Un petit groupe était entré visiter la Chapelle Notre-Dame de Compassion, enfants et adultes, hommes et femmes. Une enfant de dix douze ans tenait son visage blotti contre une des femmes en gémissant : ‘je ne veux pas voir !’. ‘Qu’est-ce qui te fait peur ?’ ai-je demandé. ‘De ça’, a dit la femme me montrant Jésus sur la croix que je porte autour du cou. ‘Je vais te raconter une histoire’, ai-je proposé à l’enfant. ‘Le peuple d’Israël avait été attaqué dans le désert par des serpents brûlants, à la morsure de feu. Dieu dit à Moïse de fabriquer un serpent en métal de bronze, de le hisser en haut d’un mât et ceux qui regardaient étaient guéris. Quand nous regardons Jésus sur la croix, nous ne regardons pas la souffrance et le supplice d’un homme : nous regardons son amour pour nous. Toi, quand tu es fâchée et en colère, contemple dans la tendresse de ta maman tout ce qu’elle fait pour toi’ …
Je vous fais grâce du reste de cette catéchèse dont l’effet sur l’enfant m’a étonné moi-même. De là à dire qu’elle a été réconciliée avec la Croix … d’autant qu’il est probable qu’elle n’était pas baptisée. C’est le 14 septembre que nous fêtons la Croix glorieuse et nous avons en 1ère lecture à la messe l’histoire des serpents brûlants en vis-à-vis du même évangile qu’aujourd’hui.
Que représente pour nous le serpent ? Le diable.
D’autres traditions en ont fait une déesse mère, symbole de régénération, de par sa capacité à muer, du renouvellement de sa peau. Dans la tradition biblique, il est une créature maléfique, celui par qui la mort est entrée dans le monde. Le livre de la Genèse ne dit rien de la création des anges et du monde invisible jusqu’à l’arrivée du diable sous la forme du serpent. Le qualificatif qui lui est octroyé, ‘rusé’ ne lui est pas spécifique : « Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits ». Tout ange qu’il soit, il est une créature. Ruser vient du latin recusare, refuser, rejeter. L’adjectif est synonyme de retors, au contraire de ce qui est droit, et on le comprend du serpent qui avance ainsi, par ondulations. Il est celui qui n’avance pas de façon droite. Il est une instance souterraine, de ce qui est caché, qui fait peur, surprend et parfois dangereux, venimeux.
D’où lui vient sa connotation sexuelle ?
De ce qu’il est trompeur. A Dieu qui lui demande : « Qu’as-tu fait là ? », la femme répond : « Le serpent m’a trompée et j’ai mangé » (Gn 3, 13). Le serpent est trompeur, la sexualité aussi, qui ne tient pas toujours ses promesses, source de beaucoup d’illusions. On peut se demander si la malédiction que le Seigneur adresse au serpent ne concerne pas la sexualité qui, de source de plaisir et de vie, est devenue un des plus vieux métiers du monde, un des business les plus lucratifs, et plus grave, source de tromperies plus que de déceptions.
Les relations sexuelles en général, quelles que soient les formes qu’elles peuvent prendre, sont frappées au sceau de la convoitise et de la domination à cause du Diable. On ne comprend pas la part de convoitise et de domination qui entre dans les relations humaines si on met de côté cette hostilité première. Belle leçon pour ceux qui disent : ‘Je n’ai pas d’ennemis’. Le diable est-il leur ami ? Quand Jésus dit ‘Aimez vos ennemis’, il ne dit rien d’autre que ce qu’il fait dès le début de sa vie publique : il exorcise et chasse les démons. Aimer ses ennemis signifie discerner et dénoncer en eux le pouvoir de Satan.
Pourquoi les crimes sexuels ont-ils frappé pareillement l’Eglise sous une forme peut-être jamais connue dans l’Histoire ? On a connu dans le passé de terribles dépravations du Clergé, il suffit de lire les Dialogues de sainte Catherine de Sienne. Jamais peut-être à ce niveau d’inconscience. Cela s’est produit à partir du moment où on a négligé dès le rituel du baptême le combat spirituel à mener. Elle était magnifique cette prière d’exorcisme qui demandait à Dieu pour l’enfant qu’on baptisait : « écartez de lui tout aveuglement du cœur ; brisez tous les liens par lesquels Satan le tenait attaché. Ouvrez-lui la porte, Seigneur, dans votre miséricorde : qu’imprégné du sel, symbole de votre sagesse, il ne soit pas atteint par l’infection des passions mauvaises, mais qu’au parfum de vos enseignements, il vous serve avec joie dans votre Eglise, et qu’il progresse de jour en jour. Par le Christ Notre-Seigneur ».
C’est avec une bonne intention que l’Eglise a choisi de donner le sacrement de Confirmation au moment de la puberté. Encore faut-il avoir expliqué aux adolescents le danger, la menace que représentent pulsions et passions. « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible » (Mc 14, 38).
La religion chrétienne est une religion du corps, de l’incarnation, où Dieu se fait homme, et une religion de la résurrection, scellant l’unité de l’âme et du corps. La religion chrétienne est une religion de l’amour et la double lumière de Noël et de Pâques éclaire le mystère de la Trinité sainte, l’amour du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ces trois révélations de l’incarnation, de la résurrection et de la grâce, régissent l’usage de notre sexualité, au regard de ce qui nous rapproche de Dieu, qui nous fait imiter Dieu, et qui bénéficie du secours de Dieu.
Comment fait-on pour résister aux tentations, pour préférer, suivant les termes de l’évangile, la lumière aux ténèbres ? C’est une question d’intelligence, de volonté et de mémoire. Souviens-toi est la leçon du serpent de bronze. Souviens-toi que chaque fois que tu as voulu satisfaire un désir, tu n’as pas forcément été déçu mais tu n’as jamais atteint la plénitude que tu espérais. Jamais longtemps. Oui, il est possible et il est merveilleux que les œuvres de la chair soient « accomplies en union avec Dieu » : c’est la grandeur du mariage et de l’union des époux. Mais « soyez vigilants, veillez : votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui avec la force de la foi, car vous savez que tous vos frères, de par le monde, sont en butte aux mêmes souffrances » (1 P 5, 8-9), et aux mêmes tentations qui sont d’abord la tentation du mensonge : « Seigneur, tu sais que cet enfant, comme chacun de nous, sera tenté par les mensonges de ce monde et devra résister à Satan. Nous t’en prions humblement : par la Passion de ton Fils et sa Résurrection, arrache-le au pouvoir des ténèbres ; donne-lui la force du Christ, et garde-le tout au long de sa vie ».
Comment sait-on que le Diable s’est introduit dans des relations sexuelles ?
Il faut apprendre à reconnaître les traits du démon. Nous connaissons les armes pour le combattre : la prière, le jeûne et le partage. Mais comment reconnaître les attaques ? Il y a trois traits du démon, que sont le mensonge, la transgression et ne penser qu’à soi.
Le premier est le plus évident : le mensonge. Dans une relation affective, dès lors qu’y entre la faille du mensonge, le diable est présent qui fera tout pour inciter la personne à utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins, assouvir ses désirs, préférer l’instant et la créature à la vie dans l’Esprit. En matière de sexualité, la question n’est pas : est-ce que c’est bien ? La question ne porte pas sur l’acte mais sur la relation : est-ce que cette relation est vraie ?
Il ne suffit pas qu’elle soit sincère, ce qui est déjà bien : encore faut-il qu’elle soit vraie. Cœur double, lèvres menteuses.
Le deuxième trait, symptomatique, est la transgression, avec ce sentiment de toute-puissance, cette impression de liberté que donne le fait de se placer au-dessus des lois, comme le serpent se croyait ‘le plus rusé’ (il ne l’était pas), et ne vous y trompez pas : ce n’est pas en changeant les lois qu’on évite la transgression.
Enfin, il ne suffit pas qu’il y ait mensonge et transgression : il faut que le profit soit exclusif et égoïste, avec cet argument caractéristique que ‘ça ne gêne personne’. Qui signifie en fait : ‘ça ne profite qu’à moi’. Celui qui vous dit ça, vous pouvez être sûr qu’il a fait le choix des ténèbres. ‘Pense plutôt à toi’, dit le démon.
Combattre le mensonge par la prière : ‘adorer en esprit et en vérité’ dit Jésus.
Renoncer à la transgression par le jeûne, pour se remettre humblement à l’intérieur des limites de la Loi.
Faire la lumière sur nos motivations, retrouver au fond de soi le désir le plus profond de notre cœur : une pureté d’intention.
Vous en voyez, j’espère, la dimension trinitaire : la vérité que l’on doit au Père, l’obéissance exemplaire du Fils, et le saint Esprit de Charité, de partage et d’unité. Ce point est très important pour hommes et femmes de tous temps : du lien à la très sainte Trinité, dépend la capacité à concilier sexualité et pureté d’intention.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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