3ème dimanche du Temps Ordinaire - 23 janvier 2022

Lc 1, 1-4 ; 4, 14-2

 

Dimanche de la Parole de Dieu

Le 23 décembre, à la veille de Noël, une de nos grandes Anciennes, Claudette Péquin s’est endormie dans la mort à 98 ans, à son domicile où elle vivait depuis 1956. Veuve depuis 1964, à 41 ans, elle avait élevé ses trois enfants avec l’aide de ses frères et sœurs et cousins. Son fils aîné a raconté le jour de l’annonce de la mort de son père dans une catastrophe aérienne, le cri déchirant de sa mère. Quand les enfants ont été grands, elle a commencé à voyager, visitant presque tous les pays du monde, avec une curiosité infatigable. Elle ne rapportait aucune photo mais à chaque fois un petit film super huit, qu’elle montait elle-même et leur commentait, ayant et ayant gardé jusqu’à la fin une mémoire exceptionnelle.
En priant pour elle, je me demandais : comment tant de souvenirs peuvent-ils ainsi disparaître ? Quels sont les souvenirs qu’elle a emmenés avec elle dans l’éternité ? D’où vient que nos souvenirs s’en aillent ?

Ce dimanche de la Parole de Dieu nous invite à faire le lien entre les trois facultés supérieures de la personne humaine, l’intelligence, la mémoire et la volonté, – facultés supérieures, c’est ainsi que la Tradition les nomme par différence avec la sensibilité ou l’imagination (sans que celles-ci crient à la discrimination), et saint Augustin y voyait l’image de la Trinité sainte en nous, une sorte de trinité psychologique, – le lien entre ces trois facultés et les trois vertus théologales qui viennent directement de Dieu : la foi, l’espérance et la charité.

La foi est un don de Dieu mais elle a besoin de notre intelligence pour se développer et il est aussi juste de parler d’intelligence de la foi que d’obéissance de la foi.

La charité, le vrai nom de l’amour, est affaire de volonté comme la foi d’intelligence : le Seigneur nous commande de l’aimer et de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, pour que nous le voulions vraiment : aimer ! et n’en restions pas au stade du sentiment ou de la sympathie.

C’est du troisième lien dont je voudrais vous parler : entre la mémoire et l’espérance. Je suis toujours étonné de rencontrer des personnes qui me disent ne pas avoir de souvenirs d’enfance sans qu’ils aient eu de traumatismes particuliers, et je me suis aperçu que souvent ils ne sont pas croyants : ils n’ont pas de mémoire parce qu’ils n’ont pas d’espérance.

En priant pour Claudette, je me demandais avec quels souvenirs elle est arrivée au Ciel devant le Seigneur : elle croyait à cette rencontre, et sa voisine, grâce lui soit rendue, lui amenait la Communion chaque dimanche, jusqu’à la fin.

Sa mémoire à sa mort s’est-elle effacée comme celle d’un ordinateur à l’instant où elle a rendu l’âme ? Ou bien l’âme qui survit à la mort, à la séparation du corps, a-t-elle une mémoire qui lui est propre ?

Je reprends cette définition que l’Eglise donne de l’âme : L’âme est un élément spirituel doué de conscience et de volonté.
« L’Eglise affirme la survivance après la mort d’un élément spirituel qui est doué de conscience et de volonté en sorte que le ‘moi’ humain, subsiste. Pour désigner cet élément, l’Eglise emploie le mot ‘âme’, consacré par l’usage de l’Ecriture et de la Tradition » (Lettre du 17 mai 1979 de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi).

Est-ce que dans cette définition la conscience recouvre l’intelligence et la mémoire, de sorte qu’on pourrait dire que l’âme est un élément spirituel doué d’intelligence, de mémoire et de volonté, si bien que l’entrée de l’âme dans la vie divine est à la mesure de sa foi, son espérance et sa charité ?

Le cardinal François-Xavier Van Thuan, mort en 2002, était archevêque de Saigon en 1975 lors de la victoire des Communistes. Il fut jeté en prison dans des conditions effroyables. Il a raconté la première chose qu’il fit : écrire sur des petits bouts de papier les paroles de l’Evangile dont il se souvenait. Ces Paroles allaient lui permettre de survivre.

Je vois beaucoup de gens tentés de lutter contre la mort, contre leur disparition de ce monde par l’écriture de livres ou la transmission de biens, de maisons chargées d’histoire et d’émotions, et je mets de côté les enfants et la descendance humaine comme moyen de survie. Ma mission pourtant est de vous prévenir que notre entrée dans la vie divine éternelle ne dépendra pas de nos souvenirs mais de la façon dont nous aurons gardé et mis en pratique les Paroles de Dieu.

Garder et mettre en pratique les Paroles du Christ. C’est pourquoi nous venons le dimanche à la messe où cette Parole résonne de façon inégalable, comme chaque fois que nous l’écoutons ensemble, avant de s’incarner dans le Corps et le Sang du Christ, et se réaliser dans notre vie.

Voudriez-vous cette semaine, en souvenir du cardinal Van Thuan, prendre un temps d’arrêt et de prière pour écrire de mémoire, sans Bible sous la main ni cellulaire, cinq ou dix phrases de saint Luc, saint Paul ou saint Jean, de l’Ancien ou du Nouveau Testament, dont vous vous souvenez, que vous avez à l’esprit, qui vous parlent, que vous aimez, et qui vivent en vous. Qui sont ou font la mémoire vivante de notre âme. Il existe une mémoire du corps : il existe aussi une mémoire de l’âme. La mémoire du corps est animale ; la mémoire de l’âme est immortelle.

Vous pourriez choisir ensuite une de ces phrases pour en faire votre ligne de conduite, disons jusqu’à fin février, jusqu’au Carême.

D’où vient que nos souvenirs s’en aillent ou plutôt que nos souvenirs s’en vont ?

C’est nous qui partons vers Dieu, qui nous en retournons à la source de l’amour.

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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