Je connais des grands-parents qui ont fait des procès à leurs enfants pour avoir le droit de voir leurs petits-enfants. Dans un cas, j’ai fait un témoignage de moralité : j’ai attesté que ces grands-parents étaient des personnes dignes de confiance à qui on pouvait confier sans crainte de petits enfants. J’ai pris parti ? Non, j’ai rendu témoignage à la vérité : je suis le premier à dire aux enfants (adultes – lors des préparations au mariage) qu’il leur faut prendre de la distance à l’égard de leurs parents. Respectueusement. Les enfants concernés ne m’ont pas pardonné, tout catholiques qu’ils étaient, refusant tout dialogue. Ils ne sont pas venus à l’enterrement de leurs parents, ce qui est l’acte suprême de rejet. Mais ils ont fait valoir ensuite leurs droits à l’héritage.
Quelle vision en ai-je rétrospectivement ? Quelle relecture est-ce que j’en fais ? Est-ce que je regrette d’avoir témoigné ? Comment est-ce que je suis sûr de ne pas m’être trompé ? A la lumière de toutes les situations comparables que j’ai vues et que je vois, je dirai trois choses.
Ce procès était une erreur : le procès est à éviter en famille, et à réserver à des cas spécifiques de violation d’interdits (en cas d’inceste par exemple), où ils sont nécessaires pour une réhabilitation de la loi.
Comment savoir la bonne route ? Comment est-ce que je suis sûr de ne pas m’être trompé ? Le critère est l’espérance du pardon et le désir de réconciliation. Parfois il faut passer par la haine pour accéder au pardon. Je pense aux enfants de cet homme qui a violé et tué une jeune fille : il faudra peut-être qu’ils passent par le dégoût et la haine pour leur père avant (et afin) de pouvoir pardonner. Sinon ils seront englués dans la honte et la culpabilité. La prière et la messe sont souvent la seule possibilité pour guérir : venez et priez, même si vous avez de la haine dans le cœur. Venez sans communier car on ne peut pas la haine au cœur, mais venez. Et nous, ne jugeons pas la présence à la messe de personnes que nous savons en plein conflit : prions avec elles et pour elles.
Renoncer à un procès ne signifie pas abandonner un combat. Soyons cohérents : nous ne pouvons pas nous opposer aux lois de bioéthique qui privent des enfants de leur filiation et de leur identité, nous ne pouvons pas subir tous ces mensonges sur l’histoire de l’Eglise et la place de l’Eglise dans l’histoire, – et ne pas nous engager chaque fois qu’on cherche à priver une personne de son histoire. Il y a ceci de dingue que notre époque souhaite transparence et traçabilité sur l’origine des aliments, et dénie celle des personnes !
Ce dimanche est la Journée mondiale des communications sociales. Le thème cette année sont les fake news. « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). Encore faut-il en connaître l’origine ! Citez vos sources. Je pense à feu Jean-Edern Hallier, journaliste et écrivain trublion des années 80, qui racontait qu’adolescent il recopiait des poèmes en prose de Baudelaire qu’il s’attribuait pour draguer les filles. S’approprier ce qui n’est pas de nous, ce qui ne nous appartient pas est une des tentations les plus fortes de la vanité, un des ressorts du péché originel, une des tactiques préférées du Diable qui te dit sans cesse : c’est pour toi, prends-en, vas-y, prends !
Je voudrais que nous réfléchissions, à l’occasion de la prière de Jésus dans l’évangile de ce dimanche, à cette question : à qui appartiennent les enfants ?
C’est le sujet de ces procès entre des grands-parents et leurs enfants : la filiation est-elle descendante, qui donne un droit de regard ? Ou est-elle ascendante, qui donne une clé de compréhension ? Par deux fois Jésus dit de ses disciples : « ils n’appartiennent pas au monde », en ajoutant à chaque fois « de même que moi je n’appartiens pas au monde ». Que lui-même n’appartienne pas au monde, nous le savons puisque nous reconnaissons en lui le Créateur du monde, le Créateur et le Sauveur. Mais nous ?
« Dans notre vie comme dans notre mort nous appartenons au Seigneur » (Rm 14, 8). « Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même : si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur ».
A qui appartiennent les enfants ?
Il me semble ici que le rituel du baptême des petits-enfants n’est pas suffisamment clair. Il engage les parents à donner une éducation catholique à l’enfant, puisque nous disons au début : « Vous demandez le baptême pour votre enfant. Vous devrez l’éduquer dans la foi, et lui apprendre à garder les commandements, pour qu’il aime Dieu et son prochain comme le Christ nous l’a enseigné » – et je traduis : cela signifie que vous l’inscrirez au Catéchisme. Sachant que la plupart du temps nous avons affaire à des parents qui ne considèrent pas que la sanctification et la messe du dimanche fait partie des commandements de Dieu (c’est le 3ème).
Nous devrions dire clairement que l’entrée dans la famille des enfants de Dieu s’accompagne d’autant de droits que de devoirs – le droit à la Résurrection, le devoir de réconciliation, par exemple. Il ne s’agit pas d’une agrégation extérieure, d’une sorte d’assurance vie éternelle, mais d’une véritable appartenance à Dieu : « Je serai son Dieu, et lui sera mon fils », mon enfant. « Tel sera l’héritage du vainqueur » (Ap 21, 7).
Puis-je vous proposer de voir de quelle façon vous priez ‘Notre Père’ : est-ce un adjectif possessif qui vous engage, qui fait que vous êtes ses enfants ?
Au dimanche de la Miséricorde, le pape François a commenté l’exclamation de l’apôtre Thomas ‘Mon Seigneur et mon Dieu’. Cet adjectif possessif que Thomas répète : ‘mon’, si nous y réfléchissons bien, il pourrait sembler impropre de le référer à Dieu : Comment Dieu peut-il être à moi ? Comment puis-je faire mien le Tout Puissant ? En réalité, en disant mon, nous ne profanons pas Dieu, mais nous honorons sa miséricorde, parce que c’est lui qui a voulu se “faire nôtre”. Et nous lui disons, comme dans une histoire d’amour : “Tu t’es fait homme pour moi, tu es mort et ressuscité pour moi, en donc tu n’es pas seulement Dieu, tu es mon Dieu, tu es ma vie. En toi j’ai trouvé l’amour que je cherchais, et beaucoup plus, comme jamais je ne l’aurais imaginé”. Dieu ne s’offense pas d’être “nôtre”, car l’amour demande de la familiarité, la miséricorde demande de la confiance.
Mais la réciproque ? Comment Dieu peut-il être Notre Père si nous ne sommes pas ses enfants ?
Voilà pourquoi l’Eglise considère qu’une vocation sacerdotale ou religieuse prime sur une obligation familiale. A Jésus qui l’appelait : « Suis-moi », un homme répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père ». Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu » (Lc 9, 59-60). Cela suppose que les parents envisagent, proposent, encouragent la vocation de leurs enfants, au mariage comme à la vie consacrée. Cela suppose qu’ils conçoivent et vivent le mariage comme un chemin de sainteté qui conduit au Père. Cela suppose que comme Jésus, ils se sanctifient eux-mêmes, afin que leurs enfants soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.
A qui appartiennent les enfants ? Ni à leurs parents, ni à la société. A Dieu et à Dieu seul. C’est lui qui les a créés, et qui a lui seul le pouvoir de les sauver.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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