonner les péchés, pour devenir des témoins de l’amour, des ambassadeurs de la réconciliation, des ministres de la miséricorde.
Le pardon est une nécessité humaine que Dieu a élevée au rang de sacrement. C’est ce que nous disons habituellement du mariage : qu’il est une réalité humaine que Dieu a élevée au rang de sacrement, c’est-à-dire qu’il l’a doté d’une aide, un secours, une grâce particulière pour ceux qui ont du mal à le vivre, le pardon comme le mariage.
Le pardon est une nécessité humaine, aussi bien pour soi que pour nos relations les uns aux autres. Que faites-vous de vos regrets ? Des erreurs et surtout des fautes que vous faites, des paroles ou des actes inappropriés ? Vous attendez que ça passe ? Pas de chance : ça ne s’en va pas, ça s’entasse. Saint Paul, dans la 1ère Lettre aux Corinthiens, a cette parole extraordinaire pour qui connaît tant soit peu sa vie : « Ma conscience ne me reproche rien » (1 Co 4, 4). Pour celui qui a mis toute son énergie à persécuter les Chrétiens, l’affirmation est audacieuse ! Mais il explique pourquoi : « Pour ma part, je me soucie fort peu d’être soumis à votre jugement, ou à celui d’une autorité humaine ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même. Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur ».
Les personnes qui ne vont pas se confesser parce qu’elles ont peur d’être jugées par le prêtre, par l’Eglise, voire par Dieu, sont les victimes de leur propre jugement : elles se jugent elles-mêmes, et confondent la mémoire et la conscience. Saint Paul n’a rien oublié de ce qu’il a fait et pourtant il peut affirmer que sa conscience ne lui reproche rien car la rencontre du Christ, la grâce de Dieu a désenglué sa conscience de sa mémoire, a libéré son âme de son passé.
Le cri de la Samaritaine aux gens de son village est encore plus fou : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ». Elle s’en fout. Pareil pour moi : de ma vie passée, vous pouvez exhumer toutes les fautes que vous pourrez trouver, et Dieu sait qu’il y en a : « Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur ». Bien sûr que je regrette, heureusement, et que je ne veux pas recommencer. Mais entre moi et les hommes, il y a ceci de changé que le Christ m’a pardonné.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Voilà qu’au bord de ce puits, se trouve celui qui comble ce désir : « celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ». Reviennent ses disciples qui l’appellent : « Rabbi, viens manger ». Il leur répond, à leur grand étonnement, qu’il a de quoi manger : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? ». Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre », pardonner les péchés. Pensez-y tout à l’heure, en venant communier, fût-ce spirituellement, les bras croisés, en vous faisant bénir : le Christ n’est pas venu sauver les justes mais les pécheurs. Il a pris et prend sur lui tous nos péchés, pour nous en libérer. N’ayons pas peur de les lui donner.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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