La Visitation de Marie à Elisabeth se situe dans la continuité de l’Annonciation : une jeune femme, Marie fait une expérience ‘mystique’, l’apparition d’un Ange, pas n’importe lequel, l’Archange Gabriel, non pas dans un songe comme pour Joseph, mais de jour, en face à face, comme pour Moïse, une rencontre de pleine conscience à l’issue de laquelle « l’Ange la quitta » comme on se quitte entre deux personnes, et non comme peut se volatiliser un esprit. Parce qu’elle a accueilli l’Ange du Seigneur, Marie va alors visiter sa parente Elisabeth. C’est la 1ère leçon de charité : La grâce reçue de Dieu nous envoie aux autres.
Marie se rend chez sa cousine Elisabeth dont l’Ange lui a parlé, de la même façon que vous pouvez rendre visite à toute personne de votre entourage dont vous êtes en droit de penser qu’elle a besoin d’aide. « Dans sa vieillesse, Élisabeth a conçu un fils et en est à son sixième mois alors qu’on l’appelait la femme stérile » : cette femme que tu connais est âgée, maltraitée, et confrontée à une situation nouvelle, difficile. 2ème leçon de charité : J’étais âgée et vous m’avez visitée.
Pourquoi l’évangile indique-t-il que Marie se rendit ‘avec empressement’ chez Elisabeth ? Que signifie cet empressement ? Le latin le traduit par de la ‘promptitude’, on pourrait dire : avec sérieux, sans détours. Marie part sans hésitation, parce que cette attention aux autres lui est naturelle, habituelle.
J’ai lu cet été (Revue Renaissance de Fleury, n° 262, Juin 2017) la réflexion du Père abbé de Clervaux sur deux aspects de la sagesse bénédictine, telle qu’elle apparaît dans la règle de saint Benoît : la discrétion et la détermination. La discrétion « mère des vertus » (Règle, ch. 64) comme « principe d’évaluation de ce qui convient en toutes circonstances ». Et la détermination, dit saint Benoît : « Garde-toi de fuir, sous une émotion de terreur, la voie du salut ». Il y a une sagesse de discrétion, disait ce père abbé, et il y a une sagesse de rédemption.
Voilà deux qualités de la Vierge Marie, trône de la Sagesse : discrète et déterminée.
Ce serait une erreur de penser que l’Annonciation a été la première expérience spirituelle de Marie, et la Visitation son premier acte de charité. L’Annonciation est venue couronner des années de prière, qu’atteste la parole de l’Ange : comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi, toi qui es sans cesse avec lui. De même la Visitation s’inscrit dans une longue pratique d’actes de charité sans lesquels Marie ne serait pas un modèle de foi. 3ème leçon de charité : la charité est constante. Elle ne consiste pas à rendre une visite ‘une fois’. La charité consiste à visiter les personnes régulièrement, fidèlement, toutes les semaines ou tous les mois, et toute la difficulté est dans cette fidélité. Il y a une continuité de la foi et de la charité qui devrait nous empêcher d’utiliser l’expression de ‘croyants non pratiquants’ : qu’est-ce qu’un croyant ? Celui dont la foi se traduit dans sa vie.
Qu’est-ce que ma foi m’a fait faire cette semaine ?
Elle m’a fait aller à la messe dimanche. OK. Et pour les autres ? Je me suis occupé de ma famille : une vieille cousine, un peu perdue, bouleversée par les événements. Je suis restée chez elle trois mois.
Voyez l’échelle de temps : une heure pour Dieu, beaucoup plus pour les autres. Ou plutôt, ce que l’Esprit saint nous demande, c’est une heure à la messe avec les autres pour Dieu, le dimanche, qui n’empêche pas d’être de façon plus personnelle avec Lui à d’autres moments. Et du temps concret pour les autres parce que c’est le propre de l’Incarnation : être incarné, c’est être attentif à l’autre dans son corps, dans sa chair, dans ses nécessités. J’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais froid et vous m’avez habillé ; j’étais âgée et vous m’avez visitée. Il n’y a rien de plus incarné qu’un saint. Ce n’est pas jeûner que ne pas avoir faim. Ce n’est pas veiller si on n’a pas sommeil. On n’est pas chaste quand on est asexué.
Il faut pouvoir imaginer que Marie n’avait pas envie d’aller voir Elisabeth. Elle avait toutes sortes de bonnes raisons de ne pas y aller : c’était loin ; les deux, Elisabeth et Zacharie son mari n’étaient pas des rigolos – l’évangile le dit : « Ils étaient l’un et l’autre des justes devant Dieu : ils suivaient tous les commandements et les préceptes du Seigneur de façon irréprochable » (Lc 1, 6). Marie s’y rend pourtant en hâte, résolument, volontairement, faisant passer l’intérêt du prochain avant le sien. Si vous attendez, pour aller visiter une vieille cousine, d’en avoir envie, elle ne le sera plus, en vie.
Etre incarné ne signifie pas suivre les désirs de son corps mais les besoins d’autrui. Comblée-de-grâces ne signifie pas être épargnée de tout effort ! Cela signifie : soutenue et portée par l’amour inconditionnel de Dieu dans l’attention constante au prochain.
L’Assomption de Marie, son entrée paisible dans la Gloire du Ciel, s’est faite sans violence extérieure. Certes. Mais qui peut penser que cela s’est fait sans violence intérieure ? L’évangile nous montre que Marie a souffert : avant même qu’un glaive lui transperce le cœur, à la mort de son Fils, elle a connu l’incompréhension, l’angoisse, l’exil. Il est beau d’entendre alors le Magnificat, l’exultation de joie de Marie, qui dit pourquoi Dieu nous envoie les uns aux autres : pour porter la joie. 4ème leçon de charité : nous sommes des porteurs de bonnes nouvelles.
S’il y avait une chose à retenir de cette scène de la Visitation, c’est la joie. La joie d’Elisabeth se répercute dans le cœur de Marie qui peut laisser chanter son âme. Cette joie d’Elisabeth est la joie de toute personne qui a besoin d’être visitée. Vous en connaissez ? Vous pouvez leur faire cette joie.
Marie est restée trois mois chez Elisabeth : elle est repartie à la naissance de l’enfant, laissant la place à d’autres femmes plus expérimentées, le récit le suggère, quand « ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur avait montré (à Elisabeth) la grandeur de sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle ». Avec elle : elle est enfin entourée. 5ème leçon de charité : quand d’autres sont là, ce n’est pas la peine de rester.
D’où la fête que nous célébrons, de l’Assomption de Marie, qui dit que les personnes qui nous ont quittés ne nous ont pas abandonnés. Ce n’est pas parce qu’elles ne sont plus physiquement présentes qu’elles ne sont plus spirituellement et amoureusement présentes.
Revenons au début, quand « l’Ange du Seigneur la quitta » : en réalité, il ne l’a jamais quittée, comme les défunts ne nous quittent pas, qui intercèdent pour nous quand ils sont saints. En entrant dans la Gloire du Ciel, par son Assomption, la Vierge Marie ne nous a pas quittés. Son Fils Jésus nous a confiés à elle pour l’éternité : Voici ton fils, qui est le nom donné à tous ceux qui entendent Dieu nous dire : Voici ta mère. La Vierge Marie, modèle de Charité, mère de l’Espérance
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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