Les pauvres ! Qui n’a pas envie de plaindre les pauvres insouciantes qui trouvent porte close ! Trop tard ? Ce n’est pas la raison qui leur est opposée. Heureusement d’ailleurs, dans l’Eglise comme dans l’évangile, on ne pénalise pas les retardataires … Au contraire, il n’est jamais trop tard, en cette vie, pour se tourner vers Dieu. En cette vie, mais nous sommes ici, dans cette parabole, après la mort : ces dix jeunes filles se sont endormies du sommeil de la mort.
Pourquoi ne peuvent-elles pas entrer, trouvent-elles porte close ? Pourquoi le Maître dit-il qu’il ne les connaît pas ? Que représente cette huile que les plus sages avaient en réserve, qu’elles ne pouvaient pas partager mais qu’il était possible d’aller acheter ?
On dit la grâce du baptême. Non. Le baptême, oui, est signifié clairement par les deux signes que la traduction liturgique ne rend pas : il s’agit de dix vierges, et c’est le seul emploi du mot dans l’évangile qui ne soit pas la Vierge Marie. Elles ont toutes une lampe, car ce sont deux des quatre signes du baptême : le vêtement blanc de la virginité et le cierge allumé.
Les paroles qui accompagnent leur remise sont significatives : pour le premier, l’officiant dit au baptisé : « Tu es une création nouvelle dans le Christ : tu as revêtu le Christ ; ce vêtement blanc en est le signe. Que tes parents et amis t’aident, par leur parole et leur exemple, à garder intacte la dignité des enfants de Dieu, pour la vie éternelle ». Puis, pour le Cierge : « C’est à vous, parents, parrain et marraine, que cette lumière est confiée. Veillez à l’entretenir : que cet enfant, illuminé par le Christ, avance dans la vie en enfant de lumière et demeure fidèle à la foi de son baptême. Ainsi, quand le Seigneur viendra, il pourra aller à sa rencontre dans son Royaume, avec tous les saints du ciel ».
Les dix vierges ont toujours leur virginité. Ce que les folles n’ont plus, c’est de lumière : ‘nos lampes s’éteignent !’. Ce n’est pas sur la base de leur virginité, comprenez de leur dignité que se fait l’entrée dans la salle des noces. Notre dignité est inaliénable, mais insuffisante.
Quelle est alors la lumière qui doit rayonner de notre baptême ? Jésus commence ainsi le discours sur la montagne, juste après les Béatitudes : « Vous êtes la lumière du monde. Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux ». Ce que vous faites de bien : ce sont les bonnes œuvres qui sont l’huile du Salut. Et la phrase ‘Allez vous en acheter chez les marchands’ a été appliquée à la lettre par l’Eglise quand elle s’est égarée dans le trafic des indulgences.
Ce que nous faisons de bien, nos bonnes œuvres sont le service des pauvres : « C’est certainement l’un des premiers signes par lesquels la communauté chrétienne s’est présentée sur la scène du monde », dit le Pape François dans son Message pour la 1ère Journée mondiale des pauvres dimanche prochain. Sa célébration se prépare cette semaine et s’achèvera le dimanche suivant, du Christ Roi de l’univers, « lorsque l’Innocent cloué sur la croix, pauvre, nu et privé de tout, incarne et révèle la plénitude de l’amour de Dieu ».
J’ai choisi de la représenter en plaçant dans le chœur cette chaise noire vide à côté du fauteuil du célébrant : elle symbolise la « place du pauvre », celui que nous devons être prêts à accueillir comme l’époux de la parabole.
Vous connaissez cette tradition de la place du pauvre, un couvert préparé et laissé vide au cas où un indigent frapperait à la porte. Je vous invite à le faire chez vous, pendant ces deux semaines, jusqu’à la fête du Christ-Roi et après, si cela vous dit, aux grandes fêtes, pour garder à l’esprit ceux qui sont exclus. Ils sont le signe de Dieu : j’avais faim, j’étais malade, j’étais un étranger, et vous m’avez nourri, soigné, accueilli.
Je retiens deux expressions du message du Pape, quand il parle d’abord de « la pauvreté aux mille visages », et qu’il évoque la liste impitoyable et jamais complète que prend la pauvreté, face aux deux fléaux de l’avidité d’une minorité et de l’indifférence généralisée.
La pauvreté aux mille visages : qui peut penser que les pauvres sont seulement ceux qui n’ont pas d’argent ? Je vous rappelle les critères qui étaient fixés du temps de Jésus pour pouvoir entrer dans le Temple de Jérusalem : les étrangers ne pouvaient pas entrer, pas plus que les infirmes, « les estropiés, les boiteux, les aveugles » (Cf. Lc 14, 12-14). Pouvaient y entrer, mais dans des endroits à part, réservés, et étaient considérés comme des citoyens de seconde zone les femmes, les convertis et les miséreux. L’exclusion a mille visages. Il vaut parfois mieux ne pas pouvoir entrer que d’être regardés d’un mauvais œil et traités comme des parias.
Qui sont les pauvres ? Tous ceux dont on ne veut pas s’approcher, qu’on n’a pas envie de toucher, auprès de qui on n’a pas envie de s’asseoir, de parler, de dîner. De passer un moment ensemble. « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller seulement une heure avec moi ? ». Puissions-nous ne pas entendre au dernier jour cette parole que le Christ adresse à ses disciples au moment de son agonie, mais appliquer sa recommandation : « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Mt 26, 41).
L’autre expression que je retiens du message du Pape parle de briser le cercle de la solitude. Toute personne qui souffre de la solitude est une personne pauvre ! Elles sont si nombreuses autour de nous. « Nous sommes appelés à tendre la main aux pauvres, à les rencontrer, à les regarder dans les yeux, à les embrasser, pour leur faire sentir la chaleur de l’amour qui rompt le cercle de la solitude. Leur main tendue vers nous est une invitation à sortir de nos certitudes et de notre confort, et à reconnaître la valeur que constitue en soi la pauvreté » comme disponibilité intérieure. « La pauvreté est une attitude du cœur qui empêche de penser à l’argent, à la carrière, au luxe comme objectif de vie et condition pour le bonheur ».
Dans l’opulence et le confort, il manque toujours quelque chose. En réalité, il manque quelqu’un. C’est ce que représente cette chaise vide, la ‘place du pauvre’, laissée en signe de notre attente. Pourquoi est-ce que j’ai pris une chaise ‘noire’ ? Pour qu’on la remarque ? Non. Ce qui nous fait peur dans la pauvreté est ce qui nous fait peur dans la mort : l’abandon, le dessaisissement, le dépouillement. Alors que notre attente doit se porter sur ce qui est victorieux de la pauvreté comme de la mort : l’amour. L’amour de Dieu est victorieux de la mort.
Laisserons-nous à notre table
Un peu d’espace à l’étranger
Trouvera-t-il quand il viendra
Un peu de pain et d’amitié ?
Ne laissons pas mourir la terre
Ne laissons pas mourir le feu
Tendons nos mains vers la lumière
Pour accueillir le don de Dieu.
Laisserons-nous à nos paroles
Un peu de temps à l’étranger
Trouvera-t-il quand il viendra
Un cœur ouvert pour l’écouter ?
Laisserons-nous à nos églises
Un peu d’espace à l’étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra
Des cœurs de pauvres et d’affamés ?
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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