Vendredi Saint - 19 avril 2019

Jn 18,1-19,42

 

Que se passe-t-il dans la tête d’un homme en apparence ‘normal’, éduqué, instruit, intégré, croyant, religieux, pour commettre des actes de cruauté, nous disons de barbarie. Pour les commettre ou y participer au point que deux populations aussi différentes que les grands prêtres et les gardes se sont retrouvés ensemble à vociférer : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » (Jn 19, 6). Saint Jean ne relate pas comme nous l’entendions dimanche le spectacle de Jésus en croix : « le peuple se tenait là, à regarder. Les chefs, eux, se moquaient : « Il en a sauvé d’autres, disaient-ils ; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Elu ! » » (Lc 23, 35).

Que se passe-t-il dans la tête d’un être humain qui en avilit, torture, détruit un autre ?

Nous savons un peu mieux ce qui se passe dans la tête de la victime. Permettez-moi de reprendre ici une toute petite partie de l’exposé qu’une de nos paroissiennes, spécialisée en traumatologie psychique, a fait au Sénat fin janvier à la Commission d’information sur les infractions sexuelles sur mineurs.
Le trauma psychique d’un abus sexuel sur un enfant est comparable dans ses dommages à celui d’une victime d’un attentat ou d’une catastrophe, à ceci près que l’enfant abusé est presque toujours ignoré de tous. Que se passe-t-il neurologiquement, dans le cerveau, qui est désormais mis en évidence par l’imagerie cérébrale, les expériences en laboratoire, l’étude des lésions cérébrales ?

La synergie d’action entre le cœur, l’intelligence et la mémoire, plus exactement entre l’amygdale cérébrale (le siège des émotions), le cortex (le siège de la raison) et l’hippocampe (le siège de la mémoire), est détruite. Le choc est tel que le souvenir de l’abus ne peut être enregistré par le cerveau au niveau de la mémoire et est à l’origine de ce que l’on appelle l’amnésie traumatique.
Des jours, des mois, des années, voire des dizaines d’années après, la personne va revivre soudainement des émotions, des pensées, des sensations avec la même intensité que ce qu’elle a vécu au jour du choc, du drame, de l’abus. Si c’est intervenu dans l’enfance, elle ne saura pas, adulte, attribuer à cet événement ce qu’elle vit d’où une confusion et une aggravation des symptômes. Et pour se protéger de ces horreurs qui l’envahissent sans possibilité de compréhension, la personne va réitérer ce qui lui a permis de survivre c’est-à-dire la dissociation, qui peut conduire à des actes agressifs vis à vis d’elle-même (conduites à risque -alcool, drogue, prostitution-, automutilations, suicide…) ou vis à vis des autres (violences physiques ou verbales mais aussi agressions sexuelles).

Combien de victimes faudra-t-il encore pour que nous prenions tous conscience des dégâts irréversibles des violences physiques et particulièrement sexuelles sur des enfants ?

Le crime contre l’humanité de Dieu, la mort du Christ sur la croix, demandée et approuvée par la foule à ses chefs, se perpétue à travers l’histoire au sein de pays dits civilisés, sans l’excuse de la guerre ‘comme à la guerre’, et quelques ‘prêtres’ sont semblables à ceux de l’époque.

Que se passe-t-il dans la tête d’un être humain qui s’abandonne à la barbarie ? Combien de fois faudra-t-il encore entendre dire qu’on n’aurait jamais cru cela de lui ? Qu’il avait une apparence respectable, dévouée ou sacrée : père de famille, instituteur, médecin, enseignant, ‘prêtre’.

On n’aurait jamais cru cela de lui et on n’a pas cru ce que l’enfant a dit, on n’a même pas vu que l’enfant n’était plus le même.

Au soir de Pâques, nous entendrons le Christ ressuscité secouer ses disciples : ‘Ô cœurs sans intelligence’, lents à croire tout ce que les prophètes avaient annoncé. Puissions-nous ne pas entendre le reproche inverse, ce que nous sommes chaque fois que nous regardons froidement la Croix : des « intelligences sans cœur ».

« Ne soyons pas une Eglise insensible à ces drames de ses enfants jeunes. Ne nous y habituons jamais, car qui ne sait pas pleurer n’est pas mère. Nous voulons pleurer pour que la société aussi soit davantage mère, pour qu’au lieu de tuer elle apprenne à donner naissance, pour qu’elle soit porteuse de vie. Nous pleurons quand nous nous souvenons des jeunes qui sont déjà morts de la misère et de la violence et nous demandons à la société d’apprendre à être une mère solidaire. Cette souffrance ne s’estompe pas, elle marche avec nous, parce que la réalité ne peut pas être cachée. Le pire que nous puissions faire, c’est d’appliquer la recette de l’esprit du monde qui consiste à anesthésier les jeunes avec d’autres nouvelles, d’autres distractions, d’autres banalités.

« Peut-être que nous avons une vie sans trop de besoins, nous ne savons pas pleurer. Certaines réalités de la vie se voient seulement avec des yeux lavés par les larmes. J’invite chacun de vous à se demander : ai-je appris à pleurer ? Ai-je appris à pleurer quand je vois un enfant qui a faim, un enfant drogué dans la rue, un enfant sans maison, un enfant abandonné, un enfant abusé, un enfant utilisé comme esclave par la société ? Ou bien mes pleurs sont-ils les pleurs capricieux de celui qui pleure parce qu’il voudrait avoir quelque chose de plus ? ».

Essaie d’apprendre à pleurer pour les jeunes qui se trouvent dans une situation pire que la tienne. La miséricorde et la compassion se manifestent aussi par des pleurs. Si tu n’y parviens pas, prie le Seigneur pour qu’il t’accorde de verser des larmes pour la souffrance des autres. Quand tu sauras pleurer, alors tu seras capable de réaliser quelque chose du fond du cœur pour les autres ».

(Exhortation Christus Vivit du 25 Mars 2019, nn. 75 et 76).

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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