30ème dimanche du temps ordinaire - 27 octobre 2024

Mc 10, 46b-52

 

J’ai vu, en allant sur les sites de paroisses voisines ou amies, comme le font sans doute les cuisiniers d’autres restaurants que le leur, que certains proposent une ‘messe des curieux’, pour attirer probablement de nouveaux paroissiens. Il existe aussi une ‘messe qui prend son temps’ et d’autres concepts encore, nous avons-nous-mêmes ici une ‘messe des bonbons’ (même si c’est extra-liturgique, en dehors du sacré de la liturgie). Mais c’est quand même curieux une messe des curieux.

La curiosité est une notion qui a été très malmenée au point que son contraire, le manque de curiosité n’étonne pas : on en a un exemple dans l’évangile de ce dimanche avec cet aveugle qu’on veut faire taire plutôt que de voir ce que Jésus va faire.

Nous allons fêter la Toussaint dans quelques jours : c’est fou le nombre de personnes qui ne sont pas curieuses de savoir ce qui se passe après la mort ! C’est vraiment curieux.

La curiosité est un mystère. Ne serait-ce que par la réprobation dont elle est frappée, présentée comme ‘un vilain défaut’, alors qu’elle est un des principaux moteurs de l’intelligence, le plus beau désir qui soit, le désir de connaître davantage. Un désir de connaissance et pas de possession, je vous disais d’ailleurs (au 6ème dimanche de Pâques) qu’il caractérise le passage de la mort, où nous aurons à renoncer à ce que nous avons, renoncer à avoir pour connaître, pour découvrir bien plus grand !

Que s’est-il donc passé dans l’histoire pour que la curiosité qui était au départ une valeur positive puisqu’elle désignait un soin, curius, cura, une attention, un intérêt porté à autrui, au monde, à la vie, – soit devenue un défaut, une indiscrétion au sens originel de manque de discernement, et en fin de compte une malice.

Il faut reconnaître la méprise du génie qu’était saint Augustin qui, au chapitre 35 du Livre dixième de ses Confessions, écrit que « celui qui a la foi ne saurait être curieux. Il croit sans voir. Il est à jamais libéré du lourd esclavage des sens. Il est tout entier à la contemplation intérieure des choses spirituelles, invisibles, divines ».

Il y a des phrases malheureuses qui peuvent nous poursuivre des années, à certains gâcher la vie. Nous pouvons tous citer de ces phrases venant de personnes que nous aimons mais qui nous ont fait un mal ou un tort imprévu. C’est vrai sur le plan personnel comme collectif, et sur la curiosité, un autre génie, Blaise Pascal s’est également fourvoyé en estimant que « la curiosité n’est que vanité ; le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler ».

Il faudra Heidegger pour saisir enfin que la curiosité n’est ni un délassement ni une récréation : elle est, bien plus qu’un trait de caractère, une conscience au sens plein du mot. C’est l’essence même de la vie, l’état de l’être-jeté-dans le monde que nous sommes, non pas placé devant ses possibles mais jeté au milieu d’eux. Quand la conscience se rend compte qu’elle est à elle-même ses propres possibles, elle devient projet.
Pour le dire autrement, la curiosité est une sortie de soi, l’énergie des projets et des possibles, en un mot l’énergie de l’instant présent.
Contre la suffisance de l’ego qui se suffirait à lui-même, la curiosité a ce que la ‘studiosité’ (par laquelle on a voulu la remplacer au Moyen-Âge) n’a pas : une gaieté, une joie, une gourmandise au bon sens du terme.

Un des plus beaux textes sur la curiosité est l’évangile des disciples d’Emmaüs où Jésus s’approche de ces deux hommes qui s’en retournent de Jérusalem le jour de Pâques. « De quoi discutez-vous en marchant ? ». Ils ne lui disent pas de s’occuper de ses affaires : ils accueillent sa curiosité et lui reprocheraient presque son ignorance : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci ».
Le texte va alors retourner la curiosité sur nous, lecteurs, auditeurs qui aimerions bien savoir ce que Jésus leur a dit sur ce qui dans toute l’Écriture le concernait.
Nous aimerions bien savoir le contenu de cette catéchèse qui va brûler leur cœur, y raviver l’amour de Dieu qui y a été répandu par l’Esprit Saint, au point qu’à la fraction du pain leurs yeux s’ouvrent et ils reprennent la route avec une force renouvelée. Le Christ ne leur dit pas comme à Marie Madeleine d’aller prévenir leurs frères : ils sont curieux de savoir ce que les autres disciples savent et impatients de dire ce qui leur est arrivé.

Ce texte est une hymne à la curiosité, qui met l’imagination, l’esprit, l’intelligence en appétit, qui pousse à connaître, à chercher, à espérer ou rêver.

On a remplacé la curiosité par l’ouverture d’esprit. Encore faut-il qu’elle puisse être ouverture à l’Esprit, pour être capable d’aller ‘au-delà’ du visible, à l’image de Moïse quand, à la montagne de Dieu, l’ange du Seigneur lui est apparu dans la flamme d’un buisson en feu. Le buisson brûlait sans se consumer. Quel étrange spectacle ! « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » (Ex 3, 3).

Aller au-delà des informations qui nous sont prémâchées, des vues internet faussées par les algorithmes d’addictions ou d’affinités, qui emprisonnent la pensée.

Quels que soient nos aveuglements, le Christ est venu nous en délivrer, nous ouvrir les yeux, ouvrir nos cœurs à l’Esprit. Nous rendre curieux de mieux connaître Dieu.

N’êtes-vous pas curieux de voir Dieu – de vos yeux – de bienheureux ?

Père Christian Lancrey-Javal, curé

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