Deux phrases au choix ouvrent chaque jour la prière de l’Eglise pendant le Carême (deux phrases qui tiennent lieu d’antienne d’ouverture). La première est : « Les yeux fixés sur Jésus-Christ, entrons dans le combat de Dieu », dont nous aurons dimanche prochain une parfaite illustration avec les tentations au désert.
L’autre est extraite d’un psaume : « Aujourd’hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur ». Ce psaume 94 est un psaume ‘invitatoire’, qui invite à la prière : « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ».
Ils avaient quoi ? Ils avaient vu la libération d’Egypte, la façon dont le Seigneur les avait libérés de l’esclavage, et ils avaient été prompts à oublier, prompts à l’ingratitude.
Le psaume 94 fait l’objet d’un commentaire à l’intérieur même de la Bible, dans la Lettre aux Hébreux, qui donne l’esprit du Carême qui commence ‘aujourd’hui’ : « Frères, prenez garde que personne d’entre vous n’ait un cœur mauvais, assez incrédule pour se séparer du Dieu vivant. Au contraire, encouragez-vous mutuellement chaque jour, tant que vaut cet aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse par la séduction du péché » (cf. He 3, 12-13).
L’endurcissement du cœur vient de la séduction du péché autant que du manque de foi, d’une foi trop faible. Certains se demandent parfois en quoi ils seraient ‘pécheurs’, en quoi consisterait leur péché ? Nous sommes pécheurs chaque fois que nous restons fermés à la Parole de Dieu comme aux appels de nos frères, et c’est pourquoi l’aumône est en première place dans l’évangile de ce Mercredi des Cendres. Evidemment c’est un symbole et les demandes auxquelles nous avons à répondre vont bien au-delà d’une petite pièce.
L’assouplissement du cœur, l’ouverture du cœur passe par la prière, qui suppose elle-même une discipline de vie pour échapper à la tyrannie de nos désirs. Mais je voudrais m’arrêter avec vous sur le Maintenant dont parlent les deux lectures de ce jour : « Maintenant, dit la 1ère lecture, – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! », tandis que la 2ème lecture conclut : « C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut » (2 Co 6, 2).
Au contraire du maintenant de nos désirs, se trouve le maintenant de Dieu, qui a ceci de particulier que c’est maintenant ou jamais. Tandis que nos désirs se rappellent toujours à notre bon plaisir.
Le maintenant de Dieu, c’est maintenant ou jamais.
La formule a été développée par le Pape François dans un commentaire qu’il a donné de la Lettre aux Hébreux, lors d’une homélie de semaine au début du mois de janvier.
Il mettait en garde contre « la tentation du demain qui ne sera pas ». Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez sa Parole : cet aujourd’hui est notre vie, parce que l’aujourd’hui ne se répète pas.
Indépendamment de nos tempéraments et de notre propension à procrastiner, à remettre à demain, à repousser à plus tard, il en va du sens de la vie.
On ne se baigne pas deux fois dans la même rivière, disait Héraclite, un des plus anciens philosophes de l’antiquité, pour signifier la réalité du cours du temps : ce que nous ne faisons pas aujourd’hui, ce que nous ne vivons pas maintenant – nous ne le vivrons jamais.
C’est maintenant ou jamais.
« Je ne dis pas cela pour vous faire peur, disait le Pape, mais simplement pour dire que notre vie est un aujourd’hui : aujourd’hui ou jamais ». Il rappelait la parabole des dix vierges, le drame des cinq insouciantes qui arrivent trop tard au banquet.
Ce Carême invite à un examen de conscience : « Comment est-ce que je vis cet aujourd’hui ? ».
Il y a beaucoup de choses que nous avons remises à plus tard. Que ce soit à l’égard des autres : des aides matérielles, financières, mais aussi des gestes très simples comme des visites à des proches, malades ou isolés, abandonnés de tous. C’est maintenant le jour favorable, c’est maintenant ou jamais.
Tant de choses que nous avons remises à plus tard dans le domaine de la foi, de la prière et des sacrements : combien de temps depuis la dernière confession ? Je pense à ceux qui ne sont pas confirmés. C’est maintenant le jour favorable, c’est maintenant ou jamais.
Tant de corrections à apporter dans notre vie, tant de ‘jeûnes’ indispensables à la santé de l’âme et du corps, à l’égard de la télévision, d’internet, des distractions, de la nourriture ou de la boisson. C’est maintenant le jour favorable, c’est maintenant ou jamais.
Et si nous ne le faisons pas, est-ce que Dieu nous en voudra ?
La caractéristique du Carême est de proclamer la miséricorde de Dieu, sa compassion pour chacun de ses enfants : « il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment » dit le prophète Joël. « Le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple ».
Notre Dieu est un Dieu indulgent. Comme un père plein de bonté et de tendresse pour ses enfants. Quelle tristesse si notre réponse était celle d’enfants négligents. Ne soyons pas négligents avec les gens indulgents. Au contraire, résistons à la pression du monde, aux exigences de conformité avec l’esprit du temps, pour courir comme des enfants bien-aimés vers les bras du Père.
Quand Jésus dit qu’il faut que nous soyons comme des enfants pour entrer dans le Royaume de Dieu, il parle évidemment des enfants qui s’arrêtent de jouer quand maman ou papa les appelle, qui laissent tout pour y aller, le cœur battant. Voilà l’esprit du Carême.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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