La phrase la plus insupportable du Nouveau Testament s’y trouve à deux reprises, pas dans l’évangile que nous venons d’entendre. Elle se trouve dans la Lettre de saint Paul aux Ephésiens : Femmes soyez soumises à votre mari. Répétée dans la Lettre aux Colossiens, dans le passage que nous avions le 29 décembre dernier pour la fête de la sainte Famille. La 1ère lectrice que j’avais sollicitée m’a dit qu’elle préférait du coup lire la 1ère lecture, du Livre de la Sagesse, pour ne pas avoir à dire ça. La 2ème, qui lit très bien, une femme de théâtre, a buté sur cette phrase comme si cela lui écorchait la bouche. Ma sœur m’a dit que chez elle, dans sa paroisse, elle avait changé le texte pour l’atténuer, passant au pluriel vous les femmes soyez soumises à vos maris. J’ai essayé de lui expliquer que le texte donne une réciproque forte : hommes aimez votre femme comme le Christ a aimé l’Eglise, jusqu’à la mort, elle m’a répondu qu’elle me croirait le jour où on emploiera le même terme pour les hommes : maris, soyez soumis à votre femme. Et là, c’est une des correctrices de mes homélies (je les fais corriger avant de vous les donner) qui a protesté : ce serait comme de dire que le Christ est soumis à l’Eglise ! C’est une comparaison que fait saint Paul, dans le contexte et la culture de son temps. En tout cas, ce n’est pas un commandement.
Le langage de la soumission est insupportable, quand on n’est plus des enfants : Jésus était soumis à ses parents quand il avait douze ans. Jésus était soumis à la Loi, sujet de la Loi, assujetti à la Loi (Gal 4, 4), avec la liberté que l’on sait : le Fils de l’homme n’est-il pas maître du sabbat ? La plupart des baptisés aujourd’hui ne suivent qu’une partie de son exemple, qui ne se sentent guère assujettis à l’obligation dominicale. Nous ne pouvons pas vivre uniquement de contraintes, de règlements et d’interdits : « Fais pas ci, fais pas ça. Viens ici, mets-toi là. Attention, prends pas froid. Réponds quand on t’appelle. Sois poli dis merci. C’est l’heure d’aller au lit. Fais pas ci fais pas ça ».
Et pourtant, qui osera rappeler que la plus grande part du malheur humain, de la violence des hommes vient de la désobéissance aux lois ? Voyez sur la route. Le premier degré de l’amour du prochain, c’est le respect de la Loi. Si nous appliquions le Décalogue, à la Lettre et dans l’Esprit, nous serions au Paradis.
C’est ce que dit le Christ. Pas un iota, pas un seul petit trait de la Loi ne disparaîtra. Mais de quelle Loi parle-t-il ? De quelle Loi s’agit-il ?
Dans l’Ancien Testament, Dieu s’exaspère : est-ce moi qui vous ai demandé tous ces sacrifices, ces rituels, ces oblations ? Je les ai permis pour assouplir votre cœur. Ils ne sont pas une fin en soi : c’est la miséricorde que je veux dit le Seigneur et non les sacrifices. Il dit même, au moment où il rejette le 1er roi d’Israël, le roi Saül : c’est l’obéissance que je veux et non les sacrifices. Et dans le livre du prophète Osée : « C’est la fidélité que je veux, non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Os 6, 6). L’amour, l’obéissance, la fidélité.
Le rejet du roi Saül mérite qu’on le rappelle. Le Seigneur lui avait donné victoire sur ses ennemis, avec pour ordre de tous les passer, hommes et bêtes, au fil de l’épée. Le peuple crut bien faire en prenant le meilleur du bétail, avec l’accord du roi, pour l’offrir en holocauste. Le prophète Samuel interpelle le roi Saül : « Pourquoi n’as-tu pas obéi à la voix du Seigneur ? Pourquoi as-tu fait ce qui est mal aux yeux du Seigneur ? » (1 S 15, 19). La réponse de Saül est pitoyable : il ne s’excuse pas, il n’assume pas, il se contente de dire que c’est le peuple qui a fait ça. Samuel répliqua : « Le Seigneur aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à sa parole ? Oui, l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1 S 15, 22).
Je voudrais vous livrer trois réflexions sur l’amour de la Loi, qui est le fil conducteur du psaume de ce dimanche, le Psaume 118, le plus long du Psautier : nous en avons huit versets sur les 176 du total. Si vous voulez apprendre des psaumes par cœur, ne commencez pas par celui-là. Prenez le 116, qui n’a que deux versets : Louez le Seigneur, tous les peuples ; fêtez-le, tous les pays ! Son amour envers nous s’est montré le plus fort ; éternelle est la fidélité du Seigneur !
Ou bien retenez du Psaume 118 cette seule exclamation : J’aime ta loi, Seigneur ! Le Psaume le dit 5 fois ! J’aime ta loi. J’aime ta loi. J’aime ta loi. J’aime ta loi. Il le dit même plus que ça, car sa particularité est qu’à chacun des 176 versets se trouve un mot pour désigner la Loi : commandements, décisions, exigences, ordres, paroles, préceptes, promesses, volontés – à chaque fois associé à la recherche du bonheur. J’aime ta Loi Seigneur, tes commandements, tes paroles, tes volontés, parce qu’elles ne sont pas faites pour restreindre ma liberté mais pour m’empêcher de me perdre.
Trois réflexions pour vous interroger sur votre rapport à la Loi.
En commençant par le souvenir de votre enfance et la perception que vous gardez de l’ordre et de l’autorité. J’ai tendance à penser qu’il est plus facile de s’entendre à enfance égale : une personne qui a eu une enfance malheureuse aura plus de mal à s’entendre avec une personne qui a eu une enfance heureuse. Son rapport à l’autorité et à la Loi s’en trouve déformé, quand il manque l’essentiel : la confiance. Il est très difficile quand on a souffert enfant de rudesse et de manque d’amour de ses parents d’avoir confiance en l’autorité. C’est la première condition d’accueil de la Loi, un a priori favorable, une confiance en son utilité.
La deuxième condition pour aimer la Loi de Dieu, qui est divine, intemporelle et pour le Bien, une loi d’amour comme Jésus le montre dans l’évangile, est ce que nous appelons la fidélité. Tant de psaumes insistent sur la méditation de la Loi du Seigneur ‘jour et nuit’. La Loi du Seigneur n’est pas la messe le dimanche. La Loi du Seigneur est pour tous les jours de notre vie. Si la Loi ne concerne qu’une circonstance particulière ou un aspect de notre vie, ce n’est pas la Loi du Seigneur. En tout cas pas son Esprit.
Enfin, la 3ème condition pour aimer la Loi du Seigneur est la conviction que la fidélité porte du fruit. La confiance, la fidélité et le fruit. Un des versets de ce dimanche le mentionne pour soi : « Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ; à les garder, j’aurai ma récompense » c’est-à-dire le bonheur.
Se conformer à la Loi de Dieu est le chemin du bonheur et rend heureux. Tous les commandements du Seigneur doivent être entendus et reçus en fonction de cet unique critère : le bonheur. Non pas à titre individuel et précaire, mon bonheur, mais le bonheur de vivre en paix ensemble comme des frères. « Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête – On dirait la rosée de l’Hermon, qui descend sur les collines de Sion. C’est là que le Seigneur envoie la bénédiction, la vie pour toujours » (Ps 132).
Posez-vous la question : est-ce que vous aimez la Loi du Seigneur ?
Psaume 118 (119), 1-2, 4-5, 17-18, 33-34
Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la loi du Seigneur !
Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout cœur !
Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
Puissent mes voies s’affermir
à observer tes commandements !
Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j’observerai ta parole.
Ouvre mes yeux,
que je contemple les merveilles de ta loi.
Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;
à les garder, j’aurai ma récompense.
Montre-moi comment garder ta loi,
que je l’observe de tout cœur.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
Vous avez la possibilité de recevoir les homélies du Père Lancrey-Javal en remplissant ce formulaire