Pourquoi baptisons-nous les enfants tout-petits ? Que répondez-vous à ceux qui critiquent cette pratique au motif qu’elle ne serait pas cohérente avec ce que nous disons de la liberté comme condition de validité de tous les sacrements : que la personne puisse se prononcer, s’engager librement. En un mot, qu’elle soit adulte. Quelle est votre réponse sur le baptême des petits enfants : est-ce que vous parlez péché ou confiance ? Est-ce que vous parlez péché, péché originel dont tout être humain a besoin d’être délivré ? Ou est-ce que vous parlez confiance, confiance en Dieu, rompue par le péché ?
Tout péché est un manque de confiance en Dieu. « L’homme, tenté par le diable, a laissé mourir dans son cœur la confiance envers son créateur et, en abusant de sa liberté, a désobéi au commandement de Dieu. C’est en cela qu’a consisté le premier péché de l’homme. Tout péché, par la suite, sera une désobéissance à Dieu et un manque de confiance en sa bonté » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 397).
« Je sais en qui j’ai mis ma confiance », dit Paul à Timothée son enfant bien-aimé (2 Tm 1, 12). Le texte porte littéralement : « je sais en qui j’ai cru », en qui je crois, parce que la confiance est ce qu’on peut faire de plus personnel. Je crois en Dieu et je mets ma confiance dans la foi de l’Eglise. Telle est la conversion que Jésus demande à cet homme riche qui vient le voir en courant : il lui demande sa confiance en lui, Jésus. Crois-moi, suis-moi. Cet homme mettait un point d’honneur à obéir à la Loi : il était fidèle à l’enseignement reçu « depuis (sa) jeunesse » car l’obéissance à Dieu n’est pas innée !
Au jour du baptême de leur enfant, les parents prennent l’engagement de « l’éduquer dans la foi, et de lui apprendre à garder les commandements, pour qu’il aime Dieu et son prochain comme le Christ nous l’a enseigné ». Nous posons la question : « Etes-vous conscients de cela ? ». Oui. Que vaut ce oui ? Faut-il baptiser les petits-enfants lorsque leurs parents n’ont aucune pratique religieuse, et que la probabilité est faible qu’ils soient éduqués dans la foi ? Au nom de leur liberté, la réponse est Oui ! Mille fois oui. Le baptême des petits-enfants est le premier acte de leur libération, le signe qu’ils sont aimés au-delà de l’amour de leurs parents, qu’ils sont aimés en soi, pour ce qu’ils sont. Au-delà du ‘projet parental’.
Une femme, la quarantaine, mère de famille, est venue me voir qui souffre encore du manque d’amour de ses parents. Il y a peu, courageusement, elle a voulu faire comprendre à sa mère qu’elle n’avait pas reçu l’amour dont elle avait besoin. Réponse de la mère : ‘Tu n’as qu’à le demander à Dieu’. Réponse atroce. Et cette femme me demandait quels signes elle pouvait avoir de l’amour de Dieu ? Je lui ai dit : vos enfants. L’amour que vous ressentez pour eux est une toute petite indication de l’amour de Dieu pour vous.
L’homme riche de l’évangile dit des commandements qu’il les observe depuis sa ‘jeunesse’. Il ne dit pas depuis son ‘enfance’ qui aurait reconnu le mérite de ses parents. En disant ‘tout cela’ (je l’ai observé), il laisse entendre qu’il les observe impeccablement. C’est ce qui s’appelle une forte affirmation de soi, qu’on distingue de l’estime de soi. On peut s’affirmer fortement quand on a des talents, de l’argent – peut-être était-il riche par ses talents plus que par ses parents -, une conscience droite, sans forcément s’aimer. Peut-être vient-il à Jésus justement pour cela, pour être aimé ?
Effectivement Jésus posa son regard sur lui et il l’aima : il se mit à l’aimer. Est-ce à dire qu’il ne l’aimait pas avant ? La question est posée à propos du baptême par lequel on devient enfant de Dieu : est-ce que ça signifie qu’on ne l’était pas avant, enfant de Dieu ? Est-ce que ça signifie que Dieu n’aime pas les non-baptisés comme ses enfants ? Il suffit de voir cette scène de l’évangile : Jésus se mit à l’aimer ; est-ce que cela fut réciproque ? Est-ce que cet homme se mit à aimer Jésus ? Est-ce que déjà cet homme s’aimait lui-même ?
L’affirmation de soi peut masquer un manque d’estime de soi, et surtout empêcher de se laisser aimer, condition essentielle de la confiance en soi. Les parents savent qu’ils doivent faire confiance à leurs enfants pour leur donner confiance en eux. C’est tout le problème de l’adolescence et de ceux qui ont besoin de s’affirmer parce qu’ils ne sont pas sûrs d’eux. Ils iront chercher cette confiance chez les autres si on ne leur apprend pas qu’ils ne la recevront pleinement que de Dieu. La prière de sainte Faustine : Jésus, j’ai confiance en toi – suppose qu’ait été donnée et reçue la Bonne Nouvelle de l’Evangile : Dieu a confiance en nous.
Jésus, tu as confiance en moi.
La confiance est personnelle. Elle est réciproque : elle se reçoit. Elle a besoin de médiations. Ce qui n’est pas la même chose que d’être médiatisé : c’est l’illusion de notre époque de penser que la notoriété donne confiance. La notoriété affirme mais n’estime pas.
Après les Journées Mondiales de la Jeunesse en 1997, le cardinal Lustiger nous avait livré une magnifique analyse de la ferveur qui s’était emparée de Paris. Nous lui avions demandé dans quelle mesure la personnalité du Pape Jean-Paul II avait été la clé du succès et de la venue des foules. De même que le Séminaire de Paris était plein à l’époque à cause de la personnalité de Lustiger. Ce sont les hommes et les femmes unis au Christ qui attirent à l’Eglise. La vie est faite de ces médiations. Dans l’Eglise cela commence au baptême. Lustiger a sauvé l’Eglise de Paris et nous avons pour lui une dette éternelle. Il était uni au Christ. C’était le Christ que nous aimions en lui.
De l’homme riche, l’évangile dit que Jésus l’aima : il le regarde avec amour pour qu’il se laisse transformer. Le respect de la Loi l’avait préparé à la Sainteté, préparé comme le baptême prépare à la vie dans l’Esprit. Le baptême est une porte d’entrée, et donc une porte de sortie, sortie de la réduction de la personne à son apparence, à ses talents ou à ses biens. « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre », dit Pierre qui parle de biens personnels : des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre. Ces liens familiaux sont des biens terrestres.
Qu’avons-nous quitté, que quittons-nous au jour de notre baptême, de quoi devons-nous sortir qui justifie que nous baptisions les enfants tout petits ? Nous devons sortir du regard des autres pour se laisser envelopper par le regard d’amour de Dieu. Sortir d’une vision close du monde où nous existerions par nos biens ou nos talents. Cette sortie est une grâce, gratuite et coûteuse et cet homme venu en courant s’en est retourné tristement.
La confiance est personnelle. Elle se reçoit. Elle a besoin de médiations. Et elle a besoin de grandir, de croître, de vivre, car elle a vocation à être totale : elle est vocation à la plénitude, à la vie éternelle.
Me revient souvent à l’esprit que chez les Rédemptoristes, du temps de Marcel Van, on fêtait Noël tous les 25 du mois (les cadeaux en moins). L’idée étant de rééquilibrer Pâques et Noël : nous fêtons Pâques la résurrection à chaque messe, et Noël l’incarnation une seule fois par an. J’ai imaginé faire ça, fêter Noël tous les 25 du mois, et j’ai finalement renoncé quand j’ai compris que nous fêtons Noël chaque fois que nous prions Notre Père, la prière des enfants de Dieu, chaque fois que nous revenons à la relation filiale qui est la grâce du baptême, l’adoption filiale. Qu’est-ce qui peut donner confiance en soi mieux que la confiance en Dieu ? Jésus, tu as confiance en moi.
Confiance en Dieu, confiance en soi.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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