Une des particularités de l’évangile de saint Luc est l’attention qu’il donne à Jésus en prière : sept (7) mentions de Jésus priant. Nous venons d’entendre la 1ère : après avoir été baptisé, Jésus priait (Lc 3, 16). C’est le signe le plus fort de son humanité ; il est vrai homme et vrai Dieu : il est vrai homme parce qu’il prie. Qu’est-ce qu’un être humain qui ne prie pas ? Qu’est-ce qu’une personne qui ne prie jamais ? A ceux qui viennent me voir, je pose un jour ou l’autre la question : est-ce que vous priez ? Je sais donc qu’il y a beaucoup de personnes qui ne prient jamais, qui n’ont pas de relation avec Dieu, qui ne veulent pas aller à l’écart, comme Jésus : c’est la 2ème mention dans l’évangile de saint Luc, alors que le monde bruissait de bruits : lui se retirait dans les déserts et il priait (Lc 5, 16).
Pour prier, il suffit de penser à Dieu, et en réalité de lui répondre, car c’est Dieu qui parle en premier. Voilà pourquoi l’évangéliste dit qu’après avoir été baptisé, Jésus priait : il pensait à ce qu’il venait de vivre et d’entendre de la part de Jean-Baptiste. Le baptême de Jean était précédé de ce que nous appelons une liturgie de la Parole. Le peuple était rassemblé comme nous à l’église, à la messe ou pour un baptême. Il venait en foule en faisant profil bas : c’était un baptême de conversion qui supposait que ceux qui venaient avaient envie de changer, n’étaient pas satisfaits de leur vie. L’idée de progrès est propre au Christianisme. Beaucoup en souffrent : ‘je ne fais pas de progrès !’. C’est un signe de vieillissement. Je réponds en demandant : ‘qu’en disent vos proches ? Quels sont les domaines dans lesquels ils voudraient que vous vous amélioriez ?’. L’idée qu’on n’aurait pas besoin de médiations dans le domaine religieux est absurde : nos premiers intermédiaires sont nos proches, ceux avec qui nous vivons, avec qui nous travaillons. Qu’est-ce qui vous dit que leurs demandes ne viennent pas du Seigneur ? Dieu emploie toutes sortes de moyens pour nous appeler à la conversion.
La 3ème mention de Jésus priant précède l’appel des Douze : dans la montagne et toute la nuit à prier Dieu avant d’appeler ses disciples lorsqu’il fit jour (Lc 6, 13). Combien de temps prier ? Jusqu’à ce que l’on voit clair. Et voir clair, c’est ensemble, avec d’autres. La prière commune n’est pas meilleure que la prière individuelle ; mais la prière nous rend plus proche des autres, nous amène à eux car telle est la volonté du Père.
Le peuple était rassemblé et avait envie de changer : c’est la condition pour écouter. Et le premier commandement : Ecoute, Israël. Nous avons entendu la prédication de Jean-Baptiste au 3ème dimanche de l’Avent : « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. Par beaucoup d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle ». La Bonne Nouvelle n’est pas une hypothétique et illusoire maîtrise du temps mais que notre âme pourra être sauvée. Le crois-tu ? demande Jésus à Marthe sœur de Lazare. Elle répondit : Oui, Seigneur, tu es le Messie, je le crois ; tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde (Jn 11, 27).
La 4ème mention de Jésus priant dans l’évangile de saint Luc introduit la révélation de son identité et de sa divinité. Comme il était en train de prier, seul, n’ayant avec lui que les disciples, il les interrogea en disant : « Qui suis-je, au dire des foules ? » (Lc 9, 18).
C’est le rôle de la prière : apprendre à connaître Dieu. C’est une grâce à demander au début de chaque temps d’oraison : une grâce de connaissance intérieure de Jésus-Christ. Vous pouvez lire tous les ouvrages que vous voudrez, suivre toutes les conférences ou toutes les formations, vous ne connaîtrez Dieu qu’en priant. En l’écoutant.
A l’image du peuple autour de Jean-Baptiste, nous écoutons la parole de Dieu transmise par les prophètes. Et nous prions : nous pensons à ce que nous avons entendu, en laissant l’Esprit Saint associer de multiples éléments de conscience, de tradition, de mémoire, d’actualité, de façon assez comparable à ce qui se passe dans un champ de blé où interviennent et se croisent tant d’éléments hétérogènes pour sa croissance, la qualité du sol, de la semence, le soleil ou la pluie, le temps et les agressions. La vie intérieure est comparable au travail agricole. L’image ne parle plus : j’ai entendu à la radio un écolo qui disait fièrement que, n’étant pas spécialiste de l’agriculture (sic), il avait téléchargé une application pour faire ses courses pour savoir quels sont les fruits et les légumes de saison. Nous sommes dans une situation nouvelle de rupture de tradition orale. Ce que nous considérions comme naturel par le passé ne l’est plus. Il en va ainsi de la prière : nous sommes les premières générations de l’histoire pour qui l’acte religieux n’est plus naturel. C’est pourquoi il faut montrer aux enfants comment prier et les rassurer : le sentiment de Dieu est normal. Il apparaît au début de l’existence puisque Dieu nous a créés, et il reviendra pour battre le blé, séparer le bon grain de la paille et de l’ivraie.
La 5ème mention de Jésus priant dans l’évangile de saint Luc le montre à nouveau avec ses disciples les prenant avec lui sur la montagne pour prier et là il fut transfiguré (Lc 9, 29). Son visage devint autre et son vêtement d’une blancheur fulgurante. Parfois on se demande dans la prière si on ne rêve pas. On est ensuite comme ces disciples en repartant qui ne dirent rien à personne de ce qu’ils avaient vu.
Enfin, les deux dernières mentions sont les plus familières qui sont l’enseignement du Notre Père : comme il était quelque part à prier, quand il eut cessé, un de ses disciples lui dit : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples » (Lc 11, 1). Et enfin à Gethsémani dans la détresse (cf. Lc 22, 40-46) ils l’ont vu redire la même prière avec insistance : Père, que ta volonté soit faite.
Telles sont les 7 visions du Christ en prière : au baptême de Jean, à l’écart des foules, pour l’appel des Douze, avant la profession de foi de Pierre, à la Transfiguration, au Notre Père, et à Gethsémani. Difficile de s’en souvenir ? Souvenez-vous simplement que Dieu vous appelle : toute prière est une réponse à l’appel de Dieu. La prière est notre vocation dit saint Paul et la condition pour avoir beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, nous supporter les uns les autres avec amour, garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix (Ep 4, 1-6). Quand je commente cette lecture à un baptême, je m’adresse aux enfants présents : ‘Dis-moi, lorsque ta maman ou ton papa t’appelle, est-ce que tu y vas tout de suite ?’ Et je leur décris le processus : la 1ère fois, on fait semblant de ne pas avoir entendu. Ensuite, on crie : ‘j’ai presque fini !’. L’appel insistant, on gagne du temps : ‘j’arrive, j’arrive !’ de pure forme … Tout le monde rit, jusqu’à ce que je dise aux enfants : ‘voyez, les adultes qui sont là et qui rient font la même chose que vous : Dieu les appelle tous les jours à prendre un temps avec lui, tous les dimanches à venir à la messe, et pareil : ils font semblant de ne pas avoir entendu’. Et là, ils ne rient plus, un silence se fait qui est l’instant précis où chacun peut entendre dans son cœur la voix du Père lui dire : tu es mon enfant bien-aimé. Tu es mon enfant bien-aimé, reçois tout mon amour.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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