Comment faut-il situer l’amour de sa famille entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain ?
L’amour de sa famille est-il un sous-ensemble, si je peux m’exprimer ainsi, de l’amour de soi, en l’occurrence des siens, ou bien relève-t-il de l’amour du prochain, puisqu’il s’agit de nos proches ?
Dans l’Ancien Testament, l’amour de sa famille, au sens large des liens du sang, occupe une place prépondérante, dont Moïse est le meilleur exemple : alors qu’il bénéficie de tous les privilèges des Egyptiens à la cour de Pharaon, il choisit de tout abandonner pour la cause de ses frères de sang. Il devient d’ailleurs leur guide et leur chef, entouré de son frère Aaron et de sa sœur Myriam.
Cette préférence familiale, communautaire, sur le reste de la société semble confirmée par Dieu lui-même puisque le respect des parents, la gratitude et la fidélité envers ceux qui nous ont donné la vie, constitue le 4èmecommandement – Tu honoreras ton père et ta mère – et ouvre, après les trois premiers commandements sur le culte de Dieu, la seconde table de la Loi, relative à l’amour du prochain. Dieu est premier et la famille deuxième, avant la société.
Donner la priorité à Dieu sur sa propre famille est déjà énorme !
Je ne vous demande pas combien d’entre vous ont déjà manqué la messe du dimanche pour un motif familial … Voyez le nombre de jeunes parents qui ne viennent pas à la messe car il leur faut, disent-ils, s’occuper de leurs enfants. Je leur suggère d’appliquer la solution antérieure qui consistait pour le couple à aller successivement à la messe, par exemple l’un le samedi, l’autre le dimanche, pour tenir les deux, honorer Dieu et garder les enfants, mais cela leur paraît hors de portée : ils préfèrent ne pas aller à la messe que de ne pas y aller ensemble. Ils donnent la priorité à leur couple et leur famille sur l’adoration de Dieu.
Dans le Nouveau Testament, l’exigence est encore plus forte, puisque Jésus quitte sa famille et appelle ses disciples à en faire autant, lui pour incarner le pauvre, l’étranger, et même le paria dont il nous demande de nous occuper préférentiellement : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer (littéralement : sans haïr) jusqu’à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » (Lc 14, 25). Jésus, Dieu fait homme, nous invite à le reconnaître dans les plus petits de nos frères, celui qui a faim, qui a soif, qui est nu, malade, étranger, en prison, – qu’il nous demande de faire passer, s’il le faut, avant notre propre famille : « celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10, 37).
Quand Dieu s’est fait l’un de nous, il s’est confié à un charpentier et pas à un docteur de la Loi, pour marquer une fois adulte sa rupture à l’égard du milieu social de sa famille d’origine, et cette liberté était une révolution. Il a appelé ses disciples à quitter eux aussi leur milieu et profession familiale, suscitant de la part de Pierre un grand désarroi : ‘Voici que nous avons tout quitté pour te suivre’. Nous l’entendons comme une spécificité de la vie consacrée alors qu’elle est la règle de la vie chrétienne : attention à votre soumission ou votre modèle familial ! Le modèle chrétien est la sainte Famille, où le père, Joseph, s’efface, où la mère, Marie est la mère des disciples du Christ – Voici ta mère (Jn 19, 26), et où le Fils ne connaît pas d’autre Père que Notre Père des cieux.
J’ai célébré les obsèques du dernier frère d’une fratrie de six ou sept enfants peu importe, tous mariés et parents, décès tragique à l’aube de la quarantaine. Ce fut très difficile parce que ses frères et sœurs voulaient tout prendre en main, sans tenir compte de l’Eglise, ni surtout des souhaits de l’épouse du défunt : elle n’avait pas droit à la parole ! Je leur ai dit : ‘vous êtes un clan’, ce qu’ils n’ont pas bien pris. Ils étaient très fiers de leur cohésion familiale, sauf qu’elle n’était pas très chrétienne.
Une jeune femme que j’accompagnais avait dû se séparer de son mari qui l’avait frappée. C’est un motif de séparation légitime, un cas de porneia(Mt 19, 9), et comme elle devait voir la mère de son mari, soi-disant parfaite chrétienne, je l’avais prévenue : en toute mère, il y a une lionne qui sommeille. Et ça n’a pas manqué : toute chrétienne qu’elle se crût, elle trouvait toutes les excuses à son fils. C’est humain ? Non, c’est l’humain marqué par le péché que le Christ est venu racheter et sauver par son sang : à tous ceux qui se croient tenus par les liens du sang, je rappelle que le Chrétien croit d’abord au sang de Jésus. « Le sang de Jésus nous purifie de tout péché » (1 Jn 1, 7).
Le plus dur dans la vie n’est pas de nous occuper des pauvres ou des étrangers : il est de faire passer Dieu avant notre propre famille. Quand le Verbe est venu dans le monde, alors que le monde était venu par lui à l’existence, le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu (Jn 1, 1. 9-13).
Entre le Christ et votre famille, qui préférez-vous ?
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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