Il faut être en partie chrétien, de tradition ou d’inspiration chrétienne, pour considérer que la mort est absurde. Pour ceux qui ne croient pas en Dieu, qui ne croient pas que Dieu existe, ou qui l’enferment dans sa transcendance et qui ne croient pas que nous, nous existions pour Dieu, car il ne sert à rien de croire en Dieu si Lui ne croit pas en nous – et d’une certaine façon, c’est ça être chrétien : croire que Dieu nous aime – Bref, pour les non-chrétiens, la mort n’a rien d’absurde. Elle est un trait de l’humanité : on vit, on meurt.
Là où ça se complique, c’est quand on croit, parce que Dieu nous l’a révélé par son Esprit et par son Fils, qu’Il nous a créés à son image pour que nous vivions de sa vie. Pour que nous soyons participants de la vie divine. La mort, alors, devient absurde.
Il n’y a que devant Dieu, et encore, devant un Dieu d’amour que la mort est absurde.
L’absurdité de la mort est limite chrétienne, une déformation de notre foi.
Même avec nos amis juifs, l’approche est différente, car ce qui compte pour eux n’est pas l’avenir de la personne mais du peuple, de la Communauté.
Il suffit de voir nos différences de lecture d’un texte comme le sacrifice d’Abraham qui était la 2ème lecture cette nuit de la Vigile de Pâques : pourquoi Dieu, après avoir donné à Abraham un fils dans sa vieillesse, lui a-t-il demandé de l’offrir en sacrifice ? Pour nous Chrétiens, c’est absurde. Nos frères juifs en font une lecture différente, à commencer par la dénomination du texte qu’ils appellent la ligature d’Isaac : Dieu délie Isaac le fils d’Abraham d’une emprise excessive, et se révèle, comme il le fera par Moïse à la sortie d’Egypte, le libérateur de son Peuple : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude » (Ex 20, 2).
Le parallèle du sacrifice d’Abraham avec la mort du Christ sur la Croix met en évidence que Dieu n’a pas sacrifié son Fils Jésus : le Christ s’est offert lui-même en sacrifice, il a pris sur lui nos péchés, et il est mort de la main des hommes, et non de son Père.
Il faut l’audace de Pierre pour le clamer au jour de la Pentecôte : « Hommes d’Israël, écoutez bien : Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies » (Ac 2, 22 …23). Et il ajoute heureusement : « mais Dieu l’a ressuscité, en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir ». Nous venons de l’entendre dans la 1ère lecture : « Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour ».
La mort n’est pas absurde quand elle est une offrande, un acte d’amour. La mort n’est pas absurde quand elle est un acte d’obéissance envers la Vie. La mort n’est pas absurde quand elle est un passage vers le Père.
Voilà ce que vient changer la Résurrection du Christ, en donnant une consistance à la vie après la mort, et en changeant de ce fait notre conception de la mort.
De la vie après la mort, l’Ancien Testament ne dit quasiment rien. Le sujet est tabou, inutile puisque c’est la communauté qui importe, non la personne. Celle-ci n’est qu’une infime partie assurément négligeable d’un ensemble qui la dépasse et la transcende, à tel point que, jusqu’au Christ, le passage semblait relativement poreux : il semblait possible que quelqu’un revienne de chez les morts. L’expression apparaît à diverses reprises, de la part des foules qui disaient à propos de Jésus que Jean Baptiste était ressuscité d’entre les morts. D’autres disaient de lui : « C’est un prophète d’autrefois qui est ressuscité » (Lc 9, 7-8).
On n’est pas très loin d’une forme moderne de croyance en la réincarnation. Et l’insouciance ou l’inconséquence de nos contemporains ne s’explique pas autrement : ils ne croient pas au changement de la mort.
Nous, si. Grâce à la Résurrection du Christ.
Toute la joie de Pâques est là : par sa victoire sur la mort, le Christ lui a donné sa réalité, une consistance. Non seulement la mort n’est pas absurde, mais la vie après la mort n’est plus un mythe, elle ne s’oppose plus à un discours rationnel.
Depuis la résurrection du Christ, nous ne pouvons plus dire n’importe quoi ni sur la mort, ni sur la vie après la mort, et encore moins sur l’amour.
Selon un très ancien axiome de sagesse, si, à la sortie d’une relation amoureuse, on est le même qu’à l’entrée, c’est qu’on n’a pas vraiment aimé. Vous en voyez comme moi des personnes qui se sont mariées, ont vécu ensemble, ont eu des enfants, et que vous retrouvez telles que vous les aviez connues avant : elles n’ont pas changé. Elles n’ont pas aimé. Il est normal qu’elles se soient séparées.
L’amour entraîne une transformation en profondeur, forcément douloureuse. De la part de Dieu, elle est inimaginable, sauf qu’il ne l’a vécue, humainement, en son Fils Jésus-Christ que pour nous permettre d’en faire autant.
Depuis la Résurrection du Christ, la mort n’est plus un mythe : elle est le lieu final de transformation et d’accomplissement de l’amour.
Au matin de Pâques, Pierre et l’autre disciple ont couru jusqu’au tombeau, poussés par l’espérance d’y trouver ce que le Christ leur avait annoncé. Et l’espérance ne déçoit pas « car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5).
Quelque chose a changé en eux, profondément changé, que le Christ lui-même avait appelée : conversion. Il faudra la Pentecôte, après plusieurs apparitions du Christ Ressuscité et cinquante jours de prière commune pour que ce changement puisse s’exprimer publiquement. Et ils vivront à leur tour la mort comme une offrande, un acte d’amour. La mort comme un acte d’obéissance à l’Amour éternel. La mort n’est pas absurde quand elle est passage vers le Père, entrée dans la Vie.
« Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie » (sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, docteur de l’Eglise).
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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