A une femme qui avait des difficultés avec la mère de son mari, sa belle-mère, quoi de plus banal, j’ai demandé : Pourquoi est-ce que nous vénérons la Vierge Marie ? Elle m’a répondu avec la phrase de l’évangile de ce jour : Marie gardait tout cela dans son cœur. Non. Elle a énuméré diverses qualités de Marie – Non. Nous ne vénérons pas en elle une femme vertueuse. Pourquoi est-ce que nous vénérons la Vierge Marie ? Réponse : parce qu’elle est la Mère du Sauveur. Voilà l’unique raison spécifiquement catholique de vénérer Marie : son Fils. N’oubliez jamais, ai-je dit à cette femme, que votre belle-mère est la mère de votre mari. Si vous aimez votre mari, et c’était le cas, cela suffit. Le reste est de la morale. Nécessaire mais secondaire.
Une mère porte un triple regard sur son enfant. Elle le regarde avec un amour, une tendresse et une indulgence infinie. C’est sa mission principale, la mission première des parents : donner confiance en leur enfant. D’où vient la plus grande part de la confiance en soi ? De l’amour reçu. Et quand on n’a pas été aimé comme il fallait petit, c’est parfois difficile à rattraper.
Le premier regard maternel est plein de dévotion. Le deuxième regard voit la façon dont son enfant regarde le monde, la vie, les autres. C’est le mystère de la petite enfance : que voit-il ? Que pense-t-il ? De quoi a-t-il besoin, que lui manque-t-il, comment le satisfaire ?
Et puis assez vite, au sein de la famille, à l’égard des frères et sœurs, plus largement de tous ceux qui passent, la mère voit la façon dont son enfant regarde les autres : s’il est jaloux ou généreux, envieux ou bienveillant. Quelle joie pour une maman quand son enfant est attentif aux autres, et particulièrement aux plus pauvres. Quelle fierté lorsqu’il choisit de donner à un mendiant la pièce avec laquelle il allait acheter des bonbons.
Pour Marie, ce fut une joie incomparable de voir de quelle façon son fils Jésus regardait les autres : son regard de bonté, de patience, de bienveillance. Il sera grand, il sera appelé fils du Très-Haut, qui fait briller le soleil sur les bons comme sur les méchants.
Enfin, et c’est le troisième regard, elle voit la réciproque : la façon dont les autres voient son enfant. Marie a vu la façon dont les autres ont regardé Jésus. Elle avait été prévenue que ce serait une grande souffrance, et cela l’a été, qui s’est manifestée d’emblée, il n’y avait déjà pas de place pour eux dans la salle commune, et puis, nous le rappellerons de façon terrible dimanche prochain, quand le roi Hérode a voulu le faire périr.
Ces trois regards, nous les vivons entre nous. Le premier est source de joie, regard d’amour et de tendresse qui est le regard de Dieu sur chacun de nous : Dieu pose sur nous un regard attendri autant maternel que paternel.
L’inquiétude vient de la façon dont l’être aimé réagit et regarde le monde. Pensez à ceux que vous aimez: pensez à votre tristesse quand ils sont jaloux, quand ils critiquent, qu’ils voient uniquement le mauvais côté des choses. Vous leur dites : ne fais pas attention, laisse.
Et puis il y a le pire : quand les autres n’aiment pas ceux que vous aimez. Le pire pour une maman est d’entendre du mal, des critiques sur son enfant.
La Vierge Marie nous fait comprendre le regard de Dieu sur nous. Dieu nous regarde avec une tendresse infinie parce qu’il nous a donné la vie : ‘tu es mon enfant’. Dieu est le père de tous et il voit de quelle façon nous nous comportons et nous nous considérons entre nous : il se désole de nos jalousies, de nos manques d’amour. Il se désole chaque fois que qui que ce soit nous manque de respect. C’est à moi que vous l’avez fait.
La maman de Marie s’appelait Anne : c’est le nom de la mère du prophète Samuel. C’était la 1ère lecture, dimanche, de la sainte Famille. Son cantique d’action de grâce a servi de modèle au Magnificat de la Vierge Marie. Anne était malheureuse et pleurait parce qu’elle n’avait pas d’enfant et que la deuxième épouse de son mari Elcana se moquait d’elle. Double peine. Comme pour Elisabeth, la mère de Jean-Baptiste : elle n’avait pas d’enfant et on l’appelait la stérile. Comme s’il ne suffisait pas qu’elle souffre, il fallait que les autres en rajoutent une couche. Elcana, le mari d’Anne, a une réaction magnifique : « Anne, pourquoi pleures-tu et ne manges-tu pas ? Pourquoi es-tu malheureuse ? Est-ce que je ne vaux pas pour toi mieux que dix fils ? » (1 S 1, 8). Est-ce que mon amour pour toi ne suffit pas ? C’est la question que Dieu me pose chaque fois que je suis en pétard … Eh bien non, cela ne suffit pas et Dieu le sait. Et la prière de Anne fut exaucée. Dieu sait que nous avons besoin de l’amour des autres, de regards bienveillants, qu’ils sont une condition de la paix.
Quand l’Ange annonça à Marie qu’elle serait la mère du Seigneur, parmi les pensées qui l’ont bouleversée, il y a eu l’impact social de cette mission. Marie s’est demandé ce que les gens allaient penser. A commencer par Joseph ! Ce n’est pas un péché de se demander quelle image vont avoir nos actes et nos choix sur les autres : cela fait partie de notre responsabilité, du sens social de chacun. Ce n’est pas manquer de liberté que d’anticiper le regard d’autrui : la liberté est une absence de liens qui entravent. Maître tu ne te laisses influencer par personne mais tu sais très bien ce que les gens pensent.
Nous sommes des êtres de relation, et Dieu nous voit dans nos relations les uns avec les autres. Il nous voit et il nous aime tels que nous sommes ; il voit comment nous regardons les autres, et tantôt il s’en réjouit tantôt il s’en désole. Et il voit comment nous sommes traités. Il savait comment son Fils allait être accueilli, et pourtant, en plein accord avec lui, dans la communion absolue de la sainte Trinité, Dieu s’est fait l’un de nous pour nous apprendre à vivre en paix.
Marie a pensé tout de suite à l’effet que ça ferait. Sinon son choix n’aurait pas été libre, son accord n’aurait pas été donné en connaissance de cause. Un des livres qui m’a le plus appris sur la Vierge Marie est ‘Marie la vivante’ de Pierre Claverie, béatifié le 8 décembre avec les autres martyrs d‘Algérie. C’est dans son livre sur saint Paul (‘Un amour plus fort que la mort. Sur les pas de saint Paul’) que j’ai trouvé la clé (p. 79) : « La croix est l’abandon total de toute prétention. (Sur la croix) Jésus ne prétend plus ni être roi ni être prêtre ni être prophète ». La croix est l’abandon total de toute prétention. C’est la réalité de l’amour, quand le regard de la personne qui vous aime est plus important que le regard des autres. C’est le principe de la conversion, vécue par saint Paul dans sa rencontre de Jésus ; il était jusqu’alors trop attentif à l’image extérieure, à être réglo, nickel, un bon pratiquant. Il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas en être satisfait. Jamais assez.
Marie a choisi. Son consentement à Dieu est l’abandon total de toute prétention. Il s’est penché sur son humble servante, désormais tous les âges me diront bienheureuse. Ton amour me suffit.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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