A quoi sert le Jeudi saint, je veux dire ce geste du lavement des pieds par le prêtre au cours de la messe à la veille du jour de la mort du Christ sur la Croix ? Il sert à rappeler aux prêtres qu’avant d’être prêtres ils sont baptisés, baptisés parmi les baptisés. C’est la première condition pour être prêtre, d’abord diacre, quelques-uns évêque : avoir été plongé dans la mort et la résurrection du Christ, avoir reçu le baptême. On peut faire toutes sortes de réflexions sur le fait que ce sont des hommes, célibataires, pauvres, obéissants, chastes, et pas assez : pas assez pauvres, pas assez obéissants, et pas assez chastes, notre mission à nous prêtres est de nous conformer joyeusement au Christ conformément à notre baptême. Je dis joyeusement parce que notre plus grande erreur serait de n’être pas assez heureux d’être baptisés, pas assez amoureux de Dieu.
Il existe des prêtres dans toutes les religions. On peut difficilement concevoir de religion sans prêtre, sans officiant, célébrant, DJ, MC maître de cérémonie, berger, gourou, que sais-je. La particularité chrétienne, catholique est d’être un peuple de prêtres, un peuple sacerdotal. Nous le rappelons ce soir en demandant aux prêtres de se livrer, à l’exemple du Christ, à un geste du peuple, d’esclave ou de serviteur, auquel ne consentira jamais celui qui se croit au-dessus. Comme de balayer ou de faire le ménage.
Nous le faisons au cours d’une messe, le soir où Jésus-Christ a institué la messe, parce que c’est la messe qui fait de nous un peuple de prêtres. Par le baptême, nous sommes configurés au Christ. Et ce baptême s’accomplit lorsque nous sommes rassemblés à la messe.
Le lavement des pieds rappelle aux prêtres qu’ils sont baptisés comme vous, et il rappelle aux baptisés qu’ils forment un peuple sacerdotal par leur participation à la messe. La messe est le service ‘par excellence’ dit le Catéchisme que les prêtres rendent à Dieu et à l’Eglise, pour que nous nous unissions ensemble au Christ auquel nous avons été configurés au jour de notre baptême.
Maintenant, à ce lien fraternel, ‘horizontal’, entre baptisés, il faut ajouter le lien ‘vertical’ des prêtres, ‘historique’ et essentiel avec les Apôtres du Christ. Tout ce que je sais et tout ce que je fais (de bien) comme prêtre, je le tiens des prêtres qui m’ont précédé, qui le tenaient eux-mêmes de ceux auxquels ils avaient succédé et on remonte ainsi jusqu’au Christ avec ses Apôtres, et c’est ce que nous faisons ce soir, en commémorant la sainte Cène.
Il y a deux jours dans l’année où l’Eglise honore les prêtres, au Jeudi saint et le 3ème vendredi après la Pentecôte, à la fête du Cœur sacré de Jésus : ce jour-là nous demanderons au Seigneur que les prêtres soient des prêtres selon son cœur, suivant le titre d’une Lettre de Jean-Paul II, Pastores dabo vobis, ‘je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur’ qui reprend une parole du prophète Ezéchiel. Ce soir, nous insistons sur la continuité à travers les siècles, qui est le premier aspect de la vie éternelle, la première condition d’entrée dans le Royaume, la continuité et la fidélité à tout ce qui est de l’ordre de l’amour.
Tout ce que je sais et que je fais de bien comme prêtre, je le tiens de ceux qui m’ont précédé. Bien sûr que j’ai appris dans des livres, des Papes, du Magistère, des Saints, des Pères et Docteurs de l’Eglise, ma nourriture permanente pour m’aider à mettre en pratique la Parole et les commandements de Dieu. Mais même ce que je pense recevoir dans la prière doit pouvoir être dit par un autre prêtre. Au nom du Christ. De mon premier curé j’ai appris, ce qui ne veut pas dire que je le fasse aussi bien que lui, il y a tant de choses que nous avons apprises sans être capables de bien les faire, j’ai appris qu’on peut (presque ?) tout dire gentiment. Avec la douceur de Jésus. On peut tout dire gentiment et on doit tout dire gentiment quand on est chrétien.
Ensuite, j’ai passé cinq ans à Saint Louis d’Antin entouré d’anciens curés, très différents les uns des autres, qui m’ont montré chacun quelque chose du Christ, de l’Eglise et de la prêtrise. C’est ainsi qu’on apprenait par le passé, des anciens et dans le respect des anciens. Certains avaient été séminaristes en 68 et avaient survécu. Quand tant de leurs amis étaient partis. C’est une transmission vivante dont le Christ a donné l’exemple à ses disciples, avant de la sceller de son sang, disant à Pierre : toi quand tu seras revenu, affermis tes frères.
Un Mercredi des Cendres, je m’étais fait ‘incendier’ par un de ces anciens curés parce que je lui avais appliqué les cendres sur le front, au lieu d’imposer sur l’arrière du crâne : la tonsure ! La tonsure était un signe très fort dans la consécration du prêtre : elle marquait physiquement le célibat dans la chasteté. Ce vieux prêtre, à 90 ans, continuait de courir chaque jour entre saint Louis d’Antin où il confessait et la Cathédrale de Paris où il accueillait les touristes, il parlait japonais. La seule chose qui comptait pour lui était le baptême des adultes, la naissance de nouveaux enfants de Dieu. Il avait compris ce qu’est la paternité spirituelle. C’est lui qui m’a convaincu qu’il vaut mieux pas de prêtres que des mauvais.
Tout ce que je sais et que je fais de bien comme prêtre, je l’ai appris des anciens. Je fais partie d’une des dernières générations élevée dans la gratitude pour ceux qui nous ont précédés. J’ai eu la chance depuis mon enfance de visiter chaque semaine une grand-mère, un ancien, proche ou non. Mon premier travail a été entouré de ‘vieux’ que j’ai contestés plus souvent qu’à mon tour sans jamais perdre de vue ce que nous leur devions. Pour autant, je n’ai jamais considéré l’âge comme un blanc-seing, une garantie de crédibilité, et des anciens, j’ai aussi appris ce qu’il fallait ne plus faire, comme un appel à la vigilance et à la conversion.
Quel âge avait le Christ quand il a lavé les pieds de ses disciples ? Il n’était plus un gamin, si tant qu’il l’ait jamais été, lui le Fils unique du Père. Il était dans la force de l’âge. Toujours jeune, éternellement, si la jeunesse, comme l’écrit le Pape dans son exhortation Christus vivit, le Christ est vivant, publiée à la suite du synode sur les jeunes, est une aptitude à découvrir et à apprendre. A recevoir. Recevoir notre vie du Père. Recevoir notre salut du Christ. Recevoir notre connaissance de l’Esprit.
Hommes du peuple pour le peuple : le lavement des pieds que je vais faire nous rappelle à nous prêtres que nous sommes baptisés comme vous, pour suivre le Christ comme vous et avec vous, et que nous sommes devenus prêtres pour vous donner Jésus dans les sacrements, à la messe, par sa Parole et par l’Hostie, pour que nous puissions ensemble nous rapprocher de Lui. Nous conformer joyeusement au Christ vivant jusque dans le don de sa vie, notre vie.
Peuple de prêtres, peuple de rois, assemblée des saints, Peuple de Dieu, chante ton Seigneur !
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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