Pourquoi la Vierge Marie est-elle entrée directement dans la Gloire du Ciel, sans passer par le Purgatoire, directement et paisiblement, en s’endormant dans la mort, la Dormition, à tel point que l’Eglise n’a jamais voulu dire si elle avait connu la mort ou si elle avait été enlevée au Ciel comme le prophète Elie, elle pendant son sommeil tandis que Elie avait été enlevé sur un char de feu ?
Parce qu’elle est la Mère du Sauveur ? Non, ce n’est pas une admission sur titres. Ce n’est pas la divinité de son Fils qui lui a donné ce privilège. Ce serait désobligeant pour les mères ou grand-mères dont les enfants ont abandonné la foi, comme si les parents étaient responsables des choix de leurs enfants.
Parce que, pleine de grâce, elle a été préservée du Péché Originel ? Non plus, puisque nous qui en avons été délivrés par notre baptême ne sommes pas assurés pour autant d’aller (directement) au Ciel.
Une paroissienne que j’ai interrogée m’a dit : parce qu’elle est parfaite ? Non, en rigueur de termes, elle n’est pas parfaite : elle est une créature. La perfection est une exclusivité divine. Les créatures ignorent la perfection, et nous devrions y renoncer : l’invitation du Christ à être parfait comme notre Père est parfait est à entendre comme un appel à faire Sa volonté.
Pourquoi la Vierge Marie est-elle entrée directement dans la Gloire du Ciel ? La réponse que je vous propose est qu’elle n’avait rien à purifier, convertir, abandonner, pour le dire simplement : elle n’avait pas les défauts de ses qualités. Elle n’avait pas toutes les qualités ; elle n’était pas parfaite. Mais elle n’avait pas, comme nous, les défauts de ses qualités.
Quand nous recevons une personne qui souffre d’un de ses travers, par exemple une certaine rugosité, un manque d’amabilité, – qui souffre d’être désagréable, ou bien colérique, ou alors radine, – pensez aux défauts que vous n’aimez pas – et que cette personne ajoute, sur un ton de résignation : ‘Ah ! je suis comme ça !’, nous lui demandons : est-ce que vous croyez que vous serez ‘comme ça’ dans la vie éternelle ?
Presque toujours, la personne dit : non. J’espère que non ! – Non, effectivement, vous ne serez pas ‘comme ça’ dans la vie éternelle, parce qu’en réalité vous n’êtes pas ‘comme ça’ : si vous en souffrez, c’est que ça ne fait pas partie de votre identité, ce n’est pas vraiment vous. Nous ne souffrons pas de nos défauts, de nos travers parce qu’ils seraient contraires à la morale, à une norme sociale extérieure : nous en souffrons parce que ce n’est pas nous.
Etre heureux, c’est être ou pouvoir être soi-même. Le premier indicateur de l’amour, d’une relation vraie, harmonieuse est de pouvoir être soi-même, quand on n’a pas besoin de jouer un rôle, de bomber le torse, rouler des mécaniques ou gonfler la poitrine, quand on ne craint pas le regard de l’autre, au contraire : il rassure.
C’est une question que je pose aux fiancés : est-ce que vous pensez qu’il ou elle sera toujours ‘comme ça’, avec ces qualités que vous appréciez, comme vous l’aimez ? Ou est-ce qu’il ou elle est dans une relation de séduction, d’attention un peu forcée, qui risque de ne pas durer ? Quel est le risque qu’il ou elle change ? Est-ce qu’il ou elle sera toujours ‘comme ça’ ?
Quelles sont les qualités de la Vierge Marie ? La douceur. La fermeté. La charité. L’humilité. La beauté, pleine de grâces. La prière, l’intériorité. Je cite quelques réponses collectées auprès de diverses personnes que j’ai interrogées.
Eh bien, elle n’a pas les défauts de ces qualités : elle est douce sans être faible. Elle est ferme sans être rigide. Elle est empressée sans être agitée. Elle est généreuse sans être dépensière. Elle est modeste sans être effacée. Elle est belle sans être apprêtée. Elle est intérieure sans être distraite.
Mes amis, nos défauts ne sont pas des contreparties obligées de nos qualités, à l’image des doigts d’un gant qu’on retourne, vice et vertu, vice et versa. On peut avoir des qualités sans avoir les défauts inverses. La preuve ? Jésus-Christ. Il est l’homme parfait, sans aucun défaut.
Il n’y a pas de symétrie entre le bien et le mal. Nos qualités sont des dons de Dieu, et nos défauts notre incapacité à les déployer sans sa grâce. La Vierge Marie n’avait pas les défauts de ses qualités parce qu’elle n’a cessé de se recevoir de Dieu, d’apprendre de son Fils. Heureuses les mères qui apprennent de leurs enfants ! Heureux les parents qui apprennent de leurs enfants ! Qui apprennent à leur faire confiance, à faire confiance en Dieu qui leur a confié ces enfants.
Marie, la Vierge Marie a changé pendant sa vie. Elle s’est améliorée. Elle a appris de son Fils, en le voyant vivre. Enseigner. Accueillir. Et mourir : elle a appris de ses souffrances. Elle a appris jusqu’où va l’amour de Dieu, sa Miséricorde. Si elle n’avait plus rien eu à apprendre, elle aurait été enlevée au Ciel. Nous changeons dans la vie, sous l’effet des événements, en nous adaptant, et sous l’influence des personnes que nous admirons, nous changeons en bien ou en mal, suivant les personnes qui nous ‘impressionnent’ : nous changeons au contact des autres, par imitation. L’admiration est la condition de notre conversion : à force d’admirer des qualités chez l’autre, de les contempler et de s’en émerveiller, pas de les envier jalousement mais de les admirer, on les développe chez soi. On dit parfois qu’on reproche aux autres ses propres défauts (par exemple l’orgueil des autres suscite souvent le nôtre, l’indulgence est un signe d’humilité) et qu’on admire les qualités qu’on n’a pas. En fait, les qualités qu’on n’a pas encore : il s’agit d’un appel intérieur, d’une invitation profonde à les travailler, en langage chrétien ce sont nos points ou chemins de conversion.
L’Imitation de Jésus-Christ, un grand best-seller de l’Histoire, rappelle que le Christ est le seul homme parfait, sans défaut, le seul homme à ne pas avoir les défauts de ses qualités. Vous avez remarqué les phénomènes de ressemblance au sein des couples ou des familles. Je ne vous parle pas de phénomènes d’osmose où les membres d’un parti finissent par avoir les mêmes mimiques ou intonations que leur dirigeant. Ni de la ressemblance entre un maître et son chien. Je vous parle de l’harmonie vertueuse, qui fait qu’aucune vertu ne nous est étrangère, qui nous révèle notre humanité profonde. Nous avons un modèle parfait, le Christ. Plus vous vous aimerez le Christ, plus vous ressemblerez au Christ, plus vous deviendrez chrétien. Et plus vous vous laisserez guider et éclairer par le Christ –, plus vous grandirez dans l’amour.
Oui nous changeons dans la vie. Nous ne sommes pas prisonniers de notre histoire, de notre éducation et de nos préjugés, de nos blessures, ni de nos regrets : Dieu nous a créés libres, intelligents et pour le bonheur. Oui nous changeons à force de contempler le Christ, d’admirer sa liberté, sa bienveillance, son audace. L’admiration amoureuse est la plus grande source d’énergie et la plus grande force de transformation. Elle suppose de la confiance, de l’attention, de l’écoute. En un mot, de la prière.
On n’est pas forcé de parler, de répondre, encore moins de se justifier : simplement écouter, comme la Vierge Marie qui gardait tout cela dans son cœur, pour laisser l’Esprit continuer en nous ce qu’il a commencé.
Père Christian Lancrey-Javal, curé
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