La fête de la Toussaint est une fête populaire, d’autant plus populaire que le jour est férié et on ne travaille pas : comme au Paradis ? (vous avez remarqué qu’on ne dit jamais d’un effort que ‘c’est divin’ ? et c’est ce que promettent les Béatitudes : le repos et le réconfort éternel, consolés, rassasiés, rassurés, rassemblés). Peut-être mais cela ne suffit pas : l’Ascension n’est pas une fête populaire.
La fête de la Toussaint est une fête populaire parce qu’on la confond avec le souvenir de nos défunts (qui est le lendemain) ? Oui mais ce n’est pas grave : c’est la même Espérance. Lorsque j’entends, lors d’obsèques, des proches espérer du défunt qu’il veillera sur eux, je me dis qu’ils ont compris ce que sont les Saints : ils intercèdent pour nous. Nous le chanterons dans la litanie des saints : priez pour nous !
La fête de la Toussaint est une fête populaire parce que chacun peut se retrouver dans la diversité des Saintes et des Saints, trouver une Sainte ou un Saint à qui s’identifier. Je me souviens d’une femme qui m’expliquait qu’elle ressemblait à sainte Thérèse de Lisieux, qu’elle avait la même sensibilité. Ah non, n’avais-je pu m’empêcher de réagir car l’executive woman qui était en face de moi n’avait rien à voir avec la petite Thérèse ni avec Jeanne d’Arc en laquelle Thérèse aimait se déguiser. A quelle Sainte aurais-je pu la comparer ? C’est un bon jeu que je vous propose si vous passez la Toussaint en famille ou entre amis : chacun doit dire à l’autre à quel saint ou à quelle sainte il ou elle lui fait penser, et pourquoi.
Comment ça, vous n’en connaissez pas assez ?
Le mois dernier, j’étais à un dîner un peu parisien, seul Catholique, quand le sujet est arrivé sur sainte Rita dont je leur ai brièvement raconté la vie, passionnante, dans les grandes lignes. Stupéfaction des convives qui se mirent à me presser tour à tour avec leur prénom pour que je leur dise quelques mots de leur saint patron, avec la même naïveté qu’ils m’auraient demandé de leur faire leur signe astrologique.
La fête de la Toussaint est une fête populaire et il convient que sa célébration soit à sa mesure, pas trop austère ni froide, ce qui serait contraire au tableau que nous avons entendu en 1ère lecture, de cette foule de saints en vêtements blancs qui chantent avec allégresse ! On pourrait d’ailleurs tous être en aube, avec des palmes à la main comme au dimanche des Rameaux, pour acclamer le Christ non pas qui marche vers sa Passion mais le Christ en Gloire entouré du cortège immense de ceux qui ressusciteront avec lui, conformément à la 2ème prière eucharistique : « puisqu’ils ont été baptisés dans la mort de ton Fils, accorde-leur d’avoir part à sa Résurrection ».
Ce que je n’aime pas dans l’Eglise, me disait une femme que j’accompagnais dans sa maladie, ce que je n’aime pas, me disait-elle, c’est l’institution et le décorum. L’institution et le décorum, c’est tout un car le décorum, au sens propre, est un cérémonial institué, un ensemble de règles protocolaires, une liturgie. Le mot décorum est synonyme de convenance et de bienséance, il est de la même famille que décence. Il est le formellement correct, et le dictionnaire déconseille l’emploi péjoratif que nous faisons au sens de ‘apparence pompeuse’.
C’est le reproche adressé à nos célébrations de verser dans ‘l’apparence pompeuse’, la pompe au singulier. Au pluriel les pompes sont, en tout cas dans la langue religieuse, les faux plaisirs, les vanités de ce monde : Satan et ses pompes.
Nous utilisons toujours l’expression, et je vous recommande l’acte de renouvellement des vœux du baptême, qu’il est bon dire tous les jours à quelque heure et en quelque lieu que ce soit : « Moi (prénom), je renouvelle les vœux de mon baptême et je renonce à Satan, ses œuvres et ses pompes, et je me donne à vous, ô mon Dieu, pour vous servir toute ma vie par la foi, l’espérance et la charité, et par une parfaite obéissance à tous vos commandements ».
Vous avez là les cinq composantes de la sainteté : la grâce du baptême, le renoncement au mal, le service de Dieu, la prière quotidienne, les actes de charité.
Vous voulez savoir ce qu’est un Saint ou une Sainte ? Une personne baptisée (unie au Christ par son baptême), qui n’a cessé toute sa vie, jusqu’à la fin, de résister aux tentations, pour se donner à Dieu et à aux autres, dans la prière et la charité.
Revenons à la pompe pour voir ce qui confère à nos célébrations une ‘apparence pompeuse’. Comment faire pour tenir une juste solennité ? Comment faire pour que la liturgie, le décorum soit un écrin et pas un écran.
La forme de nos célébrations peut être un écran : elle est effectivement un obstacle pour nos contemporains, par manque de pratique, à cause d’une insuffisante connaissance des rites, mais pas seulement. Elle peut être aussi pour les croyants un écran à leur vie intérieure, un obstacle à leur relation personnelle avec Dieu, et c’est logique s’agissant d’une prière collective, d’une assemblée. C’est ici que l’évangile des Béatitudes prend toute son importance qui donne la condition pour que la liturgie soit un écrin, un ostensoir pour nos prières : ce critère est l’unité des cœurs.
Chacune des Béatitudes dit l’effort que nous devons faire pour que les motifs de division ne viennent pas disperser nos assemblées : nous devons unir notre prière personnelle à celle du Christ Jésus. Nous l’entendrons dimanche prochain dans la Lettre aux Hébreux : « il est le grand prêtre qu’il nous fallait », le seul capable d’unir notre prière.
C’est lui que les Saints et les Saintes ont reconnu comme le modèle à suivre auprès des pauvres, pauvre lui-même, des affligés qu’il a consolés, lui doux et humble de cœur, lui le seul Juste, révélateur du Père de toute miséricorde, lui le cœur pur, venu faire la paix par le sang de sa Croix.
Chaque fois que votre imagination, vos soucis, vos tentations font écran à votre prière, posez cet acte de foi pour rester unis au Christ, dire du fond du cœur : Saint, saint, saint le Seigneur.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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