Quels sont les risques que Jésus prend en envoyant ses disciples au devant de lui ? Qu’ils se fassent assassiner ? Comme dans la parabole des vignerons homicides (Mt 21 ou Mc 12), où les serviteurs envoyés par le maître se font maltraiter et tuer ? Non, ici, l’heure n’est pas venue où « ceux qui vous tueront dit Jésus s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu » (Jn 16, 2). Le risque pour l’instant est d’être mordu par des chiens errants : prenez un bâton.
Ce risque est-il que nous déformions le message, que nous inventions, comme certains le prétendent, des sacrements que Jésus n’aurait pas lui-même institués ? Il nous a rassurés sur ce point, y compris pour les heures les plus difficiles : « Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10, 20).
Le risque que prend Jésus est que nous comptions sur nos propres forces.
Ne prenez rien pour la route : pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie, pas de tunique de rechange, est à entendre au propre comme au figuré. « Ne vous faites donc pas tant de souci. Ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” ou encore : “Avec quoi nous habiller ?” Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-surcroît. Ne vous inquiétez pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 34). Cette peine de chaque jour s’appelle la prière. Elle est pénible, elle est une peine, un effort pour renoncer à ses propres forces : ma grâce te suffit dit le Seigneur.
Nous aurions tort de penser que la ferveur consisterait à être le plus concentré possible dans la prière, concentré sur soi-même ou en soi-même. Il s’agit au contraire de se décentrer : la ferveur est un dépouillement de nos talents, mérites ou capacités pour laisser faire le Seigneur.
Ne prenez rien pour la route si le Christ est le chemin.
Dans sa Lettre sur la sainteté, le Pape François associe audace et ferveur (nn. 129-139). C’est la 3ème caractéristique de la sainteté aujourd’hui, après « l’endurance, la patience et la douceur » dont je vous ai parlé au 1er dimanche de juillet, et « l’humour et la joie » dimanche dernier.
Audace et ferveur. L’audace est la qualité apostolique par excellence, la condition de base de l’évangélisation. Le manque d’audace à affirmer sa foi – ‘je n’ose pas’ est une attitude assez répandue malgré l’avertissement du Christ : « Celui qui se prononcera pour moi devant les hommes, moi aussi je me prononcerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux » (Mt 10, 33). Ouf ! Pierre, le premier des apôtres, a renié et fut pardonné.
Il faut de l’audace au Christ pour nous envoyer parler et agir en son nom. Il faut de l’audace à Dieu pour confier aux hommes son Eglise. Et cette audace de Dieu devrait nous galvaniser ! Le monde a plus que jamais besoin de l’énergie de Dieu, pour résister à l’accablement et la mélancolie, à « l’acédie commode, consumériste et égoïste » (n. 111). Nous avons besoin de douceur (d’endurance, patience et douceur), nous avons besoin de joie et d’humour, et nous avons besoin d’audace et de ferveur. Pas d’audace sans ferveur c’est-à-dire sans vie intérieure.
Pourquoi manquons-nous d’audace, en matière religieuse ? Parce que nous manquons de vie intérieure. Nous accordons plus d’importance au regard des autres qu’au regard de Dieu : ‘Qu’est-ce qu’on va penser de moi ?’. Heureusement que nous y prenons garde ! Nous serions invivables. Mais c’est une question de mesure. D’où viennent les sentiments de tristesse et de découragement, la mélancolie et la frilosité de tant de fidèles et de gens d’Eglise ? D’une soumission excessive au monde, doublée d’une accoutumance aux injustices et aux péchés.
« L’accoutumance nous séduit et nous dit que chercher à changer quelque chose n’a pas de sens, que nous ne pouvons rien faire face à cette situation, qu’il en a toujours été ainsi et que nous avons survécu malgré cela. À cause de l’accoutumance, nous n’affrontons plus le mal et nous permettons que les choses ‘‘soient ce qu’elles sont’’, ou ce que certains ont décidé qu’elles soient » (Gaudete et exsultate n.137).
Réveil !
« Laissons le Seigneur venir nous réveiller, nous secouer dans notre sommeil, nous libérer de l’inertie. Affrontons l’accoutumance, ouvrons bien les yeux et les oreilles, et surtout le cœur, pour nous laisser émouvoir par ce qui se passe autour de nous et par le cri de la Parole vivante et efficace du Ressuscité ».
Laissons le Seigneur venir nous secouer. C’est le verbe que Jésus emploie : « Partez et secouez la poussière de vos pieds ». L’expression est facile à comprendre qui n’a pourtant pas d’antécédent biblique. Secouer est utilisé pour la récolte (secouer l’arbre pour ramasser les fruits), l’assentiment ou la réprobation : secouer la tête. Secouer est le propre de l’audace : secouez-vous, un peu d’audace bon sang ! Les prophètes ont toujours été envoyés par Dieu pour secouer le peuple.
Quelle différence entre secouer et choquer ?
La ferveur. « Le manque de ferveur est d’autant plus grave qu’il vient du dedans » disait Paul VI qui souhaitait que le monde ne reçoive pas l’Évangile “d’évangélisateurs tristes et découragés” (n. 130). Le Christ n’a pas envoyé ses Apôtres ni institué son Eglise pour faire la morale mais pour combattre les démons et montrer sa compassion. « Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient » : nous avons ces trois huiles, l’huile des Catéchumènes (pour conclure les exorcismes avant le baptême), l’huile des malades, et le Saint-Chrême pour le baptême, la confirmation et les ordinations. Et nous avons l’audace de croire qu’elles donnent la Vie éternelle.
Christ signifie : qui a reçu l’onction. Chrétien : qui s’est laissé secouer.
Audace et ferveur : l’audace de Dieu et la ferveur de la prière.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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